Nicolas Muller Tatouages. Bordeaux, France, 1938 © Nicola?s Muller
Hongrie : le départ forcé
Avant son départ, le jeune Nicolás se concentre sur les ouvriers et sur ceux qui n'ont rien. La photographie sociale est en train de naître et le photographe hongrois y prend pleinement part. Il arpente les campagnes du pays, à pied, en train, à vélo, l'appareil en bandoulière. Ses clichés illustrent des parutions ethnographiques et sociologiques témoignant de l'appauvrissement des campagnes : des mains de paysans, burinées et calleuses, des familles pauvres dans leur maison, des hommes et des femmes au travail dans l'immensité des champs de blé...
Nicolás Muller
Aiguisage de la faux. Hongrie, 1935
© Nicolás Muller
Expulsé. Obligé de vivre hors de sa patrie. La définition du mot « exil » porte en elle la violence d'un départ forcé par un pouvoir qui ne tolère ni la différence ni la dissidence. Nicolás Muller est juif hongrois et les persécutions dans son pays rendent son départ obligatoire. « La peur et l'insécurité ont été les compagnons de toute sa vie » précise le commissaire d'exposition Chema Conesa. Un an avant son départ et l'Anschluss, il prendra la photographie ci-dessous. Elle représente le repos de deux amoureux insouciants sur le sable. Il s'agit de Miklós Radnóti, l'un de poètes hongrois les plus célèbres, qui sera fusillé par les SS en 1944.
Nicolás Muller
Miklos Radnoki et Fifi, 1937
© Nicolás Muller
France et Portugal : l'avant-guerre et la photographie ouvrière
Paris, 1938. Nicolás Muller n'a que 25 ans lorsqu'il arrive aux pieds de la Tour Eiffel. Il y rencontre d’autres artistes hongrois et pas des moindres : Brassaï, Robert Capa et André Kertész. Son travail sur le monde ouvrier se poursuit, à Marseille notamment. Ses images intéressent la presse ( Match, France Magazine, Regards).
Lors de sa brève escapade au Portugal (où il est emprisonné puis expulsé sous la dictature du général Salazar), il poursuit son oeuvre quasi documentaire : les dockers de Porto, les enfants des rues...
« J’ai appris que la photographie peut être une arme, un document authentique de la réalité. […] Je suis devenu une personne et un photographe engagés. »
Nicolás Muller
Tatouages. Bordeaux, France, 1938
© Nicolás Muller
Tanger : le choc de la lumière et l'orientalisme
Muller vécut sept années à Tanger, les plus heureuses de sa vie selon lui. Le monde est en feu mais le photographe se sent bien dans cette ville.
« Les yeux, les mains et tout mon être me démangeaient de l’envie d’aller partout pour prendre des photographies. »
Nicolás Muller
Le Lévrier et la modèle. Tanger, Maroc, 1940
© Nicolás Muller
Il apprend à apprivoiser une lumière vive, totale, qui redessine les jeux d'ombres dans des noirs et blanc de plus en plus ciselés.
Muller se met aussi parfois au service d'une Espagne, dont les prétentions colonialistes ont été mises à mal, et qui est d'autant plus avide d'orientalisme. La tension est permanente entre les convictions de l'artiste et celles de la dictature espagnole.
Nicolás Muller
Danseuse. Larache, Maroc, 1942
© Nicolás Muller
Nicolás Muller
Fête du Mouloud I. Tanger, Maroc, 1942
© Nicolás Muller
L'Espagne, le pays d'adoption
Il décide de s’installer à Madrid. Il retourne à ses premiers amours : le photojournalisme et l'exploration rurale.
Difficile là encore d'évoluer dans l'Espagne franquiste. Il montrera au travers de ses images l'omniprésente religion et le culte miltariste.
L'artiste défendra aussi la vie clandestine de l’intelligentsia espagnole à sa façon, en réalisant notamment de nombreux portraits de ses amis artistes, "comme les écrivains : Pío Baroja, Camilo José Cela, Eugeni d’Ors ou Ramón Pérez de Ayala, le pianiste Ataúlfo Argenta, ou encore le torero Manolete peu de temps avant sa mort".
Nicolás Muller est décédé en 2000. Il est temps d'aller voir le témoignage photographique de cet artiste qui a su saisir, avec douceur et humanisme, la tourmente de son époque.
Nicolás Muller
Séville, 1951
© Nicolás Muller
Nicolás Muller
Carénage du navire. Canaries,1964
© Nicolás Muller
Nicolás Muller
Casares, Malaga, 1967
© Nicolás Muller
Emilie Lemoine