© Dayanita Singh, Museum of Chance
© Dayanita Singh, Museum of Chance
Dayanita Singh n'est pas une photographe ordinaire. En ouvrant la première page de son http://www.dayanitasingh.com/blogs/dayanita", on peut lire une lettre adressée aux aspirants photographes, et qui commence ainsi :
« Chers aspirants photographes,
Mon premier conseil... Trouvez un travail ! »
L'argument est le suivant : pour repousser les limites du médium photographique, il est presque impossible de s'en tenir aux revenus d'une activité à la fois précaire et soumise aux codes esthétiques du marché.
© Dayanita Singh, Museum of Chance
C'est d'ailleurs par chance que Dayanita Singh est devenue photographe professionnelle. Née à New Delhi en 1961, elle y rencontre le virtuose du tabla (un instrument à percussion venu du nord de l'Inde), Zakir Hussain, qui lui propose de devenir son photographe de tournée. Peu à peu, elle passe du photojournalisme à la photographie d'art, en concevant ce qu'elle appelle des « romans visuels ». Pour présenter son travail, elle préconise en effet l'album, dont elle exploite les possibilités narratives.
En guise d'introduction pour Museum of Chance, on peut lire ces quelques lignes énigmatiques :
« Voici ce qui est arrivé : quand j'étais à Londres, j'ai rêvé que j'étais dans un bateau sur la Tamise, qui m'emportait au Anandmayee Ma ashram, à Varanasi. J'ai gravi les marches, et découvert que j'étais entré dans l'hôtel à Devigarh. Au bout d'un moment, j'ai tenté de quitter le fort, mais je ne pouvais trouver aucune porte. Finalement, je suis passé à travers une fenêtre, pour me retrouver dans les jardins de mousse, à Kyoto. »
© Dayanita Singh, Museum of Chance
Au fil des pages, lieux, objets et événement mystérieux s'enchaînent, sans autre logique apparente que celle de la « chance ». La chance, c'est déjà plus que le hasard, même si l'événement chanceux arrive toujours sans raison. Sans cause identifiable, son surgissement apparaît pourtant comme nécessaire, parce qu'il s'accorde à une tendance, répond à un désir ou vient combler un manque chez celui qui s'en empare. Sur la même double-page, par exemple, on voit la photographie d'une porte affublée d'une pancarte : « please do not ring the bell unless you are expected » (prière de ne pas sonner si vous n'êtes pas attendu), et celle d'un homme portant deux énormes trousseaux de clef. Les images du « Museum of chance » s'appellent les-unes-les-autres, et se répondent parfois, grâce à des juxtapositions inattendues ou à des récurrences discrètes (télévision, linge blanc, clefs, maquettes, ou tabla). Leur dispositif balise un parcours onirique et mémoriel où chacun doit pouvoir s'orienter sans difficulté, en fonction d'expériences, d'imaginaires et d'inclinations superstitieuses qui lui sont propres. Curiosité éditoriale et comble de hasard : pour chaque album, la photographie de couverture est tirée aléatoirement parmi les clichés du recueil, tout comme celle qui apparaît sur le quatrième de couverture.
© Dayanita Singh, Museum of Chance
Dans le texte qu'il signe en fin de volume, le critique Aveek Sen évoque la genèse de ces séquences mystérieuses. « Je feuilletais les photographies prises par Dayanita Singh dans l'année, dans l'ordre où elles avaient été réalisées. L'année défilait devant nos yeux selon une succession d'événements apparemment déconnectés les uns des autres. Le temps s'écoulait au fil des images : voici tel événement, puis un autre, puis un autre. C'était une chronique sans fin, rassemblée non par la voix narrative d'un chroniqueur, mais par la distribution magique du hasard (dans le texte: « magic hand of chance »). Des enfants dans une piscine y côtoyaient un jardin japonais, qui devenait l'ombre d'un danseur, qui se transformait lui-même en un étrange nuage de fumée. »
© Dayanita Singh, Museum of Chance
Inutile de vous rendre à New Delhi pour voir le musée Bhavan, créé par l'artiste afin d'y installer une exposition évolutive et permanente de son travail. Si vous voulez partir en Inde sans GPS, sans carte et sans repère, il vous suffira d'ouvrir le Museum of chance. Si, au contraire, vous préférez les visites pédagogiques avec audioguide, discours ethnographique et laïus explicatifs, abstenez-vous.
96 pages
28 x 32.5 cm
Anglais
48 €
ISBN 978-3-86930-693-3