Aujourd’hui, les éditions Hatje Cantz publient un livre tiré de cette monumentale exposition. Il retrace la longue et complète carrière d'Avedon, depuis ses toutes premières photographies dans les rues de Rome aux très célèbres images des magazines Harper's Bazaar, Life, Look, Vogue … L'exercice n'est pas simple quand on désire condenser près de soixante ans de photographie, surtout si l'artiste avouait « photographi[er] tous les jours depuis 1945 ».
Un livre de photographie biographique
L'une des premières choses que l'on remarque en ouvrant le livre est la qualité d’impression des images. Sur certaines, on peut littéralement sentir du doigt le grain de la photographie. Hatje Cantz réussit là une belle performance en sortant un livre au prix relativement abordable (59 euros) et de très bonne qualité.
Il n'est pas composé uniquement de photographies puisque écrivains, éditeurs, conservateurs, galeristes ou professeurs y racontent une anecdote, un épisode de la vie artistique de Richard Avedon : sa rencontre avec la Duchesse et le Duc de Windsor, Bob Dylan, sa façon de « piéger » ses sujets pour obtenir une expression recherchée...
Petit bémol : publié en anglais, il faudra comprendre la langue de Shakespeare pour en profiter pleinement. De plus, parler d'une complète retrospective serait faux. Il n'y figure en réalité qu'une seule photographie de son passage en Italie en 1946, tandis que l'exposition de 2007 en présentait une dizaine. La part belle est avant tout faite à ses photographies de mode et à ses portraits, les deux sujets qui ont fait son succès.
Photographie de mode : le renouveau par Avedon
Repéré dès 1946 par Alexey Brodovitch*, Richard Avedon monte son studio de photographie et travaille pour des magazines prestigieux tels que Life, Vogue ou Harper's Bazaar**, dont il devient rapidement le directeur de la photographie. C'est à cette époque qu'il réalise nombre de ses clichés les plus connus. Le plus célèbre reste Dovima with elephants, réalisé en 1955 et vendu plus d'un million de dollars en 2010, ce qui en fait l'un des plus chers de l'histoire de la photographie.
* Alexey Brodovitch (1898-1971) est un photographe russe immigré aux Etats-Unis devenu célèbre pour sa participation au succès du magazine Harper's Bazaar dont il a été à la direction artistique de 1934 à 1958.
** Harper's Bazaar est un magazine féminin américain, devenu vers 1950 une véritable institution comme peut l'être Vogue aujourd'hui, son concurrent historique.
Dovima with elephants, evening dress by dior, Cirque d'hiver, Paris, August 1955
© The Richard Avedon Foundation
Avedon a renouvelé la façon de faire de la photographie de mode. Inspiré par Martin Munkacsi***, il amène le mouvement dans les images des magazines : les modèles sautent, courent, font du roller... Ils ne sont plus de simples « porte-manteaux » comme le décrit Helle Crenzien, auteure de cet ouvrage, mais de réelles personnes, allant au café, au casino, etc. L'« humanisation » des mannequins est une petite révolution au sein de la photographie de mode.
***Martin Munkacsi (1896–1963) est un photographe hongrois. Grand ami d'Henri Cartier-Bresson, il fait partie des pionniers du photojournalisme. Dans le domaine de la mode, il est l'un des premiers à avoir sorti les modèles des studios et à avoir amené le mouvement dans les photographies.
Suzy Parker and Robin Tattersall, dress by Dior, Place de la Condorde, Paris, August 1956
© The Richard Avedon Foundation
Veruschka, dress by Kimberly, New York, January 1967
© The Richard Avedon Foundation
Jean Shrimpton, evening dress by Cardin, Paris Studio, january 1970
© The Richard Avedon Foundation
Homage to Munkacsi, Carmen, coat by Cardin, Place François-Premier, Paris, August 1957
© The Richard Avedon Foundation
Un portraitiste de renom
« Je gagne ma vie avec la mode. C'est un plaisir de gagner sa vie comme cela... Mais j'ai un plaisir plus intense à faire des portraits.[…]Je me considère avant tout comme un portraitiste » expliquait Avedon en 1974 au Newsday.
Il est vrai que l'exercice lui réussit plutôt bien. À en croire Helle Crenzien, « Il ne serait pas possible d'écrire l'histoire de la photographie sans Avedon » et peu de personne la contredirait tant Richard Avedon est considéré comme l'un des meilleurs et des plus influents portraitistes du 20ème siècle.
