© Pieter Hugo - Green Point Common, Le Cap, 2013
Il en impose. Sa carrure de rugbyman, son sourire charmeur, son rire sonore séduisent immédiatement. Il y a en lui une grande force de caractère. Non seulement par les sujets qu'il décide d'aborder mais aussi quand il balaye certaines questions des journalistes par un cordial « wait and see » (attendez et vous verrez). C'est quelqu'un d'entier, régi par la spontanéité et ses envies ; il concède ne pas pouvoir expliquer avec précision sa démarche de photographe. Tiraillé par l'histoire de son pays, Pieter Hugo nous offre une version non édulcorée d'une Afrique du sud bercée par la violence sociale, raciale et politique.
© Émilie Lemoine - Pieter Hugo à la conférence de presse de la fondation Henri Cartier-Bresson
« Avant je menais une vie itinérante d'artiste, j'ai eu envie de me poser et de m'intéresser à ma relation avec ma famille, mon pays et son histoire pleine de schizophrénie » précise Pieter Hugo.
Cette série de photo a commencé en 2007 quand sa femme attendait leur premier enfant. Il y a beaucoup d'insécurité et de violence en Afrique du sud et l'arrivée d'une progéniture a permis au photographe d'aborder dans cette série toute l'anxiété qu'il éprouve sur la vie et l'histoire de son pays.
L'exposition est constituée de sujet variés : un subtil mélange de portraits, de paysages, de natures mortes, de nus tout en renouvelant ces genres assez classiques. Les photos intimes sont sans artifices, elles ne sont pas retranscrites dans une atmosphère de noir et blanc ou de flou artistique comme à l'accoutumé. En fait, toutes ses photographies sont réalistes, concrètes, précises. Les couleurs, remarquables, attirent irrémédiablement le regard. Les natures mortes côtoient les portraits chocs et semblent plus vivantes que certains modèles. Pour Pieter Hugo : « Une nature morte est comme un portrait car les objets que possède une personne sont une sorte de résumé de son existence et sont donc porteurs de sens. »
© Pieter Hugo - La maison des Besters, Vermaaklikheid, 2013
La peinture influence les portraits de Pieter Hugo. Il a grandi entouré d'artistes visuels, sa propre mère est peintre. La simplicité de la lumière, le cadre souvent centré, le fond uni permettent de faire ressortir ces visages ravagés par la vie. La réalisation des portraits, toujours en situation et jamais en studio, souligne l'impulsivité de l'artiste. Le photographe s'implique beaucoup dans cette série. « Je considère que tout portrait est en quelque sorte un autoportrait car c'est moi qui décide du sujet, qui choisis le cadre, qui dirige... »
© Pieter Hugo - Daniela Beukman, Milnerton, 2013
© Pieter Hugo - Daniel Richards, Milnerton, 2013
Un photographe nommé désir
Il photographie en fonction de son désir de regarder l'autre. C'est cette énergie qu'il veut transmettre au spectateur afin que ce dernier ait envie de regarder les photos. Pour ne rien vous cacher, cette démarche spontané fonctionne très bien et les images sont scotchantes. Les portraits puissants nous prennent à témoin. Un seul ne nous regarde pas droit dans les yeux : celui de la nourrice de Pieter Hugo. Une grande partie de sa famille est présente dans l'exposition. Ses parents, sa femme et ses enfants, ses grands parents... Pieter Hugo n'explique pas cet engagement personnel : « C'est l'envie de regarder quelque chose ou de s'impliquer dans un projet qui détermine mon travail. Je ne peux pas être analytique à ce sujet, c'est très spontané, presque nécessaire. Quand j'ai estimé que mes photos tournaient en rond j'ai mis un terme à cette série. »
© Pieter Hugo - Ann Sallies, ma nourrice, Douglas, 2013
© Pieter Hugo - En périphérie de Pretoria, 2013
© Pieter Hugo - Hilbrow, 2013
© Pieter Hugo - Loyiso Mayga, Wandise Ngcama, Lunga White, Luyanda Mzanti et Khungsile Mdolo après leur rite d'initiation, Mthatha, 2008
© Pieter Hugo - Thoba Calvin et Tshepo Cameron Sithole-Modisane, Pretoria, 2013
Kin est une vision sans artifices de l'Afrique du sud. L'exposition provoque un sentiment partagé entre fascination pour la beauté des images et peur de ce qu'elles représentent. Le sens des images et la démarche du photographe supplantent une technique remarquable. Une telle implication personnelle est rare mais elle est sûrement nécessaire pour rendre la vie sud-africaine moins amère.
Guillaume Reuge