Paris, 2008 © Myriam Tangi
Musée d'art et d'histoire du Judaïsme 71, rue du Temple 75003 Paris France
Depuis 1985, Myriam Tangi photographie l'espace des femmes dans les lieux de cultes juifs. Lors d'une cérémonie religieuse, les femmes sont traditionnellement au balcon, cachées derrière des voiles. Alors que la sélection des photographies de l'exposition « Mehitza. Ce que femme voit » au Musée d'art et d'histoire du Judaïsme semble dénoncer cette séparation, le propos de l'artiste est tout autre, révélant un paradoxe propre aux religions.
Région Parisienne 2008 © Myriam Tangi
Myriam Tangi est une femme aux multiples talents. Diplômée des Beaux-Arts de Paris, elle est à la fois peintre, poète et photographe. Son œuvre a été récompensée à de multiples reprises par la Fondation de la Vocation, la Ville de Paris ou encore les Fondations Taylor et Charles Oulmont. Elle est aussi reconnue par le célèbre photographe Lucien Clergue pour sa capacité à « créer une véritable œuvre d’art chargée de signification ». Et effectivement son exposition de photographies sur la séparation des femmes et des hommes, la mehitza, est d'une symbolique forte.
New York 2008 © Myriam Tangi
La mehitza est une coutume, s'ancrant dans le topos de la séparation, cher à la religion juive. Elle est supposée protéger les hommes – aussi bien que les femmes ajoute Myriam Tangi – de leurs désirs dans un lieu saint. Ainsi toute l'attention est reportée sur une relation verticale avec un supposé Dieu. On interdit donc à l'humain d'être humain pour mieux prier et méditer. Myriam Tangi ne s'était jamais interrogée sur cette séparation avant de réunir ses nombreuses photographies et de constater, à travers elles, que les femmes ne voyaient rien aux cérémonies. L'interdiction de voir, de toucher et de la lire la Torah pour les femmes suscite alors chez elle une interrogation spirituelle et philosophique. Dix ans de travail et de questionnement l'ont mené à réaffirmer la place de la mehitza comme nécessaire. Répondant à notre question sur le sujet, elle explique que « chaque élément en ce monde a besoin de son espace d'autonomie pour se réaliser, se mettre en relation aussi bien avec lui même qu'avec les autres, et bien sûr avec son Créateur quand il entre dans un espace dédié telque celui d'une synagogue ». Ainsi elle milite pour que la femme puisse avoir accès à la Torah tout en gardant une séparation avec l'homme. Selon elle il faut repenser la séparation et non pas la réduire à une relégation du deuxième sexe.
Paris 2007 © Myriam
Voyageant aux quatre coins du monde, l'artiste rend un travail documentaire admirable. Passant par la France, les Etats-Unis, Israël ou encore l'ex-URSS, elle matérialise par l'image cette mehitza. Des voiles, des paravents, des murs, des rideaux, des balcons, tout est fait pour que l'homme et la femme ne communiquent pas pendant la cérémonie. Malgré tout, l'échange existe. Une main masculine traverse le rideau pour l'aumône, des femmes soulèvent les rideaux pour regarder la cérémonie, une femme et un homme sautent des deux côtés d'un paravent lors d'une fête de mariage. Les interdictions sont ainsi transgressées de façon récurrente semblant révéler l'absurdité du procédé.
Paris 2004 © Myriam Tangi
La séparation n'est qu'une illusion, un leurre qui n'empêche pas les regards de se tourner vers la mehitza pour tenter d'apercevoir ce qui se passe de l'autre côté. C'est elle qui suscite la curiosité, entretient le désir en amène de la frustration. Les photographies de Myrian Tangi, quoique répétitives, sont belles parce qu'elles saisissent les interstices, les fissures, les failles dans la séparation. A travers ces trous (au caractère forcément érotiques), le regard féminin convoite l'Autre aussi bien que l'accès au sacré. Lorsqu'elles sont prises d'un balcon, les photos sont explicites : Myriam Tangi traque l'amas de corps masculins, une foule d'hommes obsédante. Donc au-delà du fait que même chez les orthodoxes, la mehitza est transgressée par des gestes du quotidien, elle provoque aussi l'inverse du résultat escompté.
Paris 2007 © Myriam Tangi
Photographiés principalement en noir et blanc, ces lieux de cultes semblent appartenir au passé. Dans cette exposition, l'utilisation des deux couleurs opposées s'inscrit dans le thème de la séparation, introduit l'idée de passivité et du refus d'un temps contemporain, un temps de couleurs.
Pourtant dans certaines communautés, comme chez les massortis aussi photographiés par Myriam Tangi, la mehitza a disparu et la femme peut officier aux côtés de l'homme. La méditation peut alors se faire sans refoulement, au cœur de notre société contemporaine.
Jérusalem 2010 © Myriam Tangi
Sur France Culture, Myriam Tangi explique qu'elle souhaite inviter les gens à réfléchir, sans forcément prendre position, même si elle explique que la séparation lui semble utile. Dès lors ses photos lui échappent car elles parlent contre la mehitza et révèlent sa contradiction. Alors qu'elle soutient et photographie, en couleur, des femmes militant en Israël pour avoir le droit de prier au Mur des Lamentations, la position de l'artiste révèle le paradoxe des religieux qui observent leur propre absurdité sans pour autant parvenir à la remettre en cause.
A voir jusqu'au 26 Juillet au Musée d'art et d'histoire du Judaïsme