Mercredi 25 Février 2015 17:59:09 par actuphoto dans Expositions Chroniques

« Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure » est le titre étonnant de la première exposition française de la talentueuse artiste Taryn Simon. Et cela valait la peine d'attendre ! Le Jeu de Paume nous fait découvrir cinq des séries les plus emblématiques de l'artiste, toutes réalisées après 2000. Une critique acerbe de notre société à découvrir sans plus attendre.

Taryn Simon est née en 1975 à New York. Elle ne se contente pas de faire de la photographie contemplative mais cherche au contraire à dénoncer. Son combat l'amène à réaliser en amont un important exercice de recherche. Menant un travail se rapprochant du journalisme d'investigation, elle s'intéresse à des sujets divers tels que la politique, les sciences, la génétique, la sécurité, l'éthique, la généalogie ou encore la justice. Une étude de fond qui lui permet aujourd'hui de dépeindre la réalité de notre monde, dont les paradoxes offrent des sujets innombrables.

En visitant les salles nichées au premier étage du Jeu de Paume, on pourrait croire que toutes les œuvres ne viennent pas de la même artiste tant les thèmes abordés et les techniques utilisées sont multiples. On voyage d'un univers à un autre, en franchissant les voûtes séparant les galeries.

À peine arrivés en haut de l'escalier, le ton est donné avec la projection d'un court clip intitulé Cutaways. On y voit des journalistes de l'émission Prime Time Russia demander à Taryn Simon de rester immobile et silencieuse quelques minutes à la fin de son interview afin de réaliser des plans de coupe de cette dernière, selon la chaine. Pourtant, lorsqu'on connait la situation de la presse en Russie, cette demande est à remettre en question...

Cutaways, 2012 © Taryn Simon

En pénétrant dans la première salle, nous découvrons le thème de la série « The Innocents », qui ouvre l'exposition. Elle traite de la condamnation d'innocents aux États-Unis, une dure réalité qui révèle les failles du système judiciaire Outre-Atlantique. L'installation nous fait découvrir plusieurs type de photographies, toutes capturées dans des lieux primordiaux de l'histoire pénale de ces hommes. Un retour sur des scènes de crimes pour certains, comme c'est le cas de Troy Webb. Incarcéré 7 ans pour viol et enlèvement, il a finalement été innocenté. Et il pose aujourd'hui au cœur de cette forêt humide, en costume cravate, comme pour exorciser ces années de cauchemar. Larry Mayes a quant à lui accepté de retourner sur le lieux de son arrestation. C'est caché sous le matelas de sa chambre d'hôtel glauque que cet homme a finalement été retrouvé par la police, avant de passer plus de 18 ans derrière les barreaux pour viol et vol. On découvre également qu'un alibi sera toujours remis en cause chez un homme noir et pauvre... À travers ses clichés, Taryn Simon cherche à remettre en cause la mémoire, qui peut parfois nous jouer des tours, comme lorsqu'un témoin oculaire reconnaît formellement un « suspect » qui n'avait rien à voir dans un crime sordide...

Troy Webb, Scène du crime, The Pines, Virginia Beach, Virginie
Incarcéré 7 ans à la suite d'une condamnation à 47 ans de prison pour viol, enlèvement et vol
The Innocents © Taryn Simon

Larry Mayes, Scène de l'arrestation, The Royal Inn  Garry, Indiana
La police a trouvé Larry Mayes caché sous le matelas de sa chambre d'hôtel.
Incarcéré 18,5 ans à la suite d'une condamnation à 80 ans de prison pour viol et vol
The Innocents © Taryn Simon


Larry Youngblood, Emplacement de l'alibi, Tucson, Arizona
Avec Alice Laitner, sa compagne et témoin lors du procès
Incarcéré 8 ans à la suite d'une condamnation à 10,5 années de prison pour agression sexuelle, enlèvement et abus sexuel sur mineur
The Innocents © Taryn Simon

La suite de la visite nous plonge un peu plus dans les heures sombres de l'Histoire avec « A Living Man Declared Dead and Other Chapters I - XVIII ». Du génocide en Bosnie à la descendance d'Adolf Hitler, ces destins tragiques se mêlent avec une réalité glaçante à travers des œuvres triadiques. Le premier tableau nous présente des portraits d'individus unis par le sang, à travers une sorte d'arbre généalogique, dans laquelle le vide a une place tout à fait particulière. En effet, l'artiste laisse une photo représentant un fond blanc là où y aurait du avoir un des membres de cette famille. Mais ce n'est que dans la seconde partie de l'oeuvre que nous apprenons à travers divers documents les raisons de cette absence. Maladie, décès, emprisonnement, autant de drames qui ponctuent leurs histoires. Le dernier volet de l'oeuvre apporte des preuves au récit et permet de remettre dans le contexte la destinée brisée de ces familles.

