Nathan Lerner, Jeune fille de Maxwell Street - 1936 © 2015 Kiyoko Lerner / ADAGP, Paris
Nathan Lerner, Enfants sur une Ford - 1936
© 2015 Kiyoko Lerner / ADAGP, Paris
Murs blancs, cadres noirs, photographies en noir et blanc, l’exposition Nathan Lerner, une donation arbore un style épuré, presque sinistre. Pourtant, à la palette du photographe figure aussi la couleur. Sur les murs s’étalent 70 photos disposées par ordre chronologique, retraçant l’oeuvre de Nathan Lerner (1913-1997).
Né à Chicago dans un quartier pauvre, il fait ses premiers clichés dans cet environnement, capturant ses habitants désoeuvrés mais chaleureux. Puis, il intègre l’école du New Bauhaus de Chicago, fraîchement créée par des membres du Bauhaus berlinois, chassés de leur pays par la montée du nazisme. Il devient l’un des premiers élèves de László Moholy-Naji, qui lui enseigne les techniques photographiques et encourage une recherche artistique et quasi-scientifique. “Une rencontre qui a transformé sa vie”, explique Emmanuelle de l’Ecotais, commissaire de l’exposition. Il s’éloigne alors de la photo documentaire pour jouer avec la lumière et les formes, créer sa zone abstraite : la Light box. Devenu professeur au Bauhaus, il enseigne à son tour les subtilités de la lumière et des ombres. Il quitte cependant conjointement l’établissement et la photo pour le design où il entamera une carrière fructueuse.
20 ans plus tard, Lerner revient à ses premiers amours… à cause d’une femme. La rencontre avec son épouse Kiyoko Lerner, pianiste japonaise, lui fait découvrir un monde nouveau, celui de la photographie nippone. Il se remet à la photographie de rue, baignée par cette influence et voyage à travers le Mexique, le Japon… Plus d’expérimentations si ce n’est celles touchant à la couleur, mais des prises de vue qui ne sont pas montrées… jusqu’à ce jour. Après sa mort, sa femme a en effet légué plus de 200 oeuvres au MAM en 2014. Des clichés qui font l’objet de cette exposition intimiste, qui se tient du 29 mai au 13 septembre.
Emmanuelle de l’Ecotais, commissaire de l’exposition Nathan Lerner, une donation, nous en dit un peu plus sur cette dernière...
Emmanuelle de L'Ecotais, du Musée d'Art Moderne de la ville de Paris
© Yann Morvan
Pourquoi une exposition Nathan Lerner au Muséum d’Art Moderne de Paris ?
Dans ses oeuvres, il y a à la fois le côté humaniste et expérimental, les deux aspects de la photo. Deux approches parallèles et complémentaires qui ne se retrouvent pas, normalement, chez la même personne. Par exemple Cartier-Bresson, qui s’intéresse à la photographie de rue, a très peu expérimenté la photo de cette manière. Il n’a jamais poussé aussi loin les expérimentations. Le travail de Nathan Lerner est au fond plus plastique qu’uniquement documentaire, comme peut l’être la photographie.
Comment avez-vous sélectionné les oeuvres présentes dans l’exposition ?
Le don de Kiyoko Lerner couvrait la totalité de l’oeuvre de son mari. J’ai donc fait un choix sur la totalité également : de ses débuts dans les années 30 à la fin dans les années 70, avec ses travaux au Japon et au Mexique - ces derniers étant totalement inédits. La seule chose que je n’ai pas mise là, pour une question d’aménagement de l’espace, ce sont ses travaux couleur, qui feront l’objet d’une autre exposition.
Nathan Lerner, Gâteaux dans une vitrine - 1937
© 2015 Kiyoko Lerner / ADAGP, Paris
Quelle est la démarche artistique de Nathan Lerner ?
La première démarche est sociale. Son quartier, Maxwell Street, est un quartier d’émigrés, c’est un ghetto juif, pauvre. Dans la rue, ce qui l’intéresse, ce sont les rapports humains. Il disait que lors des marchés, les gens ne sont pas seulement là pour acheter ou vendre quelque chose, ils sont là pour avoir des rapports humains entre eux. Après, avec l’arrivée de Moholy-Nagy dans sa vie, il découvre autre chose de la photo : les cadrages, les différents point de vue, les travaux sur l’ombre et la lumière. Ces éléments deviennent des sujets en tant que tels. La photo qui au début est un médium, devient autre chose, une recherche structurelle et artistique. On sort du documentaire pour se tourner vers un travail de composition et d’expérimentation.
Quelles étaient ces expérimentations et à quoi servait la Light box, mise au point par le photographe ?
C’était une boîte dans laquelle il avait percé quelques trous. Il pouvait suspendre des fils, des objets dedans et prendre des photos à l’intérieur. Il créait un espace complètement irréel, complètement abstrait, pour faire des études sur la lumières, le mouvement... C’est vraiment cette photographie constructive et expérimentale des années 30, qui était présente au Bauhaus. Il faut bien se remettre dans le contexte de l’époque, c’est-à-dire qu’on découvrait beaucoup de choses : la photographie microscopique, scientifique… Les artistes ont utilisé tout cela pour créer des oeuvres d’art et faire autre chose de la photographie. Jusque-là, la photographie était une simple reproduction de la réalité, les gens pensaient qu’elle n’était pas un art et servait juste à reproduire le réel. Les photographes comme Lerner, notamment, l’ont engagée dans une autre voie.
Nathan Lerner, Lightbox avec balles - vers 1940
© 2015 Kiyoko Lerner / ADAGP, Paris
Pourquoi Lerner a-t-il brusquement cessé la photographie ?
Il s’est concentré sur le design. Au Bauhaus, on traitait de tous les arts appliqués. La photo était une petite partie de l’enseignement qui était délivrée à l’école du New Bauhaus de Chicago. Le design prend de plus en plus de place, à la fois dans l’enseignement et dans la vie quotidienne. Comment apporter, dans la vie des gens, un peu d’art ? C’est cela qui lui est apparu plus important, à un moment. Pendant 20 ans il en a fait son métier, il a eu sa propre entreprise. En réalité, il a gagné sa vie dans le design, pas en faisant des photos.