Rosa Kauxia - Selk'nam, 1919-1924 ?© Martin Gusinde / Anthropos Institut / Éditions Xavier Barral
Arles photo 4 rue Pierre Euzeby 13200 Arles France
Editions Xavier Barral 42, rue Sedaine 75011 Paris France
Des hommes et des femmes à moitié nus au cloître de Saint-Trophime. Cela aurait presque de quoi surprendre si Arles n'était pas coutumière des rencontres improbables. L'Esprit des hommes de la Terre de Feu de Martin Gusinde mélange lui aussi ethnographie et poésie. Une exposition à voir jusqu'à la fin de l'été.Editions Xavier Barral 42, rue Sedaine 75011 Paris France
En 1955, au début de ses Tristes Tropiques, et à propos de la littérature de voyage, Claude Lévi-Strauss restait pour le moins dubitatif : « L’Amazonie, le Tibet et l’Afrique envahissent les boutiques sous forme de livres de voyage, comptes rendus d’expédition et albums de photographies où le souci de l’effet domine trop pour que le lecteur puisse apprécier la valeur du témoignage qu’on apporte. » Le travail de Gusinde exposé à Arles ne semble précisément pas se soucier de l'effet, mais plutôt de la transmission d'une réalité lointaine, du dessin (photographique) d'un monde alors inconnu.
Jeu pour effrayer les femmes.
Yamana, 1919-1924
© Martin Gusinde / Anthropos Institut / Éditions Xavier Barral
Terre de Feu. Un nom mythique. Celui de l'archipel de l'extrême sud du continent américain, et qui fait résonner avec lui une histoire millénaire balayée violemment par l'homme occidental. Par les missionnaires notamment. Gusinde était prêtre lui aussi. Pourtant, ce dernier semblait plutôt passionné par l'entreprise anthropologique et la volonté de conserver la mémoire des Selk’nam, des Yamana ou des Kawésqar. Au détriment sans doute d'une quelconque mission édificatrice et religieuse. Tant mieux. C'est qu'avant lui, d'autres s'étaient penchés sur l'étude de ces peuples amérindiens, comme Darwin sur le fameux Biggle, de 1831 à 1836.
Martin Gusinde est au Chili depuis 1912, un an après avoir été ordonné prêtre. Il se rêvait missionnaire en Afrique, il sera finalement envoyé en Amérique du sud, sur ordre de ses supérieurs et afin que son impétuosité se soumette aux règles strictes du Lycée allemand de Santiago, qui appartient à la Société du Verbe-Divin. Gusinde fera quatre voyages en Terre de Feu, de 1918 à 1924. La première fois, il a trente-deux ans.
Kʼterrnen, le bébé de lʼogresse Xalpen, est présenté aux femmes par le chaman Tenenesk.
Entièrement peint dʼocre rouge, son corps est couvert de duvet dʼoutarde.
Cérémonie du Hain, rite Selkʼnam, 1923
© Martin Gusinde / Anthropos Institut / Éditions Xavier Barral
« Je commence à photographier avec bonheur, mais aujourd’hui les Indiens ont voulu “tester” l’appareil au moment où je changeais les plaques, c’est désolant ! » : nous sommes le 15 février 1919 et Gusinde ajoute dans son journal qu'il passera une matinée entière à le réparer. Pas simple la photographie à cette époque et dans ces conditions, mais elle est devenue le support indispensable de l'anthropologie et Martin Gusinde l'a bien compris. Voilà pourquoi il a emporté dans ses bagages un appareil et des négatifs sur verre et film.
D'après les archives, il ne semble pas que le jeune homme ait bénéficié d’une quelconque forme d’apprentissage professionnel. Il serait un amateur qui a appris et développé sur place, notamment grâce à un laboratoire portable. La marque de son appareil reste un mystère, mais on sait qu’il était monté sur pied, muni d’un soufflet. Sans avoir appris et sans être un professionnel donc, Martin Gusinde a pourtant pris des milliers de photographies pour ne pas perdre une miette de ces cultures, de ces rites, de ces cérémonies et de ces familles dont il devinait déjà l'inéluctable disparition. Pour l'ouvrage L'Esprit des hommes de la Terre de Feu, grâce au fonds Martin Gusinde conservé par les prêtres de l’Anthropos Institut, en Allemagne, les éditions Xavier Barral ont numérisé pas moins de 1 200 négatifs et tiré sur papier les photographies qui sont en partie reproduites dans le livre et dans l'exposition.
Épouse de chaman, Rosa Kauxia est lʼune des rares femmes investie de pouvoirs magiques dans sa communauté.
Selkʼnam, 1919-1924
© Martin Gusinde / Anthropos Institut / Éditions Xavier Barral
Au-delà du trésor scientifique que représente son travail, force est de constater et d'admettre son caractère esthétique. Gusinde semblait être un portraitiste né. Ses clichés de Juan Kocitel, de Rosa Kauxia ou de Juana Kiece par exemple, sont d'une beauté nette, poétique. Son degré d’intégration a sans nul doute permis cette quasi intimité ethno-photographique. A le voir poser avec ses peintures à une cérémonie d’initiation Yamana, on ne peut pas douter de la force de son implication.
L’esprit des hommes de la Terre de Feu
Selk'nam, Yamana, Kawesqar
Martin Gusinde
Editions Xavier Barral
60 euros
Emilie Lemoine