© Richard Pak, Les Frères Pareils / Filigranes Editions
C’est une excursion en deux tomes. Plus un encore, qui décrit la rencontre du photographe, Richard Pak, avec ses personnages, les Frères Pareils. Pas de légendes ni de descriptions pour ces photos reproduites en pleine-page. Guidé par un concept façon « saute-mouton », le lecteur retrouve un élément de l’image précédente sur la page suivante. Ce détail se balade avec nous. Le plastique protecteur d’une vitre de voiture cassée, devient ensuite la bâche d’une maison en travaux, puis plus tard celle d’un manège de fête foraine, recouvert en attendant son heure. Plus loin, la forme rectangulaire d’un mur très flou se métamorphose la photo d’après en deux barres lumineuses dont l’éclat et la végétation autour évoquent cette même forme. La luminosité verdoyante se retrouve sur le cliché suivant, baignant une rue déserte dans une atmosphère inquiétante. On peut d’ailleurs s’amuser à chercher le fil qui parcourt le récit et évolue avec celui-ci.
© Richard Pak, Les Frères Pareils / Filigranes Editions
Saute-mouton
Au milieu de la balade, les deux guides se font connaître. Pulls rayés trop grands, cheveux éparses et mal coiffés, un sac en plastique à la main pour chacun. Les deux Frères Pareils, traversant un parking vide, pourraient être les cousins de Bouli Lanners dans Louise-Michel, en plus maigre. Les voilà qui repassent, la photo suivante, au même endroit en sens inverse ! Décidément, ces deux-là sont bien étranges… Bientôt, on découvre à la façon d’un inventaire scientifique des objets du quotidien abîmés, abandonnés à même le sol. Une chaussure à talon, une voiture miniature et… un oiseau mort ! Suivi, dans la photo d’après, d’un amas de fiente recouvrant ce qui semble être le rebord d’une fenêtre. L’association fait rire. Et c’est certainement le but. Richard Pak semble s’amuser avec notre cerveau, en créant des analogies insolites et amusantes entre les images. C’est aussi par là une façon de créer du lien, de donner forme à une narration, à une histoire, à un univers.
© Richard Pak, Les Frères Pareils / Filigranes Editions
Chips et raviolis en boîte
Et la balade se poursuit dans le tome II, où l’on pénètre, après un autre aller-retour photographique des deux badauds, dans leur antre. C’est là que ce qui nous paraissait étrange devient carrément énigmatique. On découvre un appartement dont le mobilier se constitue exclusivement de sac plastiques, fermés tous méthodiquement de la même façon. Considérée comme un trouble obsessionnel du comportement, la syllogomanie est le fait d’accumuler de façon excessive des objets. Les Frères Pareil, eux, ont la branche « maniaque » de cette maladie, et ont décidés de ranger leur vie dans des milliers de sacs plastique, qui peuplent entièrement le sol de leur appartement. Des sacs partout, sous le savon et le dentifrice dans la salle de bain, entre leurs pieds et leurs chaussures, sous la nourriture qu’ils mangent. Chez eux, on les voit, pensifs dans ce qui semble être une chambre (tapisserie années 70 au mur). Ils dînent accroupis, des chips et des raviolis en boîte.
© Richard Pak, Les Frères Pareils / Filigranes Editions
Et soudain, on comprend que ce n’est pas du tout la maladie que Richard Pak veut montrer, mais plutôt la précarité de ces gens-là, vivant de bric et de broc, d’un RSA et de quelques autres miettes. Sans sombrer dans le misérabilisme, Richard Pak réussit à dépeindre ce quotidien à la fois triste/terne et insolite. Une photo, saisissante, nous montre l’un des deux frères, assis par terre, la tête posée sur ses genoux. Eclairé par ce qu’on devine être une télévision devant lui, tout le reste autour est entièrement plongé dans le noir, il donne l’impression de sortir du néant. Le visage est marqué par des rougeurs et une barbe de plusieurs jours. On le confondrait facilement avec une personne à la rue. Sans être aussi dures, les autres photos nous plongent dans des teintes froides, et parfois ternes. Les seules couleurs qui viennent égayer l'ouvrage sont celles des pulls des Frères Pareils, et de leur parapluie, jaune et bleu.
© Richard Pak, Les Frères Pareils / Filigranes Editions
Après tout, les Frères Pareils vivent pas dans cette ville. Sans rien demander à personne, ils la traversent plus qu’ils ne l'habitent. De la même manière que nous traversons ce livre, et en ressortons touchés par l’émotion qui se dégage de ces photos et de ces frères Pareils. Le livre se clôt par une dernière série d’allers-retours énigmatiques. Avec comme image de fin, les frères s’en allant en sens inverse des pages que l’on tourne. La balade s’arrête là pour nous. Mais pour eux, elle est encore longue.
© Richard Pak, Les Frères Pareils / Filigranes Editions
Les Frères Pareils
Filigranes Editions
Parution : Avril 2015
Format : 160 x 220 cm
80 photographies couleurs
128 Pages
Prix : 25 euros