©Riccardo Venturi
Shéhérazade Hamidi : Quelle a été votre première sensation lorsque vous êtes arrivé à Haïti ?
Riccardo Venturi : Avant que je n'aille à Haïti, nous avons reçu des informations sur ce séisme. L'île était vraiment très endommagée. Pas vraiment de sécurité ni de police, personne ne contrôlait la ville. Nous avons tous vu des gens courir dehors. Quand nous sommes arrivés tout était détruit, il y avait du feu et des corps partout dans la ville... Plusieurs pompiers étaient sur place. Les gens cherchaient de l'eau, des médicaments, de la nourriture, etc. Les hôpitaux étaient fonctionnels mais surpeuplés. En même temps, nous n'avions pas eu de réels problèmes avec la population. Comme je suis photographe, ils étaient vraiment gentils avec moi.
Vous êtes retourné trois fois à Haïti après le tremblement de terre, pouvez-vous nous dire pourquoi ?
J'y suis en fait retourné quatre fois. La dernière fois c'était il y a deux semaines. Je travaille pour les médias donc nous devons sauter d'un pays à l'autre pour couvrir des actualités. Mais surtout, j'y retourne pour avoir une vision complète des informations reçues au sujet de ce terrible désastre. Que ce soit une guerre ou une catastrophe naturelle, ça touche la population pendant des années. Voir au-delà des médias, c'est ma façon de travailler.
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C'est un problème de marché. Ce n'est pas particulièrement parce que c'est Haïti. Les médias fonctionnent comme ça, ils parlent de la Syrie puis ensuite elle disparaît des actualités. Je me souviens de l'arrivé d'Ebola en Sierra Leone, mon travail, il y a six ans de cela, parlait de l'urgence dans ce pays complètement hors de contrôle. Quelques magazines mais ce n'était pas leurs priorités... Et maintenant, ils parlent d'Ebola en Sierra Leone. Je pense que l'on ne peut pas oublier un pays et ensuite être surpris par les informations qui arrivent. Le choléra est survenu quelques mois après le séisme à Haïti, et bien sûr, on a dû couvrir l'histoire. Mais très peu d'autres médias étaient sur place à Port-au-Prince, la plupart étaient sur d'autres évènements. J'ai eu le sentiment qu'ils se sentaient mal à l'aide à l'idée de parler sur ce qu'il se passait à Haïti.
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Vous avez dit : " Je travaillais à Rome le 12 janvier 2010, la première information que j'ai reçue à propos du terrible séisme était que l'île d'Haïti était détruite. En lisant les journaux, je me suis souvenu de cette cruauté des tremblements de terre " Pouvez-vous nous en dire plus sur les spécificités des désastres naturelles ? Est-il plus difficile de couvrir une catastrophe naturelle qu'une guerre ?
On ne peut pas comparer, ce sont deux choses différentes. Les catastrophes naturelles affectent tout le pays, et tout le monde pense " C'est ok, on leur enverra de l'argent, de la nourriture et un peu d'aide. " Il n'y aucune personne physique responsable de ça. Une catastrophe naturelle comme un séisme peut frapper, par exemple au Japon, ils étaient préparés grâce à leurs constructions para-sismique. Haïti manque de stabilité à cause de l’insécurité et possède des infrastructures limitées. Mise à part le centre-ville, tous les immeubles étaient touchés. Il faut expliquer aux gens que c'était un véritable désastre !
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Vous avez pris les photos suivantes à Port-au-Prince, l'une en novembre 2010 “ Riots during the Presidential election day. The police arrest a demonstrator” et l'autre en mai 2010 “ Protesters clashing with the police ”. Qu'est-ce qui vous a donné le désir d'en savoir plus à propos de la situation politique ?
La police à Haïti n'était pas facile à photographier. C'était très compliqué. La dernière fois que nous y sommes allés, il y avait de violentes manifestations qui ont provoqué beaucoup de morts. Je veux avoir une vision exhaustive de la situation à Haïti. C'est pourquoi j'essaie de couvrir tous les évènements. Justement, mon livre raconte les conséquences du séisme pas seulement la catastrophe en elle-même. Comme je l'ai dit, l'intention de mon livre est de sensibiliser l'opinion publique et de préserver l'histoire d'Haïti.
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Vous avez été assez " chanceux " de rencontrer des habitants d'Haïti qui vous ont ouvert leurs portes. Étiez-vous en totale immersion dans leur quotidien, quel impact cela a t-il eu sur vos photos ?
J'ai été très touché. J'ai beaucoup voyagé, beaucoup bougé pendant plusieurs années en Afrique, et Haïti, c'est comme une mini Afrique pour moi ! Donc c'était assez facile de travailler, je me suis vraiment senti à la maison. Je ne suis pas venu avec une grosse voiture, je me déplaçais juste grâce à un vélo. J'étais accompagné de mon seul traducteur. C'est peut-être la raison pour laquelle les Haïtiens sans me prendre comme l'un des leurs, ont eu un contact facile avec moi. J'allais simplement dans la rue en les regardant d'une façon simple.
Pourquoi avoir choisi le noir et blanc pour toutes vos photographies ? Est-il une meilleure “ couleur ” pour apporter de l'émotion dans votre livre ?
J'ai l'habitude de prendre le noir et blanc pour la plupart de mes travaux, tout particulièrement quand mes photos parlent de conflits ou des catastrophes naturelles. La couleur, ce n'est pas pour moi, surtout pour ce genre d'histoire.
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Vous avez déjà réalisé plusieurs livres “ Sette minuti ” (2000), “ Afghanistan Il Nodo del Tempo ” (2004), “ NO, Contro gli incidenti sul lavoro ” (2008) et “ De Istambul a El Cairo ” (2009). Quelle est la différence, ou au contraire, le point commun entre Haiti Aftermath et vos précédents livres ?
Haiti Aftermath est un livre de mémoire. Prendre et collecter ces photographies, c'est très très long. Cet ouvrage, c'est pour être sûr que personne n'oublie Haïti ni ce qu'il s'est passé sur cette île en 2010. Haiti Aftermath essaye de fixer la mémoire de ce terrible séisme.
Retourner à Haïti fait-il partie de vos prochains projets ?
J'y suis déjà allé il y a quelques semaines en décembre, donc je ne planifie pas d'y retourner tout de suite. Peut-être que dans quelques mois, il pourrait se passer quelque chose au niveau politique. Mais aujourd'hui, je travaille essentiellement sur la publication de mon livre qui devrait normalement sortir dans deux mois.
Dernière question, Riccardo Venturi, quels sont les photographes qui vous inspirent ?
Beaucoup bien sûr, surtout quand j'étais jeune. Il y a des photographes comme Don McCullin ou encore Josef Koudelka qui étaient mes préférés. J'essaie aussi de m'inspirer des livres ou du cinéma. En fait depuis quinze ou vingt ans, j'essaie de ne pas regarder ce que les photographes font et de suivre ma propre inspiration.
Propos recueillis par Shéhérazade Hamidi
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