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« J'ai fermé le salon de coiffure à 18h et j'ai été prise d'une angoisse incontrôlable. J'ai eu peur qu'il se soit passé quelque chose. Mon fils de dix-sept ans était à la maison quand je suis rentrée, mais il rangeait des affaires au sous-sol. Je suis montée tout de suite à l'étage parce que mon mari restait souvent couché, et je suis entrée dans sa chambre. Il dormait. En sortant de la chambre, j'ai vu la carabine dans le coin. En une fraction de secondes, je suis rentrée dans la chambre, j'ai pris la carabine et j'ai tiré plusieurs fois. »[Marie-Hélène B.]
Passés par la case prison dresse huit portraits bouleversants d'anciens détenus, qui racontent leurs histoires, leurs fautes et leurs vies depuis qu'ils sont passés derrière les barreaux, à travers la plume de huit écrivains (Olivier Brunhes, Philippe Claudel, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Nancy Huston, Mohamed Kacimi, Pierre Lemaitre et Gérard Mordillat) et les images de deux photographes : Philippe Castetbon et Dorothy Shoes. Des portraits qui tranchent avec les chiffres sur la délinquance et sur les faits divers qui noircissent chaque jour les pages des quotidiens. Des portraits d'hommes et de femmes qui pourraient être votre voisin, votre ami, votre frère. Car derrière chaque crime, chaque faux pas, il y a bien souvent une souffrance inouïe enfouie. De la stigmatisation à l'école au mari violent, chaque acte est plus un résultat qu'une cause. « [mon problème avec l'alcool] C'est lié à la mort de mon père, la grave maladie de ma mère, la disparition de ma sœur aînée... Ces décès sont venus s'ajouter à ma maladie qui empirait. J'ai toujours refusé les calmants, le médecin voulait que je prenne de la morphine ou du Valium. » [Véronique H.]
Avant : Véronique H. "Ce cadre représente mes souvenirs d'enfance, quand on partait en
vacances en Bretagne avec mon père, on pêchait, il y avait la mer, c'était bien."
© Philippe Castetbon
Après : Véronique H. "Depuis mon passage en prison, j'ai mal au coeur. Tout le temps. Parce que, pendant
deux mois, j'ai été totalement seule, séparée de ma fille. La douleur est restée dans mon corps."
© Philippe Castetbon
Ce projet est né de la campagne « Ils sont nous » de l'Observatoire international des prisons (OIP), dont la branche française a vu le jour en 1996. Cette organisation vise à favoriser la dignité des personnes détenues et à défendre le respect des droits de l'Homme en milieu carcéral. Il pointe notamment du doigt les nombreux dysfonctionnements du système pénitentiaire et milite pour la mise en place de peines alternatives.
Capturer les souffrances
Philippe Castetbon est le premier photographe ayant participé à cet ouvrage. Il a décidé d'illustrer l'histoire de ces anciens détenus en réalisant deux séries de photos. La première représente leur vie d'avant. Un souvenir, un portrait de famille, un diplôme. Une image comme une bouée de sauvetage dans l'océan houleux de leur quotidien. Sur la seconde série, Philippe Castetbon a tenté de montrer cette souffrance souvent invisible mais indélébile qu'ils portent tous après leur séjour en prison, en photographiant une partie de leur corps.
La deuxième photographe ayant participé à ce livre de par ses clichés est Dorothy Shoes. Tout au long de l'ouvrage, elle rythme les histoires avec des clichés réalisés lors d'ateliers effectués avec des détenus. Entre 2008 et 2010, elle a demandé à chacun des prisonniers qu'elle a rencontré de dessiner leur autoportrait. Mais pas n'importe lequel, celui du jour où ils sortiraient de prison. Chacun des participants a dessiné un visage sur un masque en carton. La plupart du temps souriant, apaisé. Ce masque placé devant leur visage, c'est la jonction du présent et du futur, de la souffrance et de l'espoir. Tous ne réussissent pas pour autant. Une des photos montre des mains abimées avec des ongles sales et cassés. Entre ces mains, une boule de papier. Le dessin impossible d'un avenir sombre et incertain.
Et demain ? Portraits d'avenir - © Dorothy-Shoes 2010
Ce projet de l'OIP vise à ouvrir les yeux de la population sur la réalité en prison et sur la stigmatisation automatique des détenus. Car à travers ces témoignages se pose la question du tout carcéral dans notre pays. « En prison, on est complètement déphasé, on vit dans un monde à part, sans point commun avec la vie de la société. Il y a une isolation des sens aussi, on tombe beaucoup plus malade, le corps dit qu'il en a marre. Les symptômes que j'avait correspondent exactement à la prison : plus de goût, plus d'odorat. » [André V.]
Entrer avec un CAP dealer, ressortir avec un BTS braqueur
Les chiffres sont révélateurs. Entre 2000 et 2014, le nombre de peines de moins d'un an a doublé. Elles représentent désormais 1/3 des condamnations. Il y a également eu une augmentation de 15% des condamnations envers les toxicomanes, les dépendants à l'alcool, les personnes souffrants de troubles mentaux et les mineurs depuis 2009. Des statistiques glaçante alors même que la place de cette population n'est pas en prison mais dans des établissements spécialisés. Avec une surpopulation carcérale de 113,4 prisonniers pour 100 places, il est urgent de réformer le système, ces chiffres étant indissociables des conditions de détention. En effet, ce qui ressort majoritairement des témoignages c'est qu'il est impossible de se remettre en question et de penser à son geste tant le quotidien se révèle difficile. Perte d'intimité totale (la France étant hors la loi compte tenu des textes sur l'emprisonnement en cellule individuelle), pression des autres condamnés, manque cruel d'activités, fournitures de bases insuffisantes, nourriture inadaptée : les critiques ne manquent pas.
Ces conditions réunies augmentent de façon importante le risque de récidive, comme en témoigne Yazid, l'un des portraits de cet ouvrage « Le milieu carcéral, c'est un peu le Pôle Emploi de la délinquance, il y a tout les corps de métiers sur place : dealers, braqueurs, receleurs... Il suffit d'aller voir le bon pour perfectionner ses techniques. ». La garde des Sceaux Christiane Taubira, qui a lancé une grande réforme pénale en 2013, confirme ces dires en s'appuyant sur des chiffres : « Entre 2001 et 2012, la population carcérale a augmenté de 35% contre 7% pour la population française et le taux de récidive est passé de 4,9% à 12,1% ».
Passés par la case prison invite donc à se remettre en question et à réfléchir sur notre système judiciaire, mais aussi à revoir son regard sur les détenus, leurs familles et leurs milieux. Car oui, « Ils sont nous ». Et nous sommes eux.
Avant : André V. "Ma vie d'avant, c'était les enfants. Et des images, dans les livres,
ou des photos que je prenais. Une malédiction, une sexualité anormale, cette attirance."
© Philippe Castetbon
Après : André V. "J'ai beaucoup grossi en prison, parce que l'alimentation n'était pas bonne. Je n'ai pas été agressé car j'ai réussi à
m'inventer une vie, donc je ne garde pas de traces sur le corps. À part ces kilos que je n'ai jamais pu perdre depuis."
© Philippe Castetbon