Autoportrait © Julien Lachaussée
À 38 ans, Julien Lachaussée est un photographe qui tente toujours de dépasser les limites. Après un livre consacré aux tatoués (Alive, tattoo portraits), il prépare maintenant un nouveau projet ayant pour thème les rockstars. Son mot d'ordre : le plaisir de la photo avant tout et tant pis si ça ne plait pas à tout le monde !
Quel est votre parcours de photographe ?
J'ai un parcours plutôt classique. Après deux ans passés à l'école parisienne d'EFET, j'ai été l'assistant du photographe de mode Jan Welters. Il a été un véritable mentor, c'est lui qui m'a encouragé à voler de mes propres ailes. Il me disait « tu es plus photographe qu'assistant ». J'ai ensuite fait des tests pour des agence de mannequins mais ça ne m'a pas trop plus. Du coup, j'ai commencé à prendre mes potes en photos. J'aime le côté sombre de Paris, de la France, du monde, tout le côté underground du skate et du bmx, les tattoos et les stripteaseuses.
D'où vient votre intérêt pour le tatouage ?
Mon intérêt pour le tatouage n'est pas le premier moteur de mon travail, ce qui m'intéresse avant tout ce sont les gens. Après j'aime bien cet art, mais justement à travers l'histoire des personnes. J'ai un peu de mal avec ce que cette pratique devient maintenant, tout ce qui est tattoo esthétique. Ça devient trop lisse, trop « normal ». Et moi je n'aime pas du tout les choses normales ! Je préfère voir un tatouage qui est considéré comme mal fait mais qui a une vraie histoire qu'une œuvre d'art vide. Tant que la personne qui le porte l'aime et qu'il représente quelque chose pour lui on ne s'attarde pas sur l'esthétique.
French Doll, modèle photo © Julien Lachaussée
Y a t-il des points commun entre le tatouage et la photo ?
Avec la photo, on essaye d'arrêter le temps. C'est comme lorsqu'on travaille avec certains artistes qui décèdent par la suite, c'est triste mais c'est un témoignage. On veut figer un maximum de choses, on cours après le temps et on partage notre univers. Ça ne sert à rien de faire des photos pour les garder chez soi et ne pas les diffuser. La photo, c'est un exutoire, c'est un art qui permet de t'exprimer quand tu ne sais pas écrire ou dessiner par exemple. Le tatouage, c'est un peu pareil, ça permet de marquer des moments de ta vie, joyeux ou non, de faire le deuil. On marque aussi le temps à travers tout ça.
Travaillez-vous différemment avec des peaux tatouées ?
Il existe plusieurs catégories de personnes. Déjà, tu as ceux qui sont vierges de tattoos mais qui ont une « gueule », qui dégagent un truc exceptionnel. Eux ils n'ont même pas besoin de passer sous les aiguilles. Après, certains ont les deux et c'est vraiment la meilleure configuration, surtout quand les tatouages veulent dire quelque chose. On sent que la personne a baroudé et vécu des galères mais qu'il s'est toujours relevé. Après tu a les personnes qui ont beaucoup de tattoos mais qui ne dégagent pas grand chose. Ça crée presque un manque de charisme, ils auront beau se recouvrir de tatouages, il manquera toujours l'essentiel : la vérité, que tu vois sur la tête des gens.
Quel est votre rapport avec le corps en général ?
Personnellement, j'aime bien les gens qui ne vont pas avoir de honte à enlever leur tee-shirt et à montrer leur brioche. Après avec la démocratisation du tatouage, ce qui devient étrange, c'est que certaines personnes se font des tatouages pour avoir un petit côté bad boy qui plait aux filles, mais ils oublient un petit peu le truc. Mais ça reste un moyen de s'approprier son corps avant tout.
B-LA, artiste hip-hop © Julien Lachaussée
Certains de vos modèles ont-ils eu une certaine pudeur à dévoiler leurs tatouages très personnels ?
Je base mon travail sur une relation de confiance. Si la personne sait que tu ne va pas faire n'importe quoi de ses photos, elle va te dévoiler une part de sa vie. Après, c'est à toi de faire les choses correctement, en accord avec elle et de respecter les personnes. Certains m'ont déjà dit « Bon, je te le montre, mais c'est juste parce que c'est toi ». Il faut qu'il y ait un bon feeling, c'est ça qui va tout changer. C'est un univers où tout le monde se connait, les gens finissent par entendre parler de toi à travers tes projets et ils savent qu'ils peuvent avoir confiance en toi, que tu ne vas pas faire n'importe quoi avec leur image .
