© Spirit of Place by Aurélien Villette, published by teNeues, www.teneues.com. Photo © 2015 Aurélien Villette and YellowKorner.
Le recueil Spirit of Place du photographe Aurélien Villette pousse à son paroxysme la force véhiculée par les images de paysages en ruine. Les lieux abandonnés sont dénichés par l'artiste au fil de ses voyages. Spirit of Place montre une Terre sans les Hommes, comme oubliée là, entre passé et présent. Bienvenue dans cet envers du décor, cette autre planète vidée de toute présence humaine.
Aurélien Villette n'est pas le premier artiste à s'inspirer du motif des ruines. Et pour cause, il marche dans les pas de quelques écrivains et poètes du XIXème siècle, comme Théophile Gautier, qu'évoque Harold Hinsinger dans sa préface. Et bien avant, dès la Renaissance, le thème des vestiges antiques inspirait les artistes, qui y voyaient le symbole d'un passé glorieux. Si les ruines renvoient souvent l'image d'un âge d'or révolu, elles peuvent aussi, par contraste, symboliser un patrimoine délabré ou amené à disparaître. Les photographies d'Aurélie Villette questionnent une civilisation qui abandonne ses anciennes terres conquises. On voit dans les clichés des terrains entiers rendus à la nature, parfois même encore meublés et décorés.
© Spirit of Place by Aurélien Villette, published by teNeues, www.teneues.com. Photo
© 2015 Aurélien Villette and YellowKorner.
Les jeux de lumière dans les clichés redonnent de la vie aux lieux : la lumière réveille l'architecture, elle s'engouffre dans les espaces vides et insuffle, en quelque sorte, une nouvelle humanité aux décors. Mais cette humanité est désincarnée, pareil à des « esprits », d'où le titre du livre, Spirit of Place. Les clichés sont réalisés sous des angles très larges, comme si, justement, l'artiste voulait faire entrer dans ses photos le plus de clarté possible. Même lorsque les lieux sont petits, il parvient à les agrandir en se focalisant sur des fenêtres, une flaque d'eau au sol ou des peintures murales. Tous ces artifices élargissent l'horizon de la photo et forcent notre regard à sortir du champ.
Pas de dénonciation de la misère humaine
Cependant, Aurélien Villette n'adopte pas de posture journalistique car il ne dénonce pas les ravages sociaux de la crise économique. Lorsqu'il photographie des vestiges, il omet de localiser les lieux. Ainsi, on est toujours dans une impression d'anonymat et non pas dans un travail critique, contrairement à ce qu'on pourrait voir ailleurs, comme c'est le cas par exemple pour la ville de Détroit. Située dans la région des Grands Lacs aux États-Unis, la ville a souffert d'un départ massif de sa population, depuis la crise économique qui a mené à la fermeture de nombreuses usines en centre-ville. Détroit est souvent surnommé le « désert » et inspire paradoxalement les artistes, qui perçoivent la mélancolie d'un âge d'or pas si lointain, lorsque la ville attirait presque deux millions d'habitants dans les années 1950, grâce à l'industrie automobile fleurissante. Les photographes français http://www.marchandmeffre.com/detroit">Yves ont témoigné dans l'ouvrage Ruines de Détroit (2010) du délabrement et de la vision apocalyptique de Détroit aujourd'hui. Le cinéaste Jim Jarmush a également fait de l'ancienne cité industrielle le décor phare de son dernier film Only Lovers Left Alive (2013), pour illustrer le dépérissement des esprits par le vide urbain.
À la place de dénoncer les conséquences de la crise économique et la déchéance des villes laissées à l'abandon, Aurélien Villette choisit de mettre en avant le côté esthétique des ruines, en photographiant beaucoup de bâtiments religieux, des bancs et des autels d'églises dans la première série du receuil, « Dogma ». Toujours avec cette même visée contemplatrice, le second chapitre « Topophilia » donne à voir d'anciennes habitations, où les objets de la vie courante, épars, sont sublimés.
© Spirit of Place by Aurélien Villette, published by teNeues, www.teneues.com. Photo
© 2015 Aurélien Villette and YellowKorner.
Un photographe architecte
Le regard qu'Aurélien Villette porte sur les lieux est un regard d'architecte avant tout. La série « Dogma » lui a même valu le premier prix d’architecture historique à l’International Photography Awards en 2014. Les salles deviennent des sujets photographiques en elles-mêmes. L'artiste s'attache aux détails, à tous ces petits riens qui rendent les lieux singulièrement beaux. Le chapitre « Verticality » rend bien compte de l'attirance du photographe pour le monde de l'architecture, en montrant par exemple des dizaines de cages d'escaliers. Au sein d'une demeure, l'escalier, qui est à première vue un élément assez banal du décor, peut se révéler être le détail avec lequel l'architecte montre l'étendue de son art et de son imagination. Certains sont parfois dotés de rambardes fantaisistes, d'autres sont construits avec des matériaux innovants ou selon des courbes originales. Et les clichés du photographe mettent justement en valeur la personnalité de chacun des décors.
© Spirit of Place by Aurélien Villette, published by teNeues, www.teneues.com. Photo
© 2015 Aurélien Villette and YellowKorner.
En amoureux des lieux, Aurélien Villette s'inscrit dans un mouvement photographique plus large, l'Urbex. Devenu un véritable phénomène, l'Urbex se développe aussi bien chez les photographes amateurs que professionnels, quelquefois regroupés en collectifs, comme http://www.marchandmeffre.com/detroit">Yves. Le terme « Urbex » est un acronyme désignant l'exploration urbaine. Dans la pratique, les participants visitent des lieux généralement abandonnés et souvent difficiles d'accès voire interdits, comme les friches, les souterrains et les toits. Aurélien Villette a cette même démarche frénétique, presque obsessionnelle, qui est de chercher sur sa route des lieux en ruine. A travers ses photographies, il révèle un patrimoine oublié de la civilisation.
Ce patrimoine est poétique et porte en lui à la fois la grandeur d'antan et la misère actuelle. Les objets mis en scène semblent parfois tellement insolites que l'on croirait presque qu'ils ont été posés là exprès pour la photo.