© Tuija Lindström, Mirja, 1982
Oui, bien sûr ! Avant d'être photographe, j'étais écrivain. J'écrivais de la poésie et de la philosophie. Par la suite, j'ai quitté mon pays (Finlande) pour la Suède et, même si je parlais suédois, ce n'était pas ma langue maternelle, alors j'ai cessé d'écrire. Peut-être pour cette raison, la photo est apparue comme un meilleur moyen de m'exprimer. Les images, que ce soit des photos ou des tableaux, sont aussi une forme de langage. Et puis, quand la photo a été inventée, la peinture cherchait à être aussi réaliste qu'elle. Aujourd'hui, la photo tend à être aussi picturale que la peinture. Je trouve que c'est un joli retournement de situation.
Quel est votre parcours photographique ?
J'ai étudié la photographie dans une école d'art. Dans les années 80, on n'avait pas encore d'ordinateurs. C'était vraiment difficile de s'informer. À l'occasion de voyages, j'ai commencé à acheter des livres de photo. J'ai compris pour la première fois ce qu'était la photo quand j'ai découvert le travail de Diane Arbus. À l'école, on devait faire des portraits en studio. “Mirja” a été mon tout premier. Toutes les images que l'on trouve dans cette exposition, je les ai prises à peu près au moment où j'étudiais la photo. Mais ce n'était pas de la photographie d'art, c'était si assommant ! Je voulais mettre plus de choses dans l'image...
Gauche : © Diane Arbus, Jumelles identiques, Roselle, 1967 // Droite : © Tuija Lindström, Sisters, 1984
Oui et non. Bien sûr, je suis féministe mais pas seulement ! Ce qui m'intéresse, c'est la différence entre le regard de l'homme et celui de la femme. Je crois que les femmes voient d'autres choses que les hommes et que cette différence se reflète dans la photo. Quand j'étais étudiante dans les années 80, j'étais la seule fille dans ma classe ! À cette époque, les femmes n'étaient pas autorisées à se prendre en photo, encore moins nues. Du coup, « Mirja » est presque une photo révolutionnaire : une femme photographiant une autre femme qui montre ses tétons et qui en est fière !
Certaines de vos photos sont floues, voire brumeuses. Est-ce que l'appareil reproduit la réalité ou, comme le suggèrent vos photos, il crée une nouvelle réalité ?
© Tuija Lindström, Panther, 1983
La photographie, c'est vraiment un travail sur le temps révolu. Les photos servent à nous rappeler le passé. Le problème, c'est que le présent est déjà du passé ! Mes photos pourraient être prises pour des images de mon enfance ; or c'est impossible puisque je n'en ai aucun souvenir : j'ai été adoptée. C'est en ce sens que la photographie est vraiment magique ! Je me suis toujours efforcée de faire entrer mon âme dans la photo, littéralement de la souffler dans le papier. C'est de l'alchimie. Je n'ai toujours pas abandonné l'espoir de capturer quelque chose d'invisible. Bien sûr, avec une preuve matérielle... !
Que signifient vos photos ?
Les photos exposées aujourd'hui ont trente ans. Déjà à l'époque où je les ai prises, je voulais les débarrasser de toute marque temporelle. Je voulais qu'elles soient hors du temps. J'étais bien naïve ! Dans tous les cas, les photos doivent rester ouvertes. Je ne suis pas le professeur, je n'ai pas les réponses. Je connais à peine les questions... ! (Rires) Peut-être qu'on peut voir la photo comme une question, mais il n'y a rien de caché derrière : tout est là. Ça fait peur à certaines personnes ; je trouve ça très intéressant.
Dans vos travaux de jeunesse, vous preniez beaucoup de photos d'animaux ou d'enfants. Qu'est-ce qui vous attirait chez eux ? Leur innocence ? Leur fragilité ?
Non. J'ai commencé la photographie de rue parce que j'étais très timide... C'était plus facile de prendre en photo une fleur ou un chien, parce qu'ils n'allaient pas venir pour me frapper ! Et puis je n'aime pas avoir l'appareil devant les yeux. Je préfère le coller à ma poitrine, comme ça je peux voir partout. Quand on tient l'appareil devant le visage, on doit regarder dans le viseur et du coup, on n'est plus en sécurité. Quand je travaillais de cette façon, je ne réagissais pas tout de suite. Mon doigt était plus rapide que mon cerveau ! Cependant, la photo de rue n'est pas ma préférée. Quand tu es dans la rue, la rue vient à toi, alors qu'au studio, c'est toi qui décides. Je veux être celle qui dirige ! (Rires).
Dans vos photos, la peau est très présente. Qu'est-ce que cela représente pour vous ?
© Tuija Lindström, Backs, 1981
Dans le temps, je travaillais beaucoup sur les contrastes de lumière : je voulais montrer une certaine innocence. Peut-être en réponse au regard masculin sur les femmes, je voulais aussi montrer des femmes nues et bien en chair. C'était un moyen de retourner à l'Antiquité et aux sculptures grecques. Mais à cette époque, ce n'était que des corps d'hommes, qui plus est blancs de peau ; ce n'était pas réaliste. Je considérais aussi la peau comme une métaphore de la sensibilité. C'était il y a longtemps. Ces travaux étaient plutôt des esquisses : j'explorais toutes les possibilités de la photographie. J'ai changé depuis.
Est-ce que vous vous sentez encore proche de l'artiste que vous étiez à l'époque ?
Oui, aujourd'hui je l'adore. Mais à l'époque, je ne l'aimais pas tant que ça. Quand on m'a demandé de faire cette exposition, j'ai d'abord refusé. Ces photos ont trente ans, j'avais définitivement fermé cette porte. Et puis je suis tombée malade et je me suis dit que je devrais faire place nette avant de m'en aller et sortir ces photos du placard. Ça m'a pris deux ou trois ans de travail, j'avais des milliers de photos à trier. J'ai travaillé dur et, si je résume, l'ancienne Tuija m'a rendu un énorme service en revenant dans ma vie. Elle m'a fait comprendre que le raccourci n'est pas toujours la voie la plus rapide pour atteindre la ligne d'arrivée. C'était à la fois fantastique et douloureux.
Votre travail explore de nombreuses potentialités : le portrait, le paysage, la photo de rue, la nature morte... C'est difficile de le qualifier. Comment définiriez-vous en un mot votre approche de la photo ?
Le travail !
Propos recueillis par Marie Beckrich