Henri Dauman et Brigitte Bardot, sur le tournage de « Vie Privée » de Louis Malle, 1962 © DaumanPictures.com / Henri Dauman
Life, le New York Times, Paris-Match, le Times...
Le génial photographe dépeint la société américaine et ses mutations dans les plus grands magazines.
Presque inconnu du grand public, ce Parisien né à Montmartre embarque en 1950 sur le Liberté pour New York où il couvre la plupart des événements historiques américains de cette deuxième moitié du XXème siècle : enterrement de Kennedy, lutte pour les droits civiques des Noirs, montée du féminisme, manifestions contre la guerre du Vietnam ou pour le droit l'avortement...
Mais Dauman, c'est aussi un talent pour le portrait, dans lequel il cherche à capter un regard, et à créer une relation avec le sujet. Tous ou presque y sont passés : Jean-Luc Godard, Yves Saint-Laurent, Marylin Monroe, Elvis Presley, Brigitte Bardot...
Miami Beach, années 1960
© DaumanPictures.com / Henri Dauman
Cortège funèbre, Funérailles de John Fitzgerald Kennedy,
Washington DC., 25 novembre 1963
Photo reprise par Andy Warhol dans son tableau "16 Jackies"
© DaumanPictures.com / Henri Dauman
Pour l'ouverture de l'exposition The Manhattan Darkroom au palais d'Iéna, Actuphoto a rencontré Henri Dauman.
Vos photographies n'ont jamais été montrées auparavant, c'est votre première exposition personnelle en plus de quarante ans de carrière. Qu'est-ce qui vous a (enfin) poussé à ouvrir vos tiroirs remplis de tirages et de planches contact ?
Vincent Montana (producteur et ami d'Henri Dauman, ndlr) me parle de ce projet depuis une dizaine d'anées. Il me disait « mais pourquoi tu ne montres pas tes photos au public ? ». Il a fini par me convaincre de faire ce travail énorme et il a donc envoyé les commissaires d'exposition, François Cheval et Audrey Hoareau, chez moi, à New York, pour m'aider à faire le choix des photographies. On y travaille depuis trois ans et ça été une grande aventure pour moi, un travail titanesque ! J'avais entre 800 000 et un million de négatifs et diapos chez moi ! Mais je suis ravi de revenir ici, ma ville natale, après un demi-siècle de travail aux États-Unis.
Au début de votre carrière, vous étiez avant tout attiré par le cinéma. Pourquoi ne vous êtes vous pas dirigé dans cette voie là ?
Pas uniquement au début de ma carrière ! Avant même et toujours aujourd'hui. Dans les années 50 c'était surtout le cinéma américain qui me plaisait et cela a beaucoup influencé mon travail et mes reportages. Vous savez, en restant suffisamment longtemps sur la scène (d'un reportage,ndlr), ça devient une séquence presque cinématographique !
Marilyn Monroe et Arthur Miller, projection privée de Certains
l’aiment chaud, Hollywood, 1959
© DaumanPictures.com / Henri Dauman
Mais alors pourquoi vous êtes vous tourné vers la photographie ?
Parce que c'était plus facile à réaliser! Pour faire de la photographie, il suffit d'un appareil, de marcher et de réfléchir, alors que le cinéma c'est un travail de groupe, c'est beaucoup plus compliqué. Ce n'est pas nécessairement votre créativité seule mais un ensemble, une coopération de beaucoup de gens.
En 1950, vous embarquez pour les Etat-Unis. Pourtant en France vous aviez déjà commencé une carrière dans la photographie. Pourquoi tout quitter et faire ce grand bon aux Etats-Unis ?
Je suis parti pour deux raisons : parce que j'étais seul en France, et parce que je pensais pouvoir faire plus là-bas.Il faut bien comprendre la situation pour moi à cette époque. La France venait de sortir de la guerre et je me suis retrouvé seul à Paris. J'avais moins de 15 ans, mon père avait été déporté à Auschwitz et ma mère est décédée à cause d'un accident : le pharmacien du quartier à vendu à ma mère comme à plusieurs dizaines de personnes ce qui devait être du bicarbonate mais qui s'est avéré être du poison pour rat. Neuf personnes, dont ma mère, sont mortes par l'erreur du pharmacien. Donc je me suis retrouvé orphelin. Je m’intéressais à la photographie, j'ai acheté un appareil et je m'exprimais par ce biais là. Je faisais des photos dans Paris. Puis j'ai découvert que j'avais un oncle, l'oncle Sam, qui habitait à New York. Il m'a contacté et demandé si je voulais venir aux Etats-Unis. J'ai accepté parce que je n'avais rien à perdre, je pensais dans ma petite tête de 16 ans que je pourrais faire plus aux Etats-Unis : travailler dans des plus grands magazines au lieu de courir après des starlettes à Paris.
Vous arrivez aux Etats-unis, mais vous êtes encore balloté d'un appartement à un autre, dans un pays étranger, avec une culture et une langue différente. Cela doit être difficile pour un gamin d'à peine 17 ans...
