© Bruno Boudjelal
http://actuphoto.com/29016-bruno-boudjelal-presente-detours-retour-.html">Exposition
C'est une démarche fondamentalement personnelle qui pousse Bruno Boudjelal à partir en Algérie en 1993 : le premier voyage avec son père, seul repère dans un pays qu'il ne connait pas, en plein milieu d'une décennie sombre.
Sans stigmatiser son enfance, elle est néanmoins cruciale pour la question des origines qui est à la source du travail de l'artiste. Bruno Boudjelal est franco-algérien, né en 1961 à Montreuil d'une mère française qui l'abandonne à la naissance et d'un père algérien qui met son pays de coté pour l'élever en France.
Ainsi son premier voyage vers l'Algérie accompagné de son père, est le point de départ d'une démarche d'introspection photographique. Il s'agit de l'exploration d'un territoire nouveau et d'une identité complexe, de la découverte d'une famille et d'une population : un sujet qui occupera Boudjelal et son travail pendant plus de dix ans.
L'exposition est divisée en quatre parties, quatre séries assez différentes qui prennent part à leur manière au questionnement identitaire de l'artiste.
Frantz Fanon
Cette partie consacrée à Frantz Fanon témoigne d'un intérêt particulier pour le personnage. Bruno Boudjelal découvre le psychiatre et essayiste français de Martinique grâce à sa femme elle-aussi d'origine martiniquaise. L'assimilation au grand homme et à son parcours semble s'être faite naturellement : « il me parut évident qu'il fallait m'intéresser à son parcours, lui qui quitta sa terre natale pour de lointains « détours » dont l'Algérie ».
Frantz Fanon est l'un des penseurs des théories tiers-mondistes. Il s'est également beaucoup impliqué dans le combat pour l'indépendance de l'Algérie, où il a exercé la psychiatrie à l'hôpital de Blida entre 1953 et 1956. Attaché à ce pays, il réclamera à sa mort d'y être enterré et repose aujourd'hui dans la commune d'Aïn-Kerma, à la frontière algéro-tunisienne.
Pourtant loin du domaine de la psychiatrie ou de la théorie politique, Bruno Boudjelal se reconnaît en Frantz Fanon pour des raisons personnelles autant qu'intellectuelles, et les exploite en tant qu'artiste. Ses photographies abordent donc la question de la construction identitaire liée au métissage et à l'expatriation. Sur le modèle du psychiatre qui a adopté l'Algérie, il s'interroge sur sa capacité à en faire de même et à considérer ce pays qu'il découvre comme part de lui-même.
La série est composée de clichés de petit format carré. Tous en noir et blanc, et le flou est la marque du doute omniprésent. Les images du photographe suivent le parcours de Frantz Fanon, dont les points d'arrêts : en Martinique, en Algérie, en Tunisie et au Ghana, sont autant de preuves de détours.
© Bruno Boudjelal
© Bruno Boudjelal
Circulation
Les murs consacrés à la série Circulation montrent un pan important de la réflexion de Bruno Boudjelal. Il s'agit de sa propre circulation à travers le territoire algérien, et de la circulation des Algériens dans leur propre pays, profondément marqués par les interdictions de voyager...
La série résume les différents allers et retours qu'effectue le photographe entre la France et l'Algérie depuis quatre ans. Il s'interroge alors toujours sur son appartenance à ce territoire et sur le lien qu'il tisse avec le sol algérien.
« Ces images sont des tentatives de réponse, issues de nombreux voyages effectués entre 2009 et 2013, à travers tout le pays ».
Lors de son premier travail sur le pays entre 1993 et 2003, Bruno Boudjelal a regretté de ne pas avoir pu prendre des photos comme il le voulait, craignant les autorités, utilisant du matériel de touriste... Puis en 2003, il réalise un voyage suivant le soleil, d'est en ouest, toujours en proie au doute quant à son rapport avec l'Algérie : « Comment expliquer cette proximité et cette intimité que j'ai pu ressentir dans des lieux où je n'étais jamais allé, avec des paysages que je ne connaissais pas ou bien des personnes inconnues ? Ces sensations m'ont très fortement perturbé et interrogé pendant longtemps ; j'ai donc décidé d'analyser et de comprendre tout cela ».
© Bruno Boudjelal
© Bruno Boudjelal
Les paysages de départs
Au fond de la galerie se trouve cette série, presque une illusion, un mirage... Il faut prendre le temps de l’accommodation pour distinguer les images. Les clichés sont très fortement surexposés. À l'origine : une erreur malencontreuse du photographe, mais finalement assumée et reproduite. L'idée est de représenter la permanence rétinienne du paysage disparu.
Là où se tiennent les migrants clandestins avant leur départ pour l'Europe, l'image du pays n'est bientôt plus qu'un souvenir. Il s'agit du dernier flash, la dernière image que l'on peut conserver, le souvenir de sa terre.
Cette série est à voir comme un ensemble, élément d'une réflexion plus profonde et plus globale de Bruno Boudjelal, sur la migration clandestine, toujours en cours...
© Bruno Boudjelal
Détours – retours
L'exposition se termine alors sur les images du retour. En fin de compte, tout le reste, les images et les expériences d'ailleurs ne sont que de grands et beaux détours. Car les images de Marseille sont rassurantes, elles sonnent le retour à la maison : la France.
C'est ainsi que l'a vécu Bruno Boudjelal en rentrant de son dernier voyage en Algérie : une révélation, baigné dans la lumière de fin de journée sur le bateau qui le ramène au port de Marseille...
Les clichés sont très récents (entre 6 mois et 4 semaines avant l'exposition). La plupart sont pris depuis le bateau, en petit format carré, ils sont en noir et blanc à l'exception de deux photographies qui s'affirment en couleur.
« Etait-ce enfin la fin du voyage, une identité retrouvée faite d'ici et de là-bas, un endroit où se poser ? Tous mes voyages effectués en Algérie depuis vingt ans n'avaient-ils pas finalement été de multiples détours pour mieux retourner ici ? »
© Bruno Boudjelal
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