© Liu Bolin
L'histoire de Liu Bolin commence avec un poing en fer géant de plus deux mètre de hauteur. Un premier exemplaire de Fist, contestation pour dénoncer la décision du gouvernement de détruire le village de Suo Jia Cun, dans la banlieue de Pékin où plus d'une centaine d'artistes possèdent leur atelier. C'était en 2005... Cette année marque aussi le départ de Hiding in the city dont le premier cliché montre Liu Bolin peint de la tête au pied, fondu dans le décor des ruines de son atelier. Une manière de protester contre son impuissance, contre le mépris de la culture. La reconnaissance arrive alors doucement et des centaines d'autres performances s'en suivront. Liu Bolin fait évoluer sa technique et pousse sa réflexion critique. D'abord sur la Chine, puis il s'ouvre sur l'Europe et les Etats-Unis.
Red hand © Liu Bolin
Sui Jia Village © Liu Bolin
Le 9 octobre 2014, les éditions de la Martinière publient le dernier livre de Liu Bolin. La première grande monographie éponyme qui reprend ses sculptures et ses photographies de la gigantesque série Hiding in the City.
L'ouvrage Liu Bolin est préfacé par l'universitaire et critique d'art Phillipe Dagen qui mène une réflexion intéressante sur l'oeuvre de l'artiste, en lien entre autres avec les notions de camouflage et de guerre. Puis Silvia Mattei réalise en postface une belle biographie explicative.
L'oeuvre de Liu Bolin est fondamentalement personnelle. Son histoire propre, teintée de colère est le moteur de sa création. L'ouvrage retrace son parcours et sa réflexion artistique sur les sociétés chinoise et occidentales.
Nous l'avons interrogé à ce propos pour actuphoto...
Sunflowers © Liu Bolin
Dans la préface Phillipe Dagen rappelle les rapports entre l'art, le camouflage et la guerre. Etes-vous en guerre, Monsieur Bolin ?
Effectivement, j'ai beaucoup appris des techniques de la guerre. De la manière dont on se camoufle, dont on peint son costume, à la manière des snipers... Aussi du fait de ne pas bouger : se tenir immobile pour se fondre dans le décors et se rendre invisible. Ce sont effectivement des techniques qui m'ont inspiré et qui sont celles des armées et de la guerre.
L'ouvrage Liu Bolin s'ouvre sur deux photos prises sur la place de Tian'anmen, à quel point était-ce important de commencer par là ?
À vrai dire, ce choix n'est pas le mien. J'avais plusieurs photos de Tian'anmen, mais la décision de commencer le livre avec ces deux là, vient de l'éditeur la Martinière.
Pouvez-vous nous dire un mot sur votre manière travailler, la façon dont vous diriger une performance ?
Beaucoup de gens travaillent avec moi, et parfois on me reproche de ne pas être dans l'action lors de la performance. On me dit que ce n'est pas moi qui peints, que ce n'est pas moi qui prends la photo, alors on me demande en fin de compte, si ce que je fais est vraiment mon œuvre... En général, je réponds à ces gens-là que je sais bien que je ne suis pas celui qui réalise l'action à proprement parler, mais je choisis tout le reste. Je choisis le décor, je choisis ma position et je choisis ceux qui vont travailler avec moi : le peintre et le photographe. Je contrôle absolument tout. L'idée de la performance est exclusivement la mienne, je muris et construis mon projet seul. Bien que je travaille en équipe, les décisions faites en amont m'appartiennent. Je travaille avec de très bons assistants et je les admire, mais ils demeurent mes assistants.
© Liu Bolin
Pourquoi avoir utilisé la Liberté guidant le Peuple pour une performance ? Qu'est ce que ce symbole républicain français représente à vos yeux ?
