Kin, Pieter Hugo
© Pieter Hugo, Tamsyn Reynolds pregnant with our first child, cape town, 2010
Adolescent à la fin de l'Apartheid (1991), Pieter Hugo n'aura de cesse lui-même de se réapproprier son pays, loin d'avoir résolu la violence ou les inégalités. Les plus curieux sont servis : sa terre natale -intime et publique- devient palpable. Si vous avez aimé le périple intime en Afrique du Sud offert durant l'exposition, vous tomberez sous le charme du catalogue qui explore plus largement cette Afrique du sud sans artifice, telle «une introspection réaliste qui tente d'évaluer le fossé qui sépare les idéaux d'une société et sa réalité», dixit Hugo.
© Pieter Hugo, Tafelberg Road, cape town,2013
Tamsyn Reynolds enceinte de notre premier enfant, Cape Town (2010) ouvre intimement l'ouvrage. Kin, ne l'oublions pas, signifie à la fois «intime» et «famille». Entièrement nue, le ventre gonflé à bloc, Tamsyn Reynolds fixe l'objectif, jonchée par des faisceaux de lumière. Ce cliché juxtapose un fragment de photographie où se tient une route brumeuse et fissurée, dotée d'une végétation touffue sur les bas-côtés. Le silence pèse sur sa propre famille, placée aux côtés de cette route creusés de sillons, ces sillons du temps qu'on retrouve sur de nombreux visages. La photographie annonce avec force la volonté de Pieter Hugo de lier des éléments familiers qui façonnent son quotidien.
Les 87 pages du livre sont construites sur le même principe que l'exposition, celui de l'alternance entre les portraits, les natures mortes et les paysages. Voici une Afrique du Sud sans emphase, telle quelle, d'une franchise imperturbable. Inédit : Lize Hugo après son opération de réduction des seins, Cape Town (2011). Elle trône, triomphante, sur son lit d'hôpital après la chirurgie qu'elle vient de subir. Sa poitrine est recouverte de pansements et de bétadine, le sourire aux lèvres, des lunettes de chat encadrant ses yeux francs. Le cliché concèderait-il à l'espoir général une reconstruction sud-africaine?
© Pieter Hugo, Lize Hugo after her breast-reduction surgery, cape town, 2011
Cela dit, mieux vaut ne pas se leurrer : le pays est bercé par la violence sociale, politique et raciale. Pieter Hugo a mûri : les natures mortes qui émaillent l'ensemble nous amènent pieds et mains liés dans la sphère de l'intime et du modeste. Ces intérieurs sont souvent marqués, à l'instar des personnages dont les traits tracent une vie sans relâche, où le plaisir et la joie se font rares. Linda Ntsukwana, Colesberg (2013), est un portrait où le visage noir est entièrement fardé de rouge, regardant sans concession l'objectif. Le canapé bleu turquoise, entièrement craquelé, fait rugir ardemment le regard et le carmin furieux de Linda. La puissance silencieuse qui émane de ce cliché, aux côtés de Outside Pretoria (2013), dévoilant les suburbs vides (mais maculés de déchets), questionne l'avenir d'un pays ravagé par les tensions interraciales et les luttes sociales.
© Pieter Hugo, Linda Ntsukwana, colesberg, 2013
© Pieter Hugo, Outside Pretoria, 2013
L'humanité entière est à feuilleter.
© Pieter Hugo, Sunrise, blombos farm, 2013
Estelle Magnin
Introduction par Pieter Hugo, Texte de Ben Okri (auteur)
Aperture (editeur)
janvier, 2015 (parution)
ISBN 978-1-59711-301-4
164 pages
60 euros
Lien vers l'article sur l'exposition: http://actuphoto.com/30579-kin-pieter-hugo-sonde-l-ame-de-l-afrique-du-sud.html">Actuphoto.com/pieterhugo