© Marianne Rosenstiehl, Le sang des femmes, 2014
La petite taille de la galerie, composée de deux salles d'environ 15m2 chacune, est idéale pour le thème de l'exposition de Marianne Rosenstiehl. Le cadre intime, petit cocon au cœur du 10ème arrondissement, pousse le badaud à marcher sur la pointe des pieds. Le plancher craque agréablement sous les semelles. Plusieurs images, différentes dans leur format et leur sujet, sautent d'emblée aux yeux de ceux qui s'aventurent par là : un groupe de femmes (sont-elles en haillons?) arpentent le sol fraichement labouré d'un champ, la jupe légèrement soulevée et les jambes écartées. L'oeuvre est nommée « Les Limaces ». La légende nous apprend qu'il s'agit d'une tradition médiévale consistant à faire fuir les nuisibles des récoltes grâce au sang menstruel. En plus de revêtir une dimension mystique (on dirait des sorcières en procession!), la photo est instructive.
© Marianne Rosenstiehl, Les limaces, 2014
La leçon continue. Sur un autre pan de mur, un cliché aux contours aiguisés montre le dos et les fesses d'une femme ; une armée de soldats en plomb semble sortir de son derrière, un drapeau anglais planté à son sommet. Ici, la photographe prend au pied de la lettre le proverbe « l'invasion des anglais », synonyme de l'arrivée des règles. L'humour et le second degré sont présents dans toute l'exposition ; la participation du spectateur aussi. Sur un tableau blanc, dans la seconde pièce de la galerie, un stylo est à disposition pour permettre à toutes et à tous d'écrire la façon dont ils nomment les menstruations. Sur une fenêtre, des stickers qui évoquent le phénomène dans des langues du monde entier...
© Marianne Rosenstiehl, Les anglais, 2009
Toutefois, le travail de Rosenstiehl ne tourne pas qu'autour des règles. En accord avec l'un des trois thèmes du mois de la photo, « au coeur de l'intime », elle montre, en grande portraitiste, le visage de femmes ménopausées. En neuf intimités et une variété de traits, l'on comprend l'objectif de la photographe : briser le tabou que représente parfois les menstruations ou l'absence de menstruations. En effet, rien, dans ces visages, de répugnant ou de « manquant ». Il s'agit des femmes telles qu'elles sont, avec ou sans leurs règles.
© Carine Dolek
La galeriste Carine Dolek explique la démarche d'accrochage des œuvres : il s'agissait de ne pas tomber dans le piège d'une pièce dédiée au sang et d'une pièce dans laquelle il serait absent. De cette façon, le phénomène de menstruation n'est pas stigmatisé. « Ça ne sert à rien de dénoncer une démarche si on la reproduit !», nous dit-elle. La photo « Les Limaces » a quant à elle eu la place et le format d'honneur de l'exposition puisque c'est sur elle que tombe en premier le regard. Grâce à un subtil jonglage entre les tailles des clichés, leurs couleurs et leurs thèmes, un équilibre entre la forme et le fond a été atteint dans The Curse. Pari réussi pour le Petit Espace.
© Carine Dolek
© Carine Dolek
La photographe va plus loin que la conception patriarcale de la femme pour inclure dans ses réflexions les transsexuels, dont on apprend que certains se tailladent les cuisses chaque mois afin de simuler la perte de sang menstruel. Sur un cliché, une femme – après avoir été un homme – assume avec fierté le filet de sang qui perle sur sa cuisse. Une pathologie, la dysménorrhée, est également abordée à travers la photo d'une jeune fille sagement assise sur un divan. En somme, l'exposition se veut incluante, en ne laissant personne - homme ou femme, réglée ou non - sur le banc de touche. La féminité n'est pas, semble-t-il, le privilège d'un sexe mais bien un concept flexible et ouvert à ceux qui le souhaitent.
© Marianne Rosenstiehl, Sony saigne, 2014
Marie Beckrich