Oui quand je suis arrivé là-bas, c'était un peu décevant et déprimant. C'était un 14 décembre 1950, il faisait très froid, il y avait de la glace et de la neige partout. Je ne pouvais pas vivre avec mon oncle finalement car il vivait avec une autre femme et elle n'a pas voulu que je reste chez eux. Mais au final ça m'a rendu plus dur, plus coriace.
Vous vous décrivez comme un « one man agency », pouvez vous nous expliquer le concept ?
J'ai commencé à photographier les choses qui m'intéressaient et j'avais plus de facilité à les vendre dans des journaux français, allemands, ou italiens. J'ai commencé par travailler pour France-Amérique, un journal français à New York au début des années 50 et je photographiais toutes les personnalités qui venaient dans la ville. Donc petit à petit j'ai développé tout ça, surtout les reportages que je faisais de mon propre chef. Je me suis mis en contact avec des éditeurs comme Paris Match, Jour de France, Epopa en Italie, le Times à Londres... J'avais divisé ma cuisine en deux pour me faire une chambre noire. Je faisais des reportages la journée et la nuit les tirages. Après j'envoyais le tout par express à travers plusieurs pays en Europe. Au bout d'un moment les éditeurs de Life se sont aperçus que « le petit mec français » faisait aussi bien, voir mieux que les équipes sophistiquées, composées de personnes très connus. Ils retrouvaient la même chose qu'eux, en mieux, dans les pages de Paris Match, alors que j'étais tout seul pour faire le boulot. Donc ils m'ont contacté et j'ai commencé à travailler pour eux en 1958.
Une autre expression est au cœur de cette exposition, c'est « right here, right now » qu'on peut traduire par « au bon endroit au bon moment ». Comment fait-on pour être au bon endroit et au bon moment, quand on travail en « freelance » comme vous ?
D'abord, c'est capital d'être au bon endroit au bon moment dans ce métier. Et pour comprendre comment y arriver, il faut comprendre une autre expression anglaise : « your finger on the pulse » (le doigt sur le pouls). Je ne sais pas si elle existe en français mais ça signifie sentir ce qu'il se passe autour de vous. Il faut s'intéresser à tous les sujets et particulièrement à ceux qui nous intéressent. C'est ce que j'ai fait, j'ai photographié chaque pièce du puzzle de la société pour former la grande image américaine.
Mais vous savez, en réalité ce n'est pas difficile de faire un reportage sur Marilyn Monroe quand elle apparaît dans un événement public. Ce qui a fait mon succès, c'est que j'avais une vision différente et que je ne photographiais pas de la même manière que les dix autres là aussi.
Vous avez aussi fait beaucoup de portraits, est-ce un exercice que vous appréciez ?
Oui, à l'époque c'était surtout pour le New York Times. Il était imprimé sur du papier journal et souvent j'éclairais les portraits pour qu'ils ressortent de la page. En général un journal c'est gris, surtout dans les années 50, 60, on n'a pas la qualité de ce que l'on a maintenant.
Le retour d’Elvis Presley à Graceland, 1960
© DaumanPictures.com / Henri Dauman
Denis Hopper et Peter Fonda, 1969 Easy Rider
© DaumanPictures.com / Henri Dauman
En réalité il existe deux Henri Dauman : le photographe de l'instant décisif à la Cartier-Bresson, et le portraitiste, plus posé....
Oui dans Images à la sauvette, Henri Cartier-Bresson parlait de ce moment décisif, mais dans mon cas il y a aussi le moment créé. C'est à dire qu'une fois que j'ai posé Fellini devant moi, que je l'ai éclairé, mis un fond noir, ensuite c'est à moi d'avoir une relation avec lui pour essayer de trouver sa personnalité, pour que j'ai vraiment le vrai Fellini et pas son image cinématographique.
Andy Warhol dans l’exposition The American Supermarket,
Bianchini Gallery, New York, octobre 1964
© DaumanPictures.com / Henri Dauman
Vous revendiquez votre nationalité française, que vous avez toujours gardée. Vous a t-elle a servi durant votre carrière ?
Pas toujours... Quand j'étais au Vietnam, Life pensait justement que ça m'aiderait mais en fait non. Il y avait la guerre et les Vietnamiens ne voulaient plus entendre parler des Français. Ils ne les aimaient mais ils aimaient encore moins les Américains donc j'ai pu apprendre à les connaître et comprendre la raison pour laquelle ils s'immolaient au moment de la guerre. Ils me disaient : « Les Américains ne vont pas gagner la guerre, c'est une guerre impossible à gagner ». Et ils avaient raison.
Manifestation pour les droits civiques devant la Maison Blanche,
Washington DC. , 1965
© DaumanPictures.com / Henri Dauman
Target : Negro Jobs, pour Newsweek, juillet 1968
© DaumanPictures.com / Henri Dauman
Jane Fonda, 1963
© DaumanPictures.com / Henri Dauman
Retrouvez toutes les informations de l'exposition http://actuphoto.com/29376-the-manhattan-darkroom-henri-dauman.html">
Propos recueillis le 3/11/21014 par Jérémy Maillet.