Walker Evans, Labor Anonymous, Détroit, 1946, magazine Fortune. Avec l’aimable autorisation du Metropolitan Museum, New York. Copyright Rencontres Arles
L'unique salle dédiée à Walker Evans au musée départemental Arles antique a de quoi séduire malgré sa taille. Elle propose en effet une plongée au cœur de son travail journalistique, tant écrit qu'imagé. Au moyen d'agrandissements de journaux, de magazines et de quelques clichés, l'exposition montre la vivacité de l'oeil qu'Evans a posé sur son époque.
Faire Fortune
Walker Evans a fourni beaucoup d'articles et de reportages au magazine Fortune. Celui-là même qui lui refusa son travail sur le Sud, avec Agee, alors qu'il l'avait précisément commandé. Encore un peu trop tôt sans doute pour cette revue économique qui essaiera pourtant par la suite d'ouvrir ses pages aux problématiques sociales. Dès 1946 pourtant, Evans photographie ces Labor Anonymous, travailleurs anonymes du centre de Détroit, un samedi après-midi. On est en plein dans l'autocélébration et la gloriole d'après-guerre : « travailleurs travailleuses » dans le Michigan. A la limite aussi d'une pub pour le tabac tant cigarettes, pipes et cigares squattent presque tous les portraits. Mais la "patte Evans" est là, sobre et pointue. On la retrouvera dans Chicago, A camera exploration (Fortune, 1947) ou dans People and Places in Trouble (Fortune, 1961). Elle est aussi dans l'intérêt que le photographe porte aux objets : outils, meubles, bâtiments, etc.. Mention spéciale pour On the Waterfront (Fortune, 1960) où la sobriété et la précision sont rejointes par la poésie, celle qu'il y a à photographier la brique new yorkaise, sous les derniers rayons de soleil de la journée.
Walker Evans, Labor Anonymous, Détroit, 1946, magazine Fortune.
Avec l’aimable autorisation du Metropolitan Museum, New York.
Copyright Rencontres Arles
Car ce qui séduit chez Walker Evans, au delà de l'entreprise documentaire, c'est « ce tout petit supplément d'âme. Cet indéfinissable charme » comme le chantait France Gall (!). Le pas de côté, celui qui le met à une distance suffisante pour voir les choses différemment, ce petit pas qui le fait photographier ou même écrire autrement. La série Rapid Transit, prise pour The Cambridge Review, montre huit clichés pris en 1955, avec la complicité de son compère Agee. Loin de ses fumeurs blancs anonymes de Détroit, il y a ici un mélange à la new-yorkaise. Noirs, enfant, femme ou trisomique, tous ont le regard ailleurs ou guettent peut-être la prochaine station. La leur. L'idée selon les mots de James Agee était « de faire en sorte que ceux qui étaient photographiés ne remarquent pas l'appareil photo ». Clichés dérobés, aussi forts et significatifs que ceux de leur ouvrage commun. Le photojournalisme semble avoir trouvé des représentants engagés dont le travail ne saurait se départir d'une nécessaire portée sociale. Parmi les quelques clichés originaux montrés au centre de l'exposition, on recroise d'ailleurs le regard dur et les petites lèvres pincées d'Allie. Visage emblématique de l'Amérique des oubliés, il marquera, grâce à Evans, l'imaginaire, et sans doute la conscience, de chacun de nous.
Allie Mae Burroughs, Hale County, Alabama - Walker Evans - 1936
© Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art
Commissaires de l’exposition :
David Campany, Jean-Paul Deridder et Sam Stourdzé.
Exposition coproduite par la fondation a Stichting , Bruxelles, et les rencontres d’Arles.
Publication : David Campany, Walker Evans, The Magazine Work, Steidl, 2014.
Exposition présentée au musée départemental de l'Arles antique.
Emilie Lemoine