Les Beatles, Samuel Beckett, Francis Bacon, Brigitte Bardot, Malcom X... La liste est en réalité interminable. Tous se sont fait tirer le portrait par Avedon. La façon de faire est toujours la même : un fond blanc, une photographie en noir et blanc. Seul le cadrage varie : plan américain****, plan taille et poitrine étant les plus utilisés.
**** Aussi appelé plan ¾, le plan américain est une manière de cadrer à mi-cuisse. Son nom vient des films de western où il fallait un plan serré mais suffisamment large pour pouvoir voir les pistolets à la ceinture.
Malcom X, black nationalist leader, New York, march 27, 1963
© The Richard Avedon Foundation
Janis Joplin, singer, Port Arthur, Texas, August 28, 1969
© The Richard Avedon Foundation
Samuel Beckett, writer, Paris, april 13, 1979
© The Richard Avedon Foundation
Avedon est un photographe complet, mais il existe au moins une chose qu'il ne faisait pas : du photojournalisme. Il aimait créer ses photographies et être en interaction avec le modèle qu'il percevait comme un co-créateur et un interlocuteur privilégié. A l'inverse, il voyait dans le reportage du voyeurisme, car les photographies sont prises à l'insu des sujets.
Deux anecdotes relatées dans le livre témoignent de cet état d'esprit :
En 1949, le magazine Life lui propose de photographier la vie à New York (New York Life). Pendant six mois il parcourt les différents quartiers de la ville, mais une fois son travail terminé, il ne peut se résoudre à donner ses clichés au magazine : le fait de « voler » ces photographies, sans le consentement des personnes lui est insupportable. Il rendit l'avance de 25 000 $ que Life lui avait octroyé et garda ses pellicules. Elles restèrent inconnues près de quarante ans avant d'être utilisées pour son livre An Autobiography.
L'autre anecdote décrite par Helle Crenzien a lieu durant le shoot d'Andy Warhol and the members of the Factory. Les clichés qui en découlent dégagent une impression de désordre et de spontanéité. Or Crenzien explique qu'Avedon a tout controlé durant la séance: « C'est en réalité un tableau complexe où Avedon contrôle tout dans le moindre détail » écrit t-elle.
Andy Warhol and members of the factory, New York, October 30, 1969
© The Richard Avedon Foundation
L'héritage d'Avedon à la profession
Richard Avedon est à bien des égards un précurseur. Il est par exemple l'un des premiers à prendre pour modèle une femme de couleur : la chanteuse Marian Anderson.
« J'ai photographié la toute première modèle noire à paraître dans un magazine en 1965. J'ai eu beaucoup de difficulté à la faire intégrer la parution et je n'ai plus été autorisé à le faire par la suite. Puis, après quelques années sans, tout le monde s'est mis à le faire ».
Marian Anderson, Contralto, New York, June 30, 1955
© The Richard Avedon Foundation
Il fait aussi partie d'une génération à l'origine de la reconnaissance de la photographie comme un art à part entière. Avant le milieu des années 1970, très peu de musées classent la photographie comme un médium artistique. À cette époque, les photographies d'Avedon sont déjà très populaires. Grâce à lui, la photographie de mode, autrefois qualifiée de « branche non sérieuse » de la photographie parvient à ce faire un nom. Mais l'héritage d'Avedon ne s'arrête pas là. Sa série In the American West le fait définitivement reconnaître comme un artiste ayant « une œuvre et un projet qui ne peuvent être séparer du domaine de l'histoire de l'art » insiste Helle Crenzien.
Avedon immortalise des hommes et des femmes qui représente ce qu'est l'ouest américain : un fermier, l'employé de station service, le mineur de charbon, etc. Encore une fois, il ne fait pas que photographier ces personnes, il interagit avec elles pour aboutir à une co-création artistique. Le fond blanc joue un rôle central dans ce processus puisqu'il isole le sujet de son « background » naturel.
« Le fond blanc isole le sujet de lui même et permet d'explorer la géographie du visage, les continents non explorés du visage humain »
Billy Mudd, trucker, Alto, Texas, may 7, 1981
© The Richard Avedon Foundation
Ronald Fischer, Beekeeper, Davis, California, May 9, 1981
© The Richard Avedon Foundation
Boyd Fortin, thirteen year old rattlesnake skinner, sweetwater, Texas, March 10, 1979
© The Richard Avedon Foundation
Relié: 191 pages
Editeur : Louisiana Museum of Modern Art (novembre 2007)
Langue : Anglais
ISBN-10: 8791607493
ISBN-13: 978-8791607493
Dimensions du produit: 2,5 x 25,4 x 33 cm
Prix : 59 euros
Jérémy Maillet