Beauté Congo, Fondation Cartier pour l'Art Contemporain
Chéri Samba, Oui, il faut réfléchir, 2014
Un art moderne congolais
Les premières aventures artistiques modernes connues au Congo datent de la fin des années 1920. Albert et Antoinette Lubaki s'inspirent des fables, de la nature et de la vie quotidienne pour imaginer une peinture à la fois innovante et ancrée dans les traditions locales. Après la Seconde Guerre Mondiale, le Français Pierre Romain-Desfossés fonde l'atelier du Hangar à Elizabethville, où se forme une nouvelle génération d'artistes. Mais c'est après l'indépendance (1960), avec l'exposition Art Partout présentée en 1978 à Kinshasa, que s'affirme un authentique style pictural congolais. Chéri Samba, Chéri Chérin et Moke se présentent alors comme des « artistes populaires ». Ils produisent une peinture figurative haute en couleurs, inspirée par la réalité sociale et la vie urbaine branchée à Kinshasa, tout en volant la vedette aux peintres issus de l'académie. Ce courant est aujourd'hui relayé par de jeunes artistes comme JP Mika ou Monsego Shula.
Chéri Chérin fait partie du noyau de départ des « Artistes populaires » au Congo
La photographes de « Léopoldville » à Kinshasa
Les premiers photographes professionnels africains se trouvent au coeur du processus d'affirmation identitaire qui se joue dans les années 1950-70. Originaire d'Angola, Jean Depara s'installe à Léopoldville en 1951, et ouvre son propre studio, « Jean Whisky Depara », en 1956. Ses photos retracent la vie nocturne élégante et animée qui bat son plein dans la capitale, au rythme de la rumba et du cha-cha. Il devient photographe attitré du chanteur Franco, capture les beautés congolaises et leurs cavaliers dandys à la sortie des boîtes de nuit, mais s'intéresse aussi aux « Bills », bandes de jeunes des quartiers populaires qui s'identifient aux acteurs des westerns américains.
© Jean Depara, Sans Titre (Moziki), c.1955-1965
© Jean Depara
Dans les années 1960-70, le portrait devient un moyen privilégié d'affirmer son identité sociale. Les studios se multiplient, comme le studio 3Z d'Ambroise Ngaimoko, où vient se faire photographier tout un pan de la société. De nombreux jeunes kinois, pour la plupart membres de la SAPE (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) et à qui il prête vêtements et accessoires pour se mettre en scène, accourent chez lui pour réaliser des photos-souvenirs. Témoignages précieux d'une époque marquée par l'énergie émancipatrice et la montée d'une conscience nationale, ces photos constituent l'une des principales sources d'inspiration pour les « peintres populaires » des années 1970, et encore aujourd'hui jusqu'à JP Mika. Il y a donc un dialogue implicite entre les documents photographiques montrés au sous-sol et les créations picturales présentées au rez-de-chaussée.
© Ambroise Ngaimoko, Euphorie de deux jeunes gens qui se retrouvent, 1972
Mais quelle est la place de la photographie d'art dans la création congolaise contemporaine ? Lorsque nous posons la question à Kiripi Katembo, photographe auteur de la série Un Regard présentée à l'exposition mais également producteur et peintre, il explique : « Le photoreportage est plus connu du grand public (mariage, sport, médias, etc....) et la photo expérimentale reste encore peu représentée dans les expositions. » Kiripi Katembo, quant à lui, cherche à « faire des portraits organiques des villes et y apporter une dimension surréaliste ». Pour la série Un Regard (2011), il précise : « C'est en évitant le regard des gens que je me suis tourné vers les flaques d’eau, et depuis je perfectionne mon travail sur la réflection. »
© Kiripi Katembo, « Tenir », série Un regard, 2011
Un débat animé
Lors de l'inauguration, la discussion organisée entre les différents artistes présents à la conférence de presse prend rapidement une tournure politique. Le plasticien Rigobert Nimi déplore le manque d'infrastructures culturelles dignes de ce nom en Afrique. Pourquoi, lorsqu'on crée sur ce continent, faut-il nécessairement être « découvert » par un conservateur occidental comme André Magnin pour espérer accéder à une renommée internationale ? Sur ce point, Kiripi Katembo n'est pas d'accord. Et pour cause : il est l'un des principaux organisateur et commissaire de la première biennale d'art contemporain au Congo, la biennale Yango, initiée en 2014. Elle a pour objectif de « promouvoir la création artistique en République Démocratique du Congo et favoriser l’échange avec les artistes étrangers et autres professionnels du monde la culture ». Katembo poursuit : « Avec l’arrivée massive des appareils numériques au Congo la photo occupe une place importante et incontournable à YANGO Biennale. Et pour cette deuxième édition, qui aura lieu en janvier 2016, un atelier photo sera organisé avec le photographe Sammy Baloji dans le but d’avoir encore plus d’oeuvres et de bons photographes ». Selon lui, beaucoup de travail reste à accomplir pour donner une visibilité aux jeunes créateurs, mais le mouvement est initié, et c'est l'essentiel. Plutôt d'accord, Césarine Sinatu Bolya* se lève enfin pour réclamer une « trève d'autoflagellation ». Mais elle regrette quand même la quasi-absence des femmes à l'exposition.
JP Mika, La SAPE, 2014
Si vous êtes fatigués des grandes expositions d'art classique un peu surfaites, mais imperméables aux élucubrations conceptuelles des créateurs contemporains, Beauté Congo vous rafraîchira, avec ses positions franches et ses couleurs vivantes, son énergie sincère, mais sans naïveté. Ici, la démarche « populaire » ne sous-tend aucun compromis sur la qualité technique et artistique des oeuvres.
*Cette ancienne journaliste de l’Agence zaïroise de presse, aujourd’hui animatrice culturelle, dirige l'association « Mémoires vives Congo Afrique » basée à Bruxelles, dont l’objectif est de collecter et transmettre la mémoire par les femmes.