© Stephen Shore
Chroniques du 06/07/2015 au 20/9/2015 Terminé
Espace Van Gogh Place du Docteur Félix-Rey Arles France
« La première rétrospective européenne d'un des pionniers de la photographie couleur américaine ». Rien que ça. Ils savent faire monter la pression à Arles. Mais la carrière de Stephen Shore a les épaules pour. Du moins en ce qui concerne ses débuts fulgurants et ses deux séries American Surfaces (1972) et http://fr.actuphoto.com/32039-stephen-shore-encore-et-encore.html". Pour le reste, les choses sont moins évidentes, comme si cette décennie de grâce était retenue contre lui et la possibilité de proposer autre chose. Maudit par son propre succès ?Espace Van Gogh Place du Docteur Félix-Rey Arles France
« C'est juste étourdissant de voir tout mon travail réuni dans une galerie ! », lâche Stephen Shore au beau milieu du cour Fanton. Qu'il est bon de se balader au fil de la vie et des images d'une figure de la photographie américaine et mondiale. Imaginez, on lui prête le titre de quasi-dieu de la couleur, celui par qui le scandale de l'omnipotence noire et blanche a pris fin. Comment ? Pourquoi ? Et qu'a-t-il fait d'autre « à part ça » ? L'exposition de l'Espace Van Gogh fournit quelques clés à ses visiteurs curieux, à l'ombre des murs de l'ancien hôpital.
Jeune, fou, doué
« Avant que l’image ne soit faite, je l’ai déjà dans mon esprit et je sais comment elle sera », avoue Shore. Premiers clichés exposés. Il n'a que 13 ans et l'âge de jouer comme bon lui semble avec son appareil photo, avec un chien, un drapeau des Etats-Unis, lui-même ou des passants sans tête.Il n'y a sans doute rien d'extraordinaire à vouloir s'amuser et ne pas faire comme tout le monde quand on a moins de vingt ans, mais il faut néanmoins un sacré talent pour que le jeu dure, s'enrichisse et se nourrisse de nouvelles idées. Avec le recul, les observateurs le nommeront « photographie conceptuelle ». Plus simplement, on peut y voir de la création artistique, pure et simple. Shore rhabille ses parents en faisant le double portrait sous-vêtement/habillé de Ruth et Fred. Il espionne aussi toutes les demi-heures son ami Michael Marsh dans sa série 24 Hours (1969). De minuit à minuit, clic clic clic, des draps léopards à la partie de pêche solitaire, les 49 clichés paraissent presque aussi absurdes qu'un roman-photo sans paroles.
L'Amérique est toujours là. Ses routes, ses stations essences et ses voitures bien sûr. On la regarde sur ses cartes postales sans adresse de Greetings From Amarillo Tall in Texas (1971), mais aussi sur 4 Part Variation (1969) ou sur la surexposée Avenue of the Americas (1970). « Il n’y a pas de photographe plus important à mes yeux que Walker Evans », explique le photographe. Les Etats-Unis vus par Shore mélangent Evans à l'expérimentation artistique.
© Stephen Shore
American Surfaces et Uncommon Places
Passage à la couleur, la vraie, celle du jaune orangé des œufs brouillés, des pancakes, des motels et des feux de signalisation. Rouge. Vert. Le bleu du ciel comme (presque) seul témoin de sa traversée des Etats-Unis. Ce n'est pas un simple voyage, il s'agit pour lui de « questionner les conventions, celles de la société comme les miennes ». En 1973, il y a d'abord la série American Surfaces, journal de bord d'un quotidien américain sur la route, pris à la chambre photographique. Uncommon Places en sera le prolongement, plus maîtrisé, plus composé : pas trop le choix quand on doit saisir l'instant avec un trépied. Entre autres. Le passage d’American Surfaces à Uncommon Places n'a rien de révolutionnaire, confesse-t-il, mais si le contenu est similaire, l'aspect visuel, lui, a changé. Il a raison, on le note presque immédiatement. Le dessin au cordeau du paysage urbain américain se fait plus précis.
Contre-courant
Stephen Shore a utilisé la couleur alors que tout le monde utilisait le noir et blanc. Il était presque naturel qu'il se remette au noir et blanc alors que tout le monde passait à la couleur en 1980 : « Alors j’ai décidé que durant les dix prochaines années je travaillerai en noir et blanc ». Il quitte aussi New York et part vivre dans le Montana. Les séries Paysages, Essex County (1992-1993) ou New York City (2000-2002) sont à voir à l'étage de l'espace Van Gogh. On peut les admirer. On peut également assez vite s'en lasser. S'en voulant presque de ne pas apprécier à sa juste valeur le travail et l'originalité de la démarche.
Shore a raconté une anecdote incroyable sur un dîner arrosé avec Ansel Adams. Ce dernier, après son sixième verre de vodka pur, lui avait dit d’une manière très détachée, qu’il avait eu son moment créatif il y a des années, et que depuis il ne cessait de se répéter. « Je ne suis pas intéressé par l’idée de me répéter », précise d'emblée Shore. C'est tout à son honneur. Pourtant, il n'y a pas photo, c'est quand il le fait qu'il nous plaît le plus. Pour preuve, ses photographies de Winslow (2013), où flottent comme un parfum d'American Surface, l'appareil numérique en plus et la chambre en moins. Une contrainte qu'il s'impose néanmoins : une seule prise par sujet. One shot.
Emilie Lemoine