© Anne-Frédérique Fer/France Fine Art
La photographe Flore a grandi en Egypte et commencé la photo dès son plus jeune âge. Son livre Une femme française en Orient, paru en décembre chez Postcart Edizioni,, présente avec émotion et sensibilité un voyage atemporel autour de la Méditerranée. Rencontre avec cette photographe hors du commun.
Quel est votre parcours de photographe ?J'ai toujours photographié ! Dès 14 ans je me disais qu'un jour, je serai photographe, c'était très clair dans ma tête : je n'ai jamais voulu faire autre chose ! En commençant aussi tôt, j'ai acquis une technique et à 24 ans j'enseignais déjà. Mais j'ai mis beaucoup de temps à avoir quelque chose à dire. À 33 ans ma perception du monde a été profondément secouée par la perte d'un de mes proches. Il était jeune et il est parti en 18 mois. La seule façon d'exprimer ma douleur et ma révolte a été la photographie. Et ces photos, je les faisait pour lui, comme un moyen de communication. C'est de cette manière qu'est née ma première série reconnue, Jardin Secret.
Lorsque l'exposition de cette dernière s'est achevée, j'étais tellement bouleversée que j'ai eu une période de creux, je n'avais plus rien à dire. En 2000 j'ai eu énormément de chance car la Mairie de Paris m'a donné une carte blanche de 5 ans. Un énorme projet que m'avais confiée Françoise Marquet, conservatrice en charge de la photographie. J'avais une exclusivité artistique sur le Petit Palais, sur sa rénovation et sa modernisation.
J'ai enchainé sur un travail de deux ans sur le camp de concentration de Rivesaltes, qui n'est pas un camp d'extermination, heureusement car je n'aurais pas été capable de vivre ça humainement. Ce travail a été très difficile car il était encré dans mon histoire familiale, je suis franco-espagnole et petite fille de réfugié politique. J'y ai réalisé deux séries de photos : l'une en noir et blanc sur la souffrance et la seconde en couleur sur le souvenir.
© Flore
De quelle manière votre ressenti influe-t-il sur le choix de vos techniques ?
J'essaye avant tout de communiquer des émotions. Ma conception du tirage vient de là, c'est à dire considérer que la forme que prend le tirage, sa densité, son contraste, ses noirs, est un mode de communication en soit. Eugène Smith disait « 90% de la photo est dans le tirage ». Il n'y a rien en commun entre nous, mis à part mon admiration certaine, mais nous avons cette conviction que le tirage est vecteur de sentiments. Je travaille vraiment avec ce qu'il y a à l'intérieur de moi. J'aime prendre mon temps. J'ai d'ailleurs une préférence pour les travaux très long, qui sont abouti. Ma préférence pour l'argentique vient de là, car c'est un processus qui demande de la patience.
© Flore
Comment est né le projet d'Une femme française en Orient ?
Lorsque mes deux séries de photos sur le camp de Rivesaltes se sont achevées, j'étais épuisée mentalement, je voulais travailler sur des clichés plus colorés, avec moins de souffrance. J'ai passé une partie de mon enfance à Alexandrie, en Egypte et je me suis dit que j'allais y retourner, après plus de 40 ans. J'ai commencé par un travail sur la lumière de l'Egypte, qui a duré deux ans. Mais les derniers mois, j'étais à cheval avec Une femme française en Orient qui est devenu le sujet du livre. Dans ma tête il y avait un mix entre la couleur et le noir et blanc, j'ai donc décidé de séparer ce travail en deux séries.
© Flore
De quelle manière ce projet a-t-il évolué au fil du temps ?
Vous savez, l'Orient est arrivé en même temps que la photographie, les premiers photographes voulaient tous partir en Orient. Quand je suis partie, je voulais suivre les traces de Félix Bonfils ou de Maxime Du Camp.
J'ai pris avec moi seulement deux boitiers Polaroïd, avec l'idée de faire uniquement de la couleur. C'était ambigu. Quand je suis arrivée sur place, ça a été un choc culturel incroyable. Le Caire n'est pas une oasis, c'est une réalité et j'étais partagée entre ce que j'avais au plus profond de moi, entre des photos plus ou moins en noir et blanc et mes souvenirs vécus en couleur. J'avais des sentiments contraires qui me parcouraient, comme quand vous nagez en ressentant des courants froids et chauds. Une sensation étrange. Après avoir fini la couleur, je suis restée avec cette idée qu'en vérité je voulais faire du noir et blanc, comme si quelque chose n'avais pas été fait. Je suis donc repartie.
