Nathalie Lopparelli dans son atelier © Helen Doyle 2011
Dans son atelier Fenêtre sur Cour, elle propose depuis 2012 des tirages de collection argentique noir et blanc : MyDarkroom était né.
Elle a gentiment accepté de nous recevoir dans son atelier pour répondre à nos questions sur son parcours et sur l'association. Elle est accompagnée pour l'occasion de Dominique Mérigard, photographe et membre de Mydarkroom.
Votre carrière est assez impressionnante, comment en êtes-vous arrivé là ?
Nathalie Lopparelli : J'ai fait une école de photo, qui s'appelle l'ETPA à Toulouse, et la première année on était obligé de faire un stage en labo. J'ai fait le mien à Paris et j'ai découvert ce qu'était vraiment le tirage : cela s'est révélé être très éloigné de ce que j'avais vu en cours et j'ai adoré ça. Au lieu de revenir à l'école j'ai postulé pour le poste de tireur chez Salgado (Sebastiao Salgado, ndrl) et il m'a pris. C'est comme ça que je suis devenue tireur professionnel (elle prèfère le terme de tireur à tireuse, ndlr).
Donc vous avez commencé par faire une école de photo et finalement vous êtes devenue tireur...
N.L : Exactement ! Normalement j'aurais dû continuer en deuxième année et puis devenir photographe. Je voulais faire photographe de plateau mais la découverte du tirage avec des tireurs pro a été magique. Un vrai déclic.
Vous ne faites pas du tout de photographie ?
N.L : Non du tout. Je ne suis pas photographe, je suis tireur.
Cela veut dire que l'on peut être énormément passionné par le tirage, sans l'être pour la photo ?
N.L : Disons que je suis passionnée par le tirage et par les images mais je n'ai envie de prendre aucune photo, aucune, aucune... Je prends plaisir à regarder les images, bien évidemment, j'en ai chez moi, mais j'aime surtout les travailler. Mais non, prendre un appareil et faire ce que les photographes font... Je préfère rester dans ma chambre noire c'est beaucoup plus cool (rire) et puis je suis mariée à un photographe aussi (rire) (Philippe Lopparelli, ndlr).
La technique du ferricyanure* est un peu votre marque de fabrique...
N.L : Oui c'est une technique que j'utilise beaucoup parce qu'il y a des choses que l'on ne peut pas faire sous l'agrandisseur. Tu as beau être le meilleur tireur du monde, il y a des choses que tu ne vas pas réussir à déboucher** et le ferricyanure permet de ramener un tout petit de lumière dans des tous petits détails et dans des tous petits endroits avec l'aide d'un pinceau ou d'un coton tige.
*ferricyanure : le ferricyanure est un produit chimique utilisé en tirage photographique pour éclaircir certaines zones d'un tirage.
**déboucher : enlever de la densité, c'est à dire rendre moins noir certaines zones du cliché.
© Sebastião SALGADO
Salgado est très connu pour ses clichés noirs et blancs dont certains ont été traités par endroit au Ferricyanure
Mais de fait, cela devient la marque de reconnaissance des photographes avec qui vous travaillez...
N.L : Non pas forcément parce que ça ne se voit pas quand on travail au ferricyanure. Quand je le fais, personne ne sait quelle image j'ai travaillée avec ou non. C'est ce qu'on appelle une finition : on est très content du tirage mais quand on sait que l'on peut rajouter quelques petites choses au ferricyanure, on va le faire.
Comment vous êtes arrivé à en faire votre spécialité ?
N.L : C'est parce j'ai appris avec le tireur de Joseph Koudelka (Voya Mitrovitch, ndlr) et que ça m'éclate. C'est vrai que pas mal d'images sont travaillées mais il y a des photos où il n'y a rien.
© Joseph Koudelka
Votre travail - dans l'ombre - n'a pas un coté un peu frustrant, en comparaison de la reconnaissance qu'obtient le photographe ?
N.L : Non. Pas pour moi en tout cas. Quand je travaille avec mes photographes, que je vois qu'ils sont contents, qu'il y a un sourire, ça me suffit.
Et par rapport à la popularité qu'ont les photographes auprès du grand public ?
N.L : Non plus parce que j'ai quand même mon nom dans des expositions, des livres de photographie, et ça c'est plutôt sympa. Mais on n'a pas le même statut : je ne veux pas avoir le même statut que mes photographes, je suis artisan, pas artiste. Par contre bien sûr que j'apprécie qu'on aime mon travail mais je n'ai pas besoin d'avoir mon nom en grand sur les tirages, souvent c'est écrit en tout petit et c'est suffisant. Sur les livres par contre c'est important parce que c'est pratiquement la seule chose qui va rester.
Vous ne faites que du noir et blanc. Cela a un rapport avec le processus de tirage ?
N.L : Oui c'est vrai que le tirage couleur est très différent : déjà on est dans le noir complet. Et puis dans le noir et blanc il y a aussi bien le travail sous l'agrandisseur, les mains qui vont intervenir, tout ce que l'on fait dans le bac révélateur, etc. On a plein de techniques donc c'est très manuel et j'ai besoin de travailler avec mes mains.
Vous parliez d'artisanat tout à l'heure. Le noir et blanc est-il plus artisanal que le tirage chimique couleur ?
