© Anne Brigman (1909)
Expositions du 14/10/2015 au 25/1/2016 Terminé
Musée d'Orsay 1, rue de la Légion d'Honneur 75007 Paris France
Musée de l'orangerie Jardin des Tuileries 75001 Paris France
L’ambition première de l’exposition présentée au musée d’Orsay et au musée de l’Orangerie du 13 octobre 2015 au 25 janvier 2016, intitulée Qui a peur des femmes photographes ? est de rompre avec l’idée encore largement partagée selon laquelle la photographie, outil mécanico-chimique de reproduction, serait une simple affaire de technique et donc « d’hommes » : qu’elles aient été amateures des classes privilégiées ou, comme de plus en plus souvent au tournant des 19e et 20equ’auteures, un rôle plus important dans l’histoire de ce moyen d’expression que dans celle de chacun des beaux-Musée d'Orsay 1, rue de la Légion d'Honneur 75007 Paris France
Musée de l'orangerie Jardin des Tuileries 75001 Paris France
arts traditionnels. S’appuyant sur des recherches nouvelles comme sur les nombreuses histoires de la photographie qui, depuis une quarantaine d’années, ont réévalué l’extraordinaire contribution des femmes au développement du médium, cette exposition et la publication qui l’accompagne sont ainsi les premières du « genre » en France.
Pour autant, l’heure n’est plus aujourd’hui à démontrer que certaines femmes ont, très tôt et dans tous les domaines d’application de la photographie, atteint un degré de maîtrise et d’accomplissement égal à celui des hommes. C’est pourquoi cette présentation se doit de n’être ni une histoire de la photographie retracée à travers une production exclusivement féminine, ni une mise en scène d’une « vision photographique féminine », ni même une histoire en images des femmes par les femmes. Il s’agira bien plutôt d’exposer la relation singulière et évolutive des femmes à la photographie, c’est-à-dire de donner à voir cette production dans ce qu’elle a pu, selon les contextes historiques et socioculturels considérés, avoir de caractéristique et/ou d’exceptionnel. De ce parti pris fort découle le champ spatio-temporel, particulièrement ouvert, couvert par cette démonstration : de l’invention officielle du médium en 1839 jusqu’en 1945, le phénomène est appréhendé à travers ses manifestations aussi bien en Europe –essentiellement en France, Grande-Bretagne et Allemagne – qu’aux Etats-Unis siècle, véritables professionnelles de l’objectif, les femmes ont de fait joué, en tant que sujets regardants.
© Clementina Hawarden
1ere partie : 1839-1918 – Musée de l’Orangerie
Dès l’origine et jusqu’à la Première Guerre mondiale, la raison de l’enracinement particulier de la relation de la femme à la photographie est avant tout à rechercher dans un phénomène de double exclusion: exclusion relative des femmes des milieux artistiques de leur temps ; exclusion temporaire de la photographie du domaine consacré de l'Art. Parce que l’apprentissage technique -relativement rapide-, puis la pratique elle-même du médium, n’étaient réglementés par aucune structure comparable à celles qui, dans les domaines de la peinture ou de la sculpture, retreignaient considérablement l’accessibilité des femmes, nombre de celles-ci ont été ou se sont senties encouragées à embrasser le nouvel « art industriel». Amenées selon leurs classes sociales à y voirprincipalement une source inédite de débouchés commerciaux ou le moyen d’assouvir un désir de créativité personnelle, toutes ont considéré sa pratique comme une occasion d’exister indépendamment des obligations domestiques et familiales et de se penser, puis s’affirmer, en tant que sujets regardants.
D’Anna Atkins, auteure avec British Algae : cyanotype impressions du premier ouvrage illustré de photographies (1ère livraison en 1843), à Frances Benjamin Johnston et Christina Broom, pionnières du photojournalisme aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne au début du 20eméconnues autour des figures tutélaires que sont Julia Margaret Cameron, première femme reconnue internationalement pour avoir élevé la photographie victorienne au rang d’art, et Gertrude Käsebier, considérée au début du 20epour certaines déjà, collectivement, il s’agit de permettre au public d’aujourd’hui d’apprécier comment une
pratique photographique longtemps marquée au sceau des normes de la sociabilité féminine s’est précisément révélée, pour certaines auteures d’exception, comme une possible voie d’émancipation voire de subversion.
