© Chrisitan Berthelot - CESAR #11 Lize - née le 24/12/2013 à 8h49, 3kg 574 - 9 secondes de vie
© Jean-François Morienval
Qu'est-ce qui vous a attiré dans les maternités ? Une expérience personnelle, une curiosité à satisfaire ?
L'aventure a commencé par une expérience personnelle, à l'occasion de la naissance de mon premier enfant. Il est né en urgence par césarienne. Sans cette intervention je serais rentré de l'hôpital sans femme ni enfant donc la césarienne les a sauvés. J'y ai fait la connaissance d'un obstétricien passionné de photos et au fil des rencontres il m'a proposé un travail de reportage sur son métier. C'est le point de départ de cette série.
Au-delà de la référence aux césariennes, pourquoi nommer la série « César » ? Est-ce pour symboliser une victoire ?
Étymologiquement « césar » veut dire naître par incision. C'est une des nombreuses explications mais le premier des César se prénomme comme cela car il serait né par césarienne. A force de photographier des césariennes, le nom de la série est apparu comme une évidence.
Quel est le dessein poursuivit par ces photos ?
L'essence de la série est de montrer les toutes premières secondes de la vie. C'est un sujet qui n'a encore jamais été travaillé en photographie. En tout cas pas d'un point de vue artistique.
© Christian Berthelot - CESAR #9 Maël - né le 13/12/2013 à 16h52, 2kg 800 - 18 secondes de vie
Certaines images ressemblent à des chorégraphies, est-ce volontaire ou avez vous voulu faire les photographies les plus réalistes possibles ?
Lors de l'accouchement on a très peu de temps pour faire des photos, environ une minute pour en prendre le plus possible. On peut juste choisir la prise de vue, l'exposition et espérer que le bébé fasse quelque chose d'intéressant, d'expressif. Un nouveau-né se meut et crie quand ses poumons s'ouvrent et on a très peu de temps avant que les infirmières ne l'emportent à la pouponnière donc le travail est plutôt dans le choix des photos. Cet effet chorégraphique découle d'un travail important d'éditing, j'ai choisi les images correspondant à ma vision des choses.
« Du sang de la sueur et des larmes », cette phrase célèbre de Churchill est-elle votre vision de la natalité ?
Oui complètement, on naît comme cela que ce soit par voie naturelle ou par césarienne. Les premières secondes se passent toujours dans les flux de la maman, les nourrissons oscillent entre un monde amniotique et le monde des Hommes avec ses obstétriciens, ses photographes... Il faut attendre que les infirmières nettoient les bébés pour qu'ils soient acceptables aux yeux du monde. D'ailleurs, l'aspect « réalité » de la série soulève quelques controverses.
© Christian Berthelot - CESAR #2 Liza - née le 26/02/2013 à 8h45, 3kg 200 - 3 secondes de vie
Quand on regarde vos images on a l'impression d'assister à un combat. Pensez-vous que c'en est un ou que vos photos sont l'expression d'une nature extraordinaire ?
C'est un mélange de naturel, car tous les enfants sortent irrémédiablement du ventre de leur mère, et de combat. Même si je trouve ce terme un peu fort, je comprends cette impression de lutte. Les enfants nés par césarienne encourent un risque plus important donc il ont tous en quelque sorte lutter avant de naître. Je les appelle « mes petits guerriers ».
Expliquez nous le travail sur la lumière ? Un bloc opératoire est bien plus éclairé que cela en principe ?
Ce n'est pas un effet à proprement souhaité. En fait la lumière du bloc opératoire est extrêmement puissante voire violente, c'est une lumière scialytique. Pour que les nouveaux-nés ne soient pas « brûlés » à l'image, j'ai dû sous-exposer ma photo, créant un halo de lumière sur les nourrissons. Le scialytique éclaire juste le bébé et laisse le reste de la pièce dans la pénombre, cela donne presque un effet religieux aux clichés.
Après avoir découvert ce jeu de lumière que j'ai trouvé très beau, j'ai décidé de poursuivre de manière artistique le reportage sur l'obstétrique dans lequel je m'étais lancé donc ce travail sur la lumière est un élément charnière du processus de création.
© Christian Berthelot - CESAR #13 Kévin - né le 27/12/2013 à 10h36, 4kg 366 - 13 secondes de vie
Pourquoi insistez vous sur le temps en indiquant le nombre de secondes de vie des sujets dans les légendes ?
Je pense que dans notre vie on a deux heures qui comptent : celle de la naissance et celle de la mort. En tout cas ce sont les deux horaires actés, qui figurent sur des documents officiels et je trouvais intéressant de montrer le temps parcouru mais en secondes. Montrer ce que l'on est au bout de dix secondes de vie. C'est une manière aussi de célébrer la vie, chaque seconde compte, le sablier du temps est déclenché.
Que ressentez vous au moment d'appuyer sur le déclencheur ? Ce ne sont pas des moments banals auxquels vous assistez.
Comme je l'ai dit tout à l'heure l'acte chirurgical de la césarienne est très rapide et dans une grande majorité des cas il n'y a pas de complications mais dans le médical il y a toujours une angoisse. Lorsque l'on touche à ces questions de la vie et de la mort, il y a forcément de l'appréhension. L'ambiance dans un bloc opératoire est un mélange de sentiments et puis je suis là pour photographier la vie, j'ai envie que les bébés crient, se manifestent. Je me rappelle d'une fois où l'ambiance était particulièrement pesante. Un nouveau-né ne réagissait pas et le silence s'était installé dans la pièce. Le bébé a crié une fois sorti dans le couloir, j'étais soulagé mais je me suis rendu compte que je n'avais pris aucune photos de cet accouchement, bloqué par les circonstances. J'ai assisté à quarante césariennes et je pense que même à la quarante et unième, à la quarante deuxième, je serais toujours dans cet état d'esprit. Je n'ai pas le recul d'un reporter de guerre par exemple, donc photographier une césarienne ne cessera de constituer un moment spécial.