N.L : Oui complètement. J'ai fait très peu de couleur mais effectivement je dirais que le processus est plus chimique, voire un peu plus technique même, plus matheux car il faut mélanger la couleur, les cyans, les trucs... Le noir et blanc, c'est de la bidouille, il y a peu de chose à savoir et après on bidouille presque tout le temps. Parfois on fait des erreurs, mais ça nous fait dire : « Tiens j'ai fait une erreur mais ça m'amène à quelque chose d'exploitable », donc c'est intéressant.
On est en 2014, bientôt en 2015, le numérique est de plus en plus présent... Pensez-vous qu'il permet des rendus aussi beaux que les vôtres ?
N.L : Alors en ce qui concerne le noir et blanc, pour moi non. Pour l'instant ils n'y sont pas encore arrivés mais ils vont y arriver. Mais pour l'instant, quand on compare un tirage numérique avec un tirage baryté***, ce que je fais, il n'y a pas la profondeur du papier que j'utilise. Il n'y a pas cette profondeur de noir, ces éclats de blanc ou bien la gamme de gris qu'il peut y avoir sur le tirage argentique. Par contre en couleur j'ai vu des choses qui me semblent vraiment bien.
Dominique Mérigard : Le travail de Nathalie, c'est aussi de faire des tirages uniques : même si on lui redemande de faire un tirage similaire au premier, le révélateur ne va pas avoir la même température, la même dilution, le même temps d'utilisation.... Même le papier peut changer. C'est une différence avec le numérique où l'on peut avoir toujours le même rendu.
***papier baryté : le papier baryté est une autre spécialité de Nathalie Lopparelli. A développement au sulfate de baryum, il est souvent considéré comme le support le plus noble pour la photographie. Il donne un très bon rendu notamment pour restituer des blancs purs et des noirs profonds. Il est par contre très dur à maitriser, car il gondole au séchage. Il faut alors utiliser une presse.
Il y a un coté plus magique dans l'argentique selon vous ?
N.L : Oui tout à fait. Et puis en argentique il y a quelque chose de très concret, c'est le négatif, tu le touches alors qu'un fichier c'est quand même complètement virtuel.
Est-ce qu'on est en train de perdre tout ça ? Est-ce que l'argentique ne risque pas de disparaître avec l'essor du numérique ?
D.M : Non je pense que l'argentique va devenir une niche : il y a des jeunes qui apprennent la photographie et essayent le numérique mais quand ils essayent l'argentique, ils trouvent ça génial. Ça, on ne pourra pas l'enlever. Avec cette association, l'idée est de montrer qu'il y a gens qui ont envie de continuer à faire ça.
N.L : Après ce qui risque de disparaître, ce sont les chaînes, les tireurs, les développeurs, etc. Je ne pense pas qu'on soit beaucoup à tenir et à résister face au numérique parce qu'on a moins de commandes, il y a moins de budget, il y a moins d'argent pour faire une expo de tirages argentiques aujourd'hui qu'il y a dix ans. Cela fait 21 ans que j'ai commencé, à l'époque on devait être 50 tireurs sur Paris, maintenant en tant qu'artisans, on doit être 4 ou 5. Et c'est pas évident.
MyDarkroom s'inscrit dans ce mouvement là ?
N.L : Oui c'est surtout pour faire connaître l'argentique et montrer que ça existe toujours. C'est aussi faire comprendre que les photographes n'ont presque plus d'endroits pour montrer leurs images. Rentrer dans une galerie c'est extrêmement compliqué, soit parce que la galerie a déjà trop de photographes, soit parce que cela ne correspond pas à ce qu'ils veulent. Ils n'arrivent plus non plus à vendre en presse. Avoir un portfolio édité est très compliqué, un livre encore plus donc c'est aussi une possibilité pour eux de pouvoir montrer leurs boulots. S'ils vendent c'est encore mieux parce que l'argent peut être réinvesti pour une autre série, pour partir en voyage ou pour produire. Maintenant trouver de l'argent pour partir en reportage devient extrêmement compliqué : en dehors de vendre des tirages de collections, de faire des bourses, des concours ou par bonheur de trouver un mécène, il n'y a franchement pas beaucoup de possibilités pour les photographes. Dans le même temps, c'est un moyen de rendre plus accessible les photographies pour le public qui n'a pas besoin de passer par une galerie pour acheter une œuvre.
D.M : Je pense qu'il y a aussi besoin de dire, d'éclaircir les choses, d'expliquer car les amateurs (les débutants, ndlr) sont un peu perdus, ils ne comprennent pas toujours ce que c'est, si c'est du numérique, de l'argentique etc. Enfin, avec MyDarkroom on présente et on vend des photographies vintages, des images qui ont été tirées il y a 15 ou 20 ans, sur des supports qui n'existent plus et avec des épreuves qui ont subi l'épreuve du temps, dans le bon sens du terme.
Pour terminer, si vous deviez travailler avec un photographe avec qui vous n'avez pas eu l'occasion de le faire, ça serait qui ?
N.L : Il y en a un : Joseph Koudelka. Et un autre pour lequel je ne pourrais pas travailler parce qu'il fait ses tirages lui même c'est Joel-Peter Witkin. Donc là j'ai aucune chance (rire).
Informations utiles :
http://mydarkroom.org/presentation.html"> http://mydarkroom.org/presentation.html"> Prochaine vente : Le 4 et 5 décembre à la SCAM
(propos recueillis par Jérémy Maillet, le 27/10/2014)