© Alice Boughton
C’est ainsi résolument en termes de périmètres et de stratégies (de reconnaissance, de conquête de nouveaux terrains d’expression, etc..) que le phénomène est abordé. Le parcours tend tout d’abord à faire comprendre comment le médium a, dès le milieu du 19ela bonne société et le plein air, mais aussi favorisé, d’une manière générale, l’insertion des femmes au sein des espaces sociaux d’échanges que constituent les premiers réseaux professionnels et amateurs de la photographie. Questionnant l’interpénétration entre théâtre du genre et théâtre photographique, l’exposition met ensuite en valeur la prédilection des photographes pour l’exploration des territoires du « féminin », particulièrement notable à partir des années 1860 dans les registres du portrait et de la fiction. Il s’agit ici d’examiner en quoi les représentations féminines, celles du sentiment maternel ou du monde de l’enfance, ont pu se nourrir à la fois de cette expérience sensible et propre à leurs auteures, et des potentialités photographiques de l’intimité vécue avec les modèles.
En miroir, les enjeux de représentation auxquels les femmes se sont confrontées en abordant le terrain de la différence sexuelle sont naturellement soulevés: poser un regard sur l’époux, le père ou le grand homme, proposer une vision du couple, questionner les identités sexuelles ou la représentation du corps nu masculin et féminin...autant d’actes photographiques qui impliquent plus que jamais un positionnement vis-à-vis du regard masculin, qu’il s’agisse de celui du modèle photographié, celui véhiculé par des siècles d’iconographie ou celui des spectateurs et critiques contemporains.
Le parcours s’attache encore à déployer une forme inédite de positionnement, celle qui se répand au tournant du siècle à travers un phénomène croissant d’intrusion et d’implication, en tant que photographes, des femmes dans la sphère publique. Soutenu par l’émergence de la figure anglo-saxonne de la New Woman indépendante et progressiste, celui-ci signe la conquête des territoires, jusqu’alors réservés aux hommes, de l’autre et du politique: praticiennes d’atelier mais aussi pionnières du reportage amateur ou professionnel, les photographes sont de plus en plus nombreuses à prendre part, à travers leurs images, à la question des minorités sociales ou ethniques, à celle de l’éducation, à la lutte pour les droits civiques des femmes ou à la représentation des événements de la Grande Guerre.
2eme partie : 1918-1945 – Musée d’Orsay
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, nombreuses sont les photographes femmes qui participent à la naissance de la photographie moderne et à l'effervescence créative qui caractérise la période de l'entre-deux-
guerres. Elles contribuent activement à l'institutionnalisation du champ et accèdent ainsi à une forme de légitimité : organisation d'expositions, création d'écoles, constitution de réseaux d'apprentissage et d'entraide, direction de studios commerciaux, mise sur pied d'agences, prise en charge de l'histoire du médium par l'écriture d'articles et d'ouvrages pratiques et théoriques. Être photographe devient pour elles un métier aux multiples facettes et applications. L'interpénétration de ces pratiques, ainsi que la mobilité géographique à l'échelle internationale rendent désormais en grande partie caduques les formes académiques.
Si les femmes s'inscrivent dans une forme de continuité avec celles qui les ont précédées en pratiquant encore les genres qui leur ont été traditionnellement dévolus (portrait, botanique, théâtre de l'intime), elles subvertissent et transgressent de plus en plus les codes artistiques et sociaux, introduisant volontiers un regard critique et distancié sur leur statut inférieur et sur les relations de domination entre les sexes.
Munies de leur appareil, elles pénètrent le monde politique, vont sur le théâtre de la guerre, s'aventurent seules dans des contrées exotiques : leur statut de photographe leur permet ainsi d'investir des espaces jusque là peu fréquentés par les femmes, voire interdits à elles.
© Agnès Verel
Aussi le parcours de la seconde partie de l’exposition est-il scandé par trois sections thématiques : Le détournement des codes, Autoportrait, auto-représentation et mise en scène de soi et la conquête des nouveaux marchés de l’image. (Germaine Krull, Margaret Bourke-White, Tina Modotti, Barbara Morgan, Gerda Taro, Dorothea Lange).