© Evgenia Arbugaeva in camera galerie
Les photographies de la jeune artiste russe, Evgenia Arbugaeva, racontent des histoires féeriques, vécues par de simples humains. Pour sa série Weather Man, actuellement exposée à la galerie In Camera, elle a suivi Slava Korotkiy, un météorologiste isolé du Grand Nord.
Elle l'a rencontré sur un brise-glace. Le bateau c'est un peu lui, défiant la glace, l'angoisse et le temps. Slava Korotkiy vit tout seul depuis 13 ans, dans la petite station météorologique de Hodovarikha, au bord de la mer de Barents. Il relève quotidiennement les températures, la qualité de la neige, la force du vent et des marées. Il le fait malgré le froid glacial, malgré les tempêtes, comme s'il avait muté en animal inuit. Le Grand Nord est son habitacle. Lorsqu'il retourne en ville pour visiter sa femme, Slava Korotkiy se sent étranger, perturbé par le bruit des voitures, l'activité humaine. En faisant sa rencontre, Evgenia Arbugaeva est persuadée que le choix de l'isolement est lié à un drame profond. Peu à peu, elle comprend qu'il n'en est rien, que c'est simplement l'environnement qui lui convient, qu'il se sent vivant là-bas, « comme s'il était lui-même le vent, ou le temps ».
© Evgenia Arbugaeva in camera galerie
Slava Korotskiy est un personnage de roman. Un aventurier du XXème siècle, suivant les traces des premiers explorateurs de l'Arctique, héritier de Jack London. Dans l'un des portraits d'Evgnia Arbugaeva, il apparaît sur le départ, le col de sa veste relevée, un sourire discret sur le visage. Son regard, d'un bleu aussi pur que celui des eaux glacées, semble se perdre au loin, dans ses rêves de terres gelées. Autrefois admirés tels des astronautes en partance pour la lune, les chercheurs du Grand Nord de l'ex-URSS sont aujourd'hui moins nombreux et moins reconnus. Pourtant son travail est nécessaire, il le transmet en morse tous les jours à un inconnu. Evgenia Arbugaeva photographie la vieille machine qui lui permet d'échanger, cette machine qui symbolise sa relation à l'Autre (ci-dessus). La puissance du cliché est renforcée par le pittoresque du cendrier rempli de cigarettes et du papier peint défraîchi sur le mur. On imagine Slava passant des heures, des mois, des années, à cette table, face à cet objet devenu antique, seul souvenir de la civilisation.
On pense alors à l'ouvrage de Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie. Il y choisissait de fuir les villes pour trouver la solitude, véritable luxe - selon lui - de notre société moderne. A sa manière, Slava Korotskiy interroge, lui aussi, le quotidien des citadins et l'absurdité des vies effrénées.
© Evgenia Arbugaeva in camera galerie
Deux ans plutôt Evgenia Arbugaeva, après avoir fait des études à New York, était revenue dans sa ville natale à Tiksi, petit port russe de l'océan Arctique. Elle avait déambulé dans la ville enneigée suivant une petite fille espiègle. Avec Slava Korotskiy, elle reproduit le processus en l'accompagnant tranquillement dans ses déambulations. Evgenia Arbugaeva traduit une réalité mais, grâce au récit, parvient à éviter l'écueil documentaire. Son héros romanesque la guide à travers les lumières crépusculaires du Grand Nord, devient un point de repère dans cette étendue fantastique. Malgré la solitude, on sent la chaleur humaine de cet homme, comme dans cette photo où il est attablé, regardant sa perruche. Les couleurs qu'utilise la photographe participent de cette sensation de chaleur, présentant la vieille station météorologique comme un refuge apaisant. Il semble heureux et serein ce travailleur du nord, prêt, peut-être, à nous accueillir pour partager une tasse de « tchaï » (thé en russe). Lui repartirait dans le froid, son élément, tandis que nous resterions là, à le contempler derrière la vitre, comme le plus sage des hommes qui s'éloigne. On se dit qu'au cours d'une de ses explorations, au cœur de la tempête, l'homme a dû trouver le centre de l'univers et que, depuis ce jour, il en est le gardien silencieux.
Paulina Gautier-Mons