J’espère que celui qui va feuilleter ce livre le ressentira comme un carnet de voyage. C'est vraiment vouloir exprimer la beauté du monde. Partout où il y a eu des révolutions, où il y a de la pauvreté, il y a aussi cette beauté qui est intrinsèque à chaque pays.
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Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Adrian Claret-Pérez a réalisé un https://vimeo.com/30993883">documentaire. La première a été terrible, je pleurais presque tous les jours. Je n'avais jamais été confrontée à autant de pauvreté et c'était très douloureux. Il y avait une énorme dichotomie entre ce que je m'étais imaginé et la réalité au Caire. Vu que j'étais parti sur un travail en Polaroïd uniquement, notre budget était très serré et nous avons voyagé dans des conditions très dures. Je crois que j'ai fait tous les taudis d'Egypte... J'ai eu la chance de n'avoir amené que mes deux appareils, sans aucun autre boitier. Si j'avais eu autre chose, j'aurais été tentée de le photographier. Il est impossible de faire des photos dures avec un Pola, ce n'est pas fait pour, il est flou, il a des couleurs fausses, etc. J'étais traversée par des sentiments incroyablement forts, une frustration de ne pas pouvoir extérioriser ce que j'avais en moi par les images. Au début, j'ai fait des photos qui n'avaient pas de sens, le processus a été très long. Lorsque je suis partie du Caire pour rejoindre Alexandrie, ça a été comme une libération. J'ai retrouvé des souvenirs d'enfance tels que l'odeur de la brise marine et j'ai immédiatement commencé à travailler. Ce qui prend du temps, c'est de justement réussir à photographier ce que j'ai en moi. Je ne fais pas de photos de voyages, je cherche en permanence une adéquation entre moi et le monde.
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Quel est votre rapport avec le temps dans vos photos ? Avez vous voulu le figer dans vos travaux ?
J'ai voulu justement proposer des tirages ambigus. Si j'avais réellement voulu figer le temps, je n'aurais pas travaillé dans un format carré. Cette histoire est beaucoup plus complexe qu'une nostalgie. C'est contemplatif et actuel. Si j'avais souhaité arrêter le temps, je n'aurais pas photographié les gens ou certaines voitures. Quand les personnes qui regardent ce travail se disent « ah c'était avant » c'est parce qu'elles veulent croire que c'était avant. Je me suis décarcassée pour arriver à cette suspension du temps, pour que vous traversiez un espace entre aujourd'hui et maintenant
C'est un peu comme mon travail au camp de Rivesaltes. Ce qui m'intéresse, c'est comment on photographie quelque chose qui a été. Comment être dans le « maintenant » et pas dans l'instant. Il y a 70 ans des gens souffraient dans ce lieu où il ne reste que quelques baraques. Comment parler de cette souffrance alors qu'ils ne sont plus là ? C'est un challenge. Comment par la forme je peux engager des gens à ressentir une part de souffrance qui a été vécue dans ce lieu alors que lorsqu'on arrive il n'y a clairement plus rien ? Evidemment dans ce cas là j'évite par dessus tout les graffitis, pourtant très présents dans ces lieux, car il vous inscrit dans le temps présent et ne vous permet pas de revenir dans le passé.
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Avez-vous souhaité faire passer un message politique ou social à travers vos photos ?
Un message social je ne pense pas non, mais politique, probablement. Je crois à la politique, pas aux politiques. Je crois à l'engagement de chacun pour mettre de l'humanité dans le monde dans lequel on vit. Pour moi, les évènements du début de cette année ont été comme si quelqu'un piétinait mon jardin. Et je n'ai rien d'autre à opposer à ça que ma créativité. Je ne cède rien à la beauté que j'essaye de mettre dans la vie de tous les jours. En ça, c'est politique. En photographie, l'une des personnes qui a le plus compté pour moi est Robert Capa, donc je pense qu'on peut faire un certain type de photographie et aimer profondément d'autres genres. La photographie est multiple. Certains de mes confrères témoignent des guerres, des conflits et de la violence du monde avec beaucoup de courage et de talent. C’est important et ils le font mieux que je ne pourrais le faire moi-même. De ce que je vois du monde, tout ce que je peux faire c'est poser « du beau » dessus. C'est une forme de réalité. La beauté ne se porte pas très bien. Je ne veux pas faire juste joli, ça ne m'intéresse pas, j'essaye de partager avec vous le monde dans lequel je suis.
© Flore
© Flore
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Broché: 96 pages
Editeur : Postcart Edizioni (1 décembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 8898391285
ISBN-13: 978-8898391288
Dimensions du produit: 28 x 1,4 x 22 cm
Propos recueillis par Anaïs Schacher