L'oeuvre de Delacroix fait partie d'une réflexion générale que je mène sur la liberté. En premier lieu, j'ai fait cette photo pour la mettre en lien avec une autre réalisée à Bruxelles (2013, Brussels 02, Graffiti). Les deux performances de Bruxelles et Paris se répondent et expriment cette réflexion que je mène depuis deux ans sur le concept de liberté. Utiliser cette peinture était un moyen de rebondir et de m'exprimer sur cette idée. C'est bien sûr une réflexion que j'entretiens en lien avec la société chinoise, mais pas seulement ! La liberté est un concept beaucoup plus large, universel, qui dépend de la philosophie et concerne donc la Chine autant que la France ou les Etats-Unis.
Liberty leading the People © Liu Bolin
Vous avez déjà collaboré avec plusieurs artistes français (Jean Paul Gautier, JR), y aurait-il un autre artiste français avec lequel vous aimeriez travailler dans l'avenir ?
Ça, c'est quelque chose qui dépend du destin, des occasions que je peux rencontrer. En tout cas, je n'ai pas de projet précis pour le moment.
On vous appelle « l'artiste invisible » quelle est votre interprétation de cette expression?
Le fait d'être invisible, c'est juste un processus qui correspond à mon travail. C'est une manière de protester avant tout.
Justement, en vous cachant, vous attirez l'attention du public sur une question ou un problème. Pensez-vous que tous les artistes ont une mission d'indignation et de protestation ?
Non. Ce qui me semble important, c'est que les artistes doivent se baser sur leur histoire et leurs expériences personnelles pour exprimer ce qu'ils ont à dire. À la base j'étais sculpteur, puis le gouvernement chinois a détruit mon atelier dans le village d'artistes de Suo Jia Cun en 2005. Et j'ai utilisé ce fait marquant pour exprimer ma révolte et mon désarroi. Mon message est vraiment lié à mon propre parcours et à mon expérience personnelle. La photographie a donc représenté une manière d'exprimer ce que j'ai ressenti. Je pense que l'art et la protestation ne sont pas nécessairement liés. En ce qui me concerne pour le moment, c'est le cas, mais ça dépend de l'expérience de chacun.
Cancer Village © Liu Bolin
Est-ce qu'il y a des artistes chinois dont vous aimez le travail, avec qui vous aimeriez collaborer ou dont vous vous sentez proche ?
Pas spécialement. J'ai conscience qu'il y a de très bons artistes chinois qui sont très méritoires, mais une collaboration n'est pas au programme. J'ai déjà mon atelier et mon équipe. Et puis « le bon art », j'entends l'art de qualité chinois, c'est celui qui sait émouvoir. Alors une collaboration doit être légitime et surtout personnelle. Je n'ai donc pas de nom à citer pour l'instant.
http://actuphoto.com/23767-interview-de-l-artiste-performeur-chinois-liu-bolin.html">L'année, vous aviez confié votre regret de ne pas avoir pu vous exprimer comme vous le vouliez avec la sculpture, avez-vous évolué dans le domaine ?
Malheureusement non ! J'aimerais bien me consacrer à de nouveaux projets dans la sculpture, mais je n'ai pas le temps. Pour l'instant, mes performances et mes photographies m'occupent complètement. Néanmoins, la sculpture reste dans un coin de mon esprit, après tout elle constitue ma formation, c'est une part de mon histoire...
Puffed Food © Liu Bolin
Red Hand © Liu Bolin
Liu Bolin sera présent à Paris Photo 2014 ce samedi 15 novembre au STAND C03 de la galerie Paris-Beijing pour la signature de son nouveau livre.
La galerie Paris-Beijing propose un commissariat sur la question de la censure en Chine avec les travaux de huit artistes chinois engagés pour la liberté d'expression dont Liu Bolin, Ai Wei Wei, Chi Peng, les Gao Brothers, Hei Yue, Mo Yi, Ren Hang et Zhang Dali.
Paris Photo, au Grand Palais du 13 au 16 novembre
© Liu Bolin
Liu Bolin
Editions de la Martinière.
BEAUX LIVRES
320 x 256 mm - 224 pages
09 octobre 2014 - 9782732463971
49 €
Gwendolina Duval