© Nicolas Righetti
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Les origines du pays...
Le récit des origines de la Transnistrie est très bien résumé dans la préface de Sylvain Tesson. Apportant les explications nécessaires à la compréhension de l'ouvrage il reprend le contexte historique et géopolitique de la création de la République Moldave du Dniestr (RMD), le tout sur un ton presque cynique, un peu déstabilisant.
La Transnistrie est un territoire de 4163 km2, coincé entre l'Ukraine et la Moldavie, le long de la rive est du fleuve Dniestr. Le pays existe depuis 1990, à la suite d'une guerre civile en Moldavie qui oppose la petite population séparatiste russophone située à l'est du Dniestr au reste du pays situé à l'ouest du fleuve qui parle roumain et qui penche du coté de l'Europe. Soutenu par la XIVème armée russe, la région déclare sécession de la Moldavie en novembre 1991, à la chute de l'Union Soviétique. Ainsi, la nouvelle capitale transnistrienne est Tiraspol et se situe à moins de quatre-vingt kilomètres de Chisinau, la capitale moldave.
L'ombre géante à ce tableau, c'est que la nouvelle république de Transnistrie ou Republica Moldoveneasca Nistreana (RMN) n'est reconnue par aucun des pays de la communauté internationale, pas même la Russie. « La RMN se dota d'un parti unique, élut un parlement et battit monnaie. Aucune puissance de la communauté internationale ne la reconnut. La satrapie balbutiante, coincée contre la rive de son fleuve, s'apprêtait à roupiller pendant vingt-cinq années, protégée militairement, perfusée économiquement et soutenue politiquement par le Kremlin ».
Et la Transnistrie n'est pas la seule république dans ce cas : « Elles sont nombreuses ces belles endormies russes : l'Ossétie, l'Abkhazie, la Transnistrie, Kaliningrad, la Biélorussie et aujourd'hui la Crimée, qui forment un chapelet géographique, un long collier de regrets ».
Outre la reconnaissance officielle, la Transnistrie semble néanmoins être un pays à part entière, une sorte de microcosme d'état. La Transnistrie possède ses intrigues politiques, son propre déficit économique et une corruption digne des plus grands états proches de Moscou. Le gouvernement en place aujourd'hui est toujours autant pro-russe, il est composé à moitié de femmes : « Sur ce point, la Transnistrie fait mieux que l'Europe » déclare Alla Melnitchuk, directrice du Musée d'histoire et historienne officielle du pays. L'état tente de régler ses problèmes internes, notamment l'émigration massive de la population et ses graves difficultés économiques, en développant son tourisme. L'ennui, c'est que la communauté internationale déconseille de venir en Transnistrie et que l'on n'y trouve aucune autre ambassade que celles des territoires dans la même situation (l'Ossétie et l'Abkhazie). La Transnistrie reste donc un pays imaginaire, imaginé par ses habitants qui s'activent autour d'une administration et d'institutions en carton.
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« Les réformes sans révolution.» Yulia Zhukova, numéro deux du mouvement politique Proriv
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« Aujourd'hui, nous ne sommes pas libres de voyager, nous sommes des gens de seconde zone » Nikolaï Fomik, éleveur de cochon
Petite anthropologie d'un pays qui n'existe pas
Bien que la Transnistrie n'existe pas à proprement parler, les habitants qui peuplent la région, eux existent bien. Nicolas Righetti établit dans ce livre une série de portraits de « transnistriens » fiers de l'être.
Néanmoins, l'identité des habitants a du mal à se préciser et à se stabiliser. Le pays à lui seul ne possède pas moins de cinq appellations : la république Moldave du Dniestr (RMD ou RMN), la Transnistrie, la Cisdniestrie, la Pridniestrovie (dénomination russophone), et l'Unité territoriale autonome de la rive gauche du Dniestr (nom donné par les autorités moldaves).
La population de Transnistrie se caractérise par sa haine généralisée de la Moldavie, sa méfiance de l'Europe et son regard bienveillant à l'égard de la Russie. La région est russophone et russophile.
Le portfolio de visages présenté dans l'ouvrage est composé de clichés sans prétention. Leur intérêt est d'avantage concentré dans le sujet dont ils parlent. Très simples, en mode paysage, ils ne révèlent pas d'esthétique particulière. Prise dans un cadre intime ou dans l'espace public, les photos sont agrémentées d'une parole, une phrase qui fait office de légende. L'image et la description, dressent un tableau de la société transnistrienne, de ses richesses ou de ses problèmes. Le lecteur découvre ainsi la vie privée et publique d'une population en quête de reconnaissance. La moindre manifestation sociale est fortement symbolique, les revendications patriotiques sont sous-jacentes à toute action civile.
© Nicolas Righetti
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«Les gens émigrent en Russie ou ailleurs, parce qu'en Transnistrie la vie n'est pas stable. Mon rêve est de partir au Canada » Irina Iacoleva
Une impression étrange étreint le lecteur
La lecture de l'ouvrage laisse une curieuse impression d'avoir affaire à une situation irréelle. Le lecteur oscille de manière délicate dans un paradoxe. D'une part les clichés montrent la réalité : de vraies personnes, une vraie ville, un vrai sentiment et de vrais espoirs... Mais d'autre part, tout ressemble à une mascarade, les titres et les noms donnés aux choses et aux personnes paraissent dénués de sens. Par ailleurs, le pays est fermé sur lui même, il semble être hors du temps. Les décors se sont figés depuis vingt-ans, les pensées de la population entière sont tournées vers le passé et craignent l'avenir. Le livre de Nicolas Righetti fait le portrait d'une société qui n'a pas dépassé l'ère soviétique.
La Transnistrie fera de la peine au lecteur, elle est tournée en dérision par la Moldavie qui en véhicule une image négative dans ses médias. Elle est une petite sœur rebelle et infirme qui ne parvient pas à s'affirmer et s'entête pour pas grand chose. C'est une région où la politique de l'autruche est de rigueur : Nicolas Rihetti écrit dans ses commentaires à la fin du livre que « Roman [son guide] explique en roulant qu'à terme, il voit l'avenir de la Transnistrie dans un rattachement avec une Moldavie de plus en plus proche de l'Europe. C'est la dernière fois que nous entendrons ce discours. ». Un sentiment fataliste se dégage de la lecture, l'intuition que cette histoire ne se terminera pas comme prévu.
Il faut dire que la Transnistrie est une région dans un état pitoyable. Parmi les plus pauvre d'Europe, le pays ne peut se gérer économiquement sans les perfusions financières régulières de la Russie. L'émigration des habitants pour trouver du travail a divisé la population par plus de deux en dix ans (estimée à 200 000 personnes aujourd'hui). Les actifs partent à Moscou et envoient leurs salaires à leur famille. Bien que le système scolaire et universitaire transnistrien soit bon, il n'y a aucune perspective d'avenir pour les jeunes. La chute de l'URSS a donc été un coup dur pour le pays ainsi que pour toutes les anciennes républiques soviétiques, mais la Transnistrie n'a pas voulu passer à autre chose et n'a pas réussi à s'en sortir...
Malgré cela, certains habitants disent qu'il fait bon vivre en Transnistrie et que le pays possède les plus belles femmes du monde... En 2014, la Transnistrie fait la demande pour rejoindre la Fédération de Russie et une autre pour une « séparation civilisée » à la Moldavie qui veut devenir membre de l'UE en 2019.
© Nicolas Righetti
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