Chapitre XI, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I-XVIII © Taryn Simon


Détail, Chapitre XI, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I-XVIII © Taryn Simon

Il faudra attendre la salle suivante pour retrouver un thème plus léger avec la découverte des collections iconographiques de la bibliothèque de Mid-Manhattan. Cette division de la bibliothèque publique de New-York propose en effet la plus grande collection mondiale de tirages, cartes postales, affiches et images découpées. Taryn Simon prouve par cette installation quelle importance peut avoir l'archivage dans notre société et fait le parallèle avec des célèbres moteurs de recherche. Des images rassemblées par thèmes, dont certains font sourire. C'est notamment le cas de « vues arrières ». Cette collection rassemble, comme son nom l'indique, un nombre impressionnant d'images vues de l'arrière. Un programme alléchant pour se retrouver dans la peau d'un voyeur le temps d'une visite !

Dossier : Blessés, The Picture Collection, 2013 © Taryn Simon


Dossier : Autoroutes, The Picture Collection, 2013 © Taryn Simon


Dossier : Paniques financières, The Picture Collection, 2013 © Taryn Simon

Les deux dernières séries proposées par l'artiste sont plus contemporaines. « An American Index of the Hidden and Unfamiliar » traite de la décadence de la société américaine à travers des lieux ou des projets qui ne sont pas accessibles au grand public. On peut par exemple découvrir une unité de conservation du Cryonics Institute, symbole de la plus grande crainte des Hommes : celle de disparaître à tout jamais. Compter 35000$ pour la « vie éternelle ». Une autre photo nous révèle l’existence d'un parc d'un peu particulier dans le Tennessee : la Ferme des Corps. Un hectare de forêt dans lequel des cadavres en décomposition jonchent le sol. Ce complexe d'anthropologie légale est la plus grande collection américaine de corps qui pourrissent en plein air... ambiance.

Cryopreservation Unit, Cryonics Institute, Clinton Township, Michigan
An American Index of the Hidden and Unfamiliar
© Taryn Simon


White Tiger (Kenny), Selective Inbreeding
Turpentine Creek Wildlife Refuge and Foundation, Eureka Springs, Arkansas
An American Index of the Hidden and Unfamiliar
© Taryn Simon


Hymenoplasty, Cosmetic Surgery, PA, Fort Lauderdale, Florida
An American Index of the Hidden and Unfamiliar
© Taryn Simon

« Contreband » clôt l'exposition en proposant aux visiteurs de découvrir les objets retenus aux douanes américaines. Une collection de 1075 photos qui étonnent de par leur diversité. Cigarettes, médicaments, couteaux, animaux rares, accessoires de mode, statuettes africaines ou encore armes, le Service fédéral d'inspection des douanes découvre tous les jours de nouvelles importations insolites, par voie terrestre ou postale. Taryn Simon est restée une semaine dans leurs locaux situés dans l'aéroport new-yorkais John F. Kennedy afin de photographier sans relâche ces trouvailles.

Cigarettes & tabac (abandonnés/illégaux/interdits)
Contraband, 2010 © Taryn Simon


Sac à main, Louis Vuitton (dissimulé) (contrefait)
Contraband, 2010 © Taryn Simon


Cadavre d'oiseau, étiqueté "décor d'intérieur", Indonésie à Miami, Floride (interdit)
Contraband, 2010 © Taryn Simon

L'exposition proposée au Jeu de Paume est à conseiller à tous, tant l'artiste arrive à parler avec brio de tous les sujets qu'elle propose. Vous avez jusqu'au 17 mai 2015 pour venir découvrir le travail de cette photographe pas comme les autres. Le musée propose également le travail « Le miroir des avant-gardes » de Florence Henri.

Anaïs Schacher

Florence Henri est aussi au Jeu de Paume : notre chronique est à lire http://actuphoto.com/31142-florence-henri-aurait-du-etre-un-homme.html"