© Christian Berthelot - CESAR #10 Steven - né le 21/12/2013 à 16h31, 2kg 425 - 15 secondes de vie
Vos photos sont très réalistes (sang, vernix...) et en même temps les cadres sont presque conçus comme des tableaux religieux (enfants centrés, dénudés, mis en exergue dans la lumière...). Est-ce un effet voulu ou fais-je preuve de trop d'analyse ?
L'aspect religieux des photos est en effet souhaité. Pour quelques-unes du moins. L'éclairage et le fait de centrer le sujet dans le cadre amènent cela artistiquement. Ce qui m'intéresse le plus dans les photos, c'est l'esthétique. Une seule personne avait photographié ce thème mais dans une démarche de reportage. Mon travail varie entre la réalité et l'artistique. En tant que pionnier sur ce terrain je me suis senti dans l'obligation de faire les clichés les plus artistiques possibles, quitte à en faire des icônes de la naissance.
Vous battez vous à travers cette série contre les conventions esthétiques, les normes de représentation de la naissance et du corps du nourrisson ?
Oui, tout à fait, surtout en ce qui concerne le corps du nourrisson et les premières représentations de la vie, ce qui a entraîné des réactions hostiles car des gens refusent cette réalité. Le corps médical était également dubitatif quant à mon travail, sans me donner d'explications rationnelles on m'a expliqué qu'il ne fallait pas montrer cette réalité des fluides, du sang... J'ai eu la chance d'accéder à des blocs opératoires donc je retranscris ce que j'y ai vu. Regarde qui veut, accepte qui veut : je ne tiens pas un discours, je ne polémique pas. Par contre mon travail est apprécié par les familles. Pour certaines femmes la césarienne peut être vécue comme un échec de l'accouchement et les photos permettent de remanier le souvenir, d'en faire quelque chose de plus agréable. C'est une notion étrange que j'ai découverte avec ce projet mais la photo peut rendre un événement « dramatique » plus acceptable, la photo adoucit.
© Christian Berhelot - CESAR #19 Romane - née le 20/05/2014 à 10h51, 2kg 935 - 8 secondes de vie
Nous sommes tous différents pourtant lorsque l'on nait nous partageons la même singularité , c'est ce que vous avez voulu montrer ? Pour vous ces clichés sont un symbole d'égalité ?
C'est une évidence, on partage tous cette étape de la naissance. La seule inégalité que l'on peut subir est en fonction du lieu de naissance. Naître dans un pays en guerre, en proie aux maladies, à la famine est forcément plus difficile. Ce qui m'a impressionné au cours de ce travail c'est que les naissances ne s'arrêtent jamais, une césarienne en cache une autre. C'est une réflexion que l'on ne se fait pas souvent mais à chaque instant il y a des naissances dans le monde, dans les pays chauds, froids, riches, pauvres... Les questions de l'endroit où l'on naît dépassent le projet « César » qui s'intéresse aux premières secondes de la vie mais je suis curieux de savoir comment les naissances sont pratiquées dans d'autres pays.
Vous photographiez souvent le corps, y compris dans d'autres séries (« Singe », « Les semblables »), est-ce quelque chose que vous aimez bien travailler visuellement ?
En effet ça m'intéresse, j'ai toujours photographié le corps. J'ai fait beaucoup de photos de théâtre où les corps sont mis en scènes et les gens souhaitent s'exposer, avec « César » mon regard a complètement évolué. J'ai le consentement des familles mais c'est l'inverse du théâtre. On est face à une réalité brutale et en même temps le bloc opératoire est organisé, hiérarchisé, théâtralisé d'une certaine manière. C'est un lieu si fantasmé qu'y faire entrer de l'artistique m'a plu. Sans les photos de théâtre je n'aurais pas pu faire les « César », je serais tombé dans le piège du reportage alors que cette série synthétise la réalité et l'artistique.
© Christian Berthelot - CESAR #4 Louann - née le 12/04/13 à 8h40, 3kg 574 - 14 secondes de vie
Quel est votre rapport à la mort ? Est-ce quelque chose qui vous effraie ou cela n'a aucun lien avec votre travail sur les naissances ?
Inévitablement c'est en rapport avec les naissances. La maternité est le seul service qui ne traite pas des maladies, qui apporte du bonheur, les gens y vont avec le sourire généralement mais il y a toujours cette fameuse épée de Damoclès. La mort est présente, elle est indissociable de la vie.
© Christian Berthelot - CESAR #15 Léanne - né le 08/04/14 à 8h31, 1kg 745 - 13 secondes de vie
La très originale série « César » ne plait pas à tout le monde mais symbolise une forme d'égalité. Quoi de plus universelles que la maternité et l'expérience de la naissance ? C'est un arrêt sur image des toutes premières secondes de l'existence, quand on est dans une forme d'extase intemporelle. Christian Berthelot a eu la subtilité de synthétiser réalisme et esthétisme. « César » sonne bien comme une victoire, celle de la vie, car comme se le demande Alfonso Cuaron dans son film http://www.christianberthelot.com/", que deviendrait le monde des hommes sans l'espoir et la vie apportés par les naissances ?
Christian Berthelot s'expose à Paris au http://www.christianberthelot.com/" (5 rue curial 75019) dans le cadre du http://www.christianberthelot.com/", festival de la jeune photographie européenne.
Propos receuillis par Guillaume Reuge