Comment avez-vous choisi vos modèles ?
J'ai commencé par prendre mes amis les plus proches, qui m'ont à leur tour présenter d'autres personnes. Après, j'ai moi-même fait des rencontres, quand je voyais que le feeling passait, je leur proposait qu'on fasse quelque chose ensemble. J'ai aussi contacté des personnes parce que j'aimais leur univers. J'ai cherché si on avait des amis en commun, qui pouvaient se porter garant de mon sérieux. Comme ça j'ai eu des gens qui n'avaient jamais fait de photos et c'est ça que j'ai aimé, travailler avec des gens auxquels personne ne « s'intéresse ».
Tin-Tin, artiste tatoueur, et Noémie D’Orchis © Julien Lachaussée
Lequel de vos modèles vous a le plus marqué ?
La question est difficile, car mes shootings on toujours été des bons moments. À chaque fois on allait manger ensemble avant ou après le shooting, on faisait la fête. On ne se donnait pas de temps imparti, on prenait le temps d'échanger, de discuter. J'ai appris à connaître chacun d'eux et c'est pour ça que j'ai envie qu'ils soient tous fiers du résultat, qu'ils se trouvent bien. Je ne voulais surtout pas tomber dans le cliché, à montrer un junkie avec une seringue dans le bras. Ce n'est pas ce que j'avais envie de montrer.
Pourquoi avoir choisi ce thème ?
À l'époque où j'ai sorti mon bouquin [il y a trois ans] , j'étais un des premiers en France à faire des choses comme ça. J'ai eu envie de sortir ce livre car j'ai été frustré de devoir commander des ouvrages aux Etats Unis car personne ne proposait ça ici. Même là bas, on faisait vite le tour à l'époque.
Comment êtes vous revenu sur des thèmes urbains (tatouage, skate, street art) après avoir travaillé plusieurs années dans la mode ?
Ça n'a pas été trop difficile, car j'étais juste assistant. Et même quand je faisais des tests pour des agences, j'ai toujours gardé les mêmes amis. En fait c'est un univers que j'ai toujours fréquenté et qui est « normal » pour moi. En croisant certains de mes potes, certaines personnes changeraient de trottoir la nuit, mais au contraire, ce sont les gens les plus corrects. Et j'ai toujours fait du skate depuis mon plus jeune âge. La mode, c'est un milieu particulier, c'est fun, c'est intéressant, il y a pas mal de gens fous, j'aime bien, après tout ce qui gravite autour, ça passe moins.
Sonia Vacev, modèle photo © Julien Lachaussée
Pourquoi travaillez-vous en argentique ?
Je suis né en 76, le numérique n'existait pas. J'ai toujours travaillé à la pellicule, je n'ai même pas d'appareil numérique. Aujourd'hui, on t'oblige presque à en avoir un, je trouve ça dommage, car on s'aperçoit qu'au niveau des prix la différence n'est pas si importante que ça. Surtout que la retouche en numérique coûte une fortune. J'aime la relation avec la pellicule et le grain que ça procure. Je connais pas mal de gens qui ont beaucoup travaillé en numérique mais qui se rachètent des moyens formats argentiques ou des 24x36 car ils sentent qu'ils ont perdu quelque chose. Quand on sais qu'on paye le film on fait 10 photos au lieu de 100 et on va se concentrer pour avoir le bon cadrage, la bonne mise au point et le déclic qui va créer la magie avec la personne. Mon dernier projet traite des rockstars, qui se font énormément « shooter ». Ils sont contents et étonnés que je travaille encore en argentique. Ils se sentent respectés par rapport à ça.
Quels sont vos prochains projets ?
J'ai encore pas mal de travail pour mon livre sur les rockstars, je me donne encore un ou deux ans pour bosser dessus, j'ai vraiment envie que ça soit mortel. J'ai aussi des expositions en préparation, mais je ne peux pas encore en parler car c'est encore entrain de se faire. Par contre ça ne sera pas en France. La prochaine dans le coin sera pour la sortie du prochain bouquin, donc il faudra patienter encore un peu !
Propos recueillis par Anaïs Schacher
Alive Tattoo Portraits
Editeur : Eyrolles
Paru le 20 octobre 2011
Prix 40€50