Valérie Belin, Ishtar (série Super Models), 2015 Tirage pigmentaire, Courtesy Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles © Adagp, Paris 2015
Née en 1964 à Boulogne-Billancourt, Valérie Belin obtient en 1989 un DEA en philosophie de l'art à l'université Paris I. Elle s'intéresse d'abord aux objets, dans une optique minimaliste et hyperréaliste. Sa première exposition parisienne est consacrée à une série d'objets en cristal, matériau dont elle cherche à capter les propriétés lumineuses. Avec Bodybuilders (1999) s'ouvre une longue et fructueuse expérimentation sur le corps humain, que poursuivent les séries Transsexuels, Femmes noires et Mannequins de vitrine. Tandis que les plus grands musées d'art contemporain du monde (MoMA et MNAM, entre autres) font l'acquisition de ses œuvres, l'artiste délaisse le noir et blanc pour la couleur et fait ses premières expériences numériques. Solarisation, saturation, accumulation, surimpression lui permettent de prolonger sa démarche de « déréalisation » ou de « virtualisation » du corps vers ce qu'on pourrait appeler une esthétique du cyborg ou de l'avatar.
Valérie Belin
Mannequins (Sans titre), 2003
Épreuve gélatino-argentique
© Centre Pompidou, MNAM-CCI/G.Meguerditchian /Dist. RMN-GP © Adagp, Paris 2015
Son travail fait aujourd'hui l'objet d'une rétrospective, dans une de ces expositions de taille modeste (deux salles pour à peine 25 clichés de très grand format) que le centre Pompidou case habituellement au niveau 4, juste derrière l'éternel et énigmatique container de carrelage blanc de Jean-Pierre Raynaud. Y sont également présentées des séries plus récentes comme Crowned Heads (2009), Black Eyed Susan (2010-2013), Stage Sets (2011), Brides (2012), Bob (2012), Still life (2014) et Supermodels (2015).
Modeste, mais riche, car en quelques foulées, le spectateur découvre un univers plastique et conceptuel d'une rare homogénéité.
L'artiste s'intéresse à l'« inquiétante étrangeté » du corps humain tel qu'il se trouve représenté à l'ère post-moderne. Cette notion, forgée par le psychiatre Ernst Jentsch dans un essai du même nom paru en 1906, puis popularisée par Freud en 1919, se résume dans ces termes : « Il s’agit de l’impression qu’un être vivant pourrait être un objet, et inversement, qu’un objet inanimé pourrait avoir une âme – et ce même lorsque ce doute n’affleure que vaguement à la conscience. »* Elle photographie donc tantôt des mannequins (l'emblème du « merveilleux moderne », disait Breton), tantôt des êtres de chair et d'os, souvent difficile à différencier les uns des autres.
Le mannequin, reproduction archétypale du consommateur, est la figure du « même » par excellence. Mais, tout comme il nous arrive de ne pas reconnaître le reflet que nous projetons dans la glace, ces « doppelgangers » inanimés renvoient de l'homme une image troublante. Pour Valérie Belin, « la photographie peut être ce miroir tendu dans lequel on ne se reconnaît pas. »**
Valérie Belin
Lido (Sans titre), 2007
Épreuve gélatino-argentique
Courtesy Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles © Adagp, Paris 2015
En 1967, Robert Smithson publiait un article intitulé « ultramoderne » dans lequel il louait « l'usage excessif des miroirs » dans les constructions new-yorkaises des années 1930, qui, selon lui, dissolvait l'apparente solidité des buildings, et leur faisait perdre toute réalité. Le principe des séries participe chez Valérie Belin d'une démarche similaire, appliquée au corps humain. Super Models, réalisé en 2015, décline six images de mannequins de vitrine en fibres de verre issus des « collections réalistes » du fabricant Adel Rootstein. L'artiste a récupéré des motifs géométriques sur internet, qu'elle a démultipliés au moyen de composants vectoriels, puis superposés aux images de mannequins, selon un procédé qu'elle qualifie elle-même de « sublimation ».
Valérie Belin
Femmes Noires (Sans titre), 2001
Épreuve gélatino-argentique
Collection Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Dans ses portraits, la photographe fait ressortir la texture de la peau, notamment par solarisation et surimpression. Trois images de sosies de Michael Jackson révèlent le détail de la chirurgie plastique. « C'est un peu comme si le cortège inquiétant du faux, du vide, voire du morbide, montait à la surface de la photo. » L'objectif de Valérie Belin est de « transformer ce vide en plein, le néant en présence, d'insuffler du vivant là où il n'y n'y en a plus. » De même qu'il est impossible de dire si le pop art exalte ou critique la société de consommation, on ne peut décider si le travail de Valérie Belin condamne ou célèbre le régime de représentation contemporain du corps. L'artiste refuse par exemple de placer son travail sous l'autorité d'un courant féministe.
On pourrait dire que l'expérience proposée par Valérie Belin oscille entre le film de David Lynch et la visite au musée Grévin. Le fascinant pouvoir du kitsch est mis au service d'un malaise dont on ne se débarrasse pas en achetant une carte postale. Pour ce crime postmoderne, l'auteur de cet article plaide toutefois : coupable.
* Ernst Jentsch, Sur la psychologie de l'inquiétante étrangeté, 1906
**Entretien avec Roxana Marcoci pour le catalogue de l'exposition