© Darren Almond
Turner, Ruskin, Friedich... nombreux sont les peintres au prologue du livre. Darren Almond est hanté par le mystère lunaire que ces artistes ont peint ou même écrit. Comme pour leur rendre hommage, les photographies s'accompagnent de leurs textes poétiques, décrivant la Lune dans ses moindres détails. Les descriptions donnent des pistes à Darren Almond et à sa carte aux trésors, mais elles donnent aussi le fil conducteur de l'ouvrage. Cette grande influence artistique permet au photographe anglais de travailler. Il s'inspire du souvenir, de l'histoire et du concept du temps. Fullmoon devient donc une œuvre recherchée, tout comme Night As A Day qui pistait déjà les paysages peints par Turner. Mais que recherche vraiment Darren Almond ? Si ce n'est d'infirmer ou de confirmer les captations émotionnelles et visuelles de ces prédécesseurs et artistes ?
© Darren Almond
Explorateur et photographe, Darren Almond cherche à résoudre le puzzle de cette Lune si énigmatique. Il compose ses photographies autour de la lumière lunaire, qui selon les régions et les saisons du monde se révèle différemment. Les montagnes d'hiver ne sont pas uniquement bleues et blanches, elles peuvent être aussi turquoises, ocres, comme celles de Darmouth et Albion. L'eau n'est pas uniquement translucide, elle peut être dense et opaque comme pour Fullmoon Tide et Baltimore.
Cette polysémie qu'offre la Lune, Almond sait l'apprivoiser. Pas un seul paysage n'échappe à sa quête : Antarctique, Arctique, Islande, France, Sibérie, Japon... Ce panel de clichés dévoile une patience infinie. D'abord, il déniche les recoins par-dessus les plaines. Il capte des détails d'arbres pour Huangshan Pine Fullmoon, un vestige de ruisseau dans North Sea Canyon... Puis, il compose avec les éléments, où même une photographie prise de l'intérieur pousse à mettre le pied dehors. Une pièce de Lacock Abbey est plongée dans le noir. La seule chose visible est une fenêtre qui donne sur un vaste jardin lumineux mais flou en arrière-plan. Enfin, il perce les secrets esthétiques de chaque paysage. La glace d'Artic Plate en est un, où le panorama bascule entre le bleu et le violet, entre le floue et le net. Le brouillard d'Eternal Falls en est un autre. La couleur est indiscernable, seules les formes s'émancipent de ce paysage qui dévoile alors ses cascades et sa végétation.
© Darren Almond
Même si tout semble paisible, à la limite du soporifique sous la belle Lune... Darren Almond donne vie à ces paysages immobiles. Certains ont des allures fantomatiques. La montagne d'Highland bascule dans l'obscurité au premier-plan dès la tombée de la nuit, tandis que le ruisseau de Brook, lui, semble habité par des fantômes. L'eau est spectrale, entourée d'une épaisse brume blanche et de contrastes noirs. « Le clair de lune a quelque chose de fantomatique ; il a toute la froideur d'une âme désincarnée, et un peu de son mystère », raconte l'écrivain Joseph Conrad. Dans sa construction photographique, Darren Almond assimile ses images à ces mêmes poèmes et peintures qui les accompagnent. C'est le cas de sa série au Japon, à la manière de Sesshu Toyo et son dessin Sansui Chokan (1486). Il capture les arbres japonais avec Hanami-Yama, Sesshu II et Yama, aux couleurs noires comme l'encre de chine.
© Darren Almond
Mais à force de voir autant de paysages, le lecteur perd son sens de l'orientation. En effet, Darren Almond fabrique sa propre Nature. Il lui donne des perspectives différentes. C'est le cas de Iapetus-Gorge, où deux roches noires aux extrémités du cadre laissent entrevoir un corps bleu, celui de l'océan qui repose sous le ciel. Ces derniers sont superposés, alignés à la suite, sans profondeur de champ. La nature paraît irréelle, les formes se perdent dans la lumière lunaire, comme une peinture, un dessin. Full Moon Bow le montre aussi. L'eau de la cascade est si dense qu'elle empiète sur la totalité du champ. Seul un îlot de végétation est visible, comme une soucoupe volante au-dessus de cette masse liquide. Cette intemporalité que dégagent ces décors permettrait de perpétuer leur poésie au-delà des générations futures. Ce livre est un voyage autant pour le lecteur que l'auteur qui rappelle : « Et à la fin de toutes nos explorations, nous reviendrons à notre point de départ et verrons cet endroit comme si c'était la première fois ».
Juliette Sellin
© Darren Almond
© Darren Almond
© Darren Almond
Darren Almond - Fullmoon
Editeur : http://www.taschen.com
Prix : 49,99e