© Marc Riboud / Flammarion
Avec « Marc Riboud - 60 ans de photographie», les éditions Flammarion rendent hommage à l'un derniers acteurs vivants de la grande époque Magnum des années 1950 (alors sous la direction de ses pères fondateurs Henri Cartier-Bresson et Robert Capa).
L'ouvrage revient sur la totalité de la carrière du photographe qui laissa sans l'ombre d'un doute son empreinte dans l'histoire de la photographie et du reportage.
Dans une magnifique préface, la journaliste Annick Cojean nous dévoile quelques-unes des facettes de la personnalité du photographe. La curiosité et la malice, entre autres, l'ont ainsi amené à prendre en photo avec autant de plaisir les brindilles de son jardin dessinant des visages dans la terre, que le bain des éléphants dans le Gange.
Riboud a toujours refusé de se voir coller l'étiquette de photographe engagé ou bien même celle d'un homme qui couvrirait l'actualité. Il se décrit plus volontiers comme un grand flâneur qui est allé « voir de près ce dont tout le monde parlait de loin ».
Pourtant, qu'il le veuille ou non, en immortalisant des moments d'histoire (l'indépendance de l'Algérie, les camps de réfugiés en Inde, l'industrialisation à marche forcée de la Chine, la révolution iranienne etc), Marc Riboud fait partie de l'époque mythique des photo-reporters qui voyagèrent aux quatre coins du monde en fonction des événements à couvrir, mais aussi guidés par leurs envies et désirs propres.
Ses photos sont les témoins d'une époque quasi-révolue : celle de la photographie argentique, dont le grain si caractéristique, présent sur certaines images issues des pellicules 35mm, renforce le caractère historique des moments immortalisés.
Washington D.C., 21 octobre 1967. © Marc Riboud
"Devant le Pentagone, lors d'une marche pour la paix au Vietnam, Jan Rose Kasmir donne un beau visage à la jeunesse américaine"
Lucknow, Inde, 1956. © Marc Riboud
"Depuis la partition en 1947, les musulmans restent nombreux dans le nord de l'Inde.
Seule une petite boucle d'oreille signale que ce joli visage au crâne rasé est celui d'une petite fille"
Les descriptions données par Riboud lui même pour chacun des clichés sont d'autres indices sur sa personnalité. L'homme se dévoile alors sensible, drôle ou nostalgique, notamment quand il commente une photo cinquante ans après sa prise. Il fait aussi souvent preuve de poésie : il avait pour habitude d'avoir toujours dans les poches des petits papiers remplis de vers ou de citations. Parfois encore, même si comme pour tout bon photographe, ses images se suffisent à elles-même, ses commentaires éclairent les clichés sur l'histoire qui les entoure. Ils permettent aussi de mieux comprendre la situation dans laquelle ils ont été pris ou le sens recherché par le photographe. Il en résulte une impression de photos plus personnelles, comme sorties d'un journal de voyages.
Congo, 1961. © Marc Riboud
"A l'aéroport de Léopoldville, pendant la réception du secrétaire d'Etat Mennen Wiliams, je prend le temps de faire mon autoportrait"
Hollande, 1994. © Marc Riboud
"Etrange réflexions au bord d'un canal"
Paris, 1953. © Marc Riboud
"Le peintre, surnommé Zazou, était à son aise. J'avais le vertige et je fermais les yeux chaque qu'il se penchait pour tremper son pinceau"
Comme ses compères de Magnum, Riboud est un témoin. Témoin de la marche de l'histoire, de Téhéran à Tokyo, mais surtout témoin de la vie, qu'il aime prendre en photo, non sans une touche d'humour mais aussi avec respect et délicatesse. Tout est une question de dosage : jamais trop loin, sans quoi il n'est que spectateur, ni trop près, pour ne pas violer l'intimité du sujet.
Alentours de Tokyo, 1958. © Marc Riboud
"Les japonais profitent de leurs longs trajets en train pour se reposer"
Espagne, 1963. © Marc Riboud
"Salvador Dali, sur la terrasse dominant la baie de Cadaquès. Il prend la pose pour le photographe"
Marc Riboud fait aussi parti de cette génération qui pouvait encore découvrir et faire découvrir des terres et des espaces :
« Dans les années 1960, l'Inde et la Chine étaient encore des terra incognita que les photographes pouvaient montrer. Aujourd'hui, des millions de touristes sillonnent le monde et le découvrent eux-mêmes »
L'Afrique, l'Orient, et surtout l'Asie ont été ses espaces de découverte privilégiés. A travers ses voyages pour Magnum ou lors de ses déplacements plus personnels, Riboud montre à l'époque des photographies de pays et de peuples que peu de gens connaissent. Son travail est alors empreint d'orientalisme et d'humanisme dans la grande veine de Pierre Loti ou Gustave Le Gray qui s'attachaient eux aussi à montrer les visages, l'architecture, la beauté et les particularismes de ces mondes lointains.
Afghanistan, 1955. © Marc Riboud
"Quand je suis passé par le passe de Khyber, j'ai hésité. Comme je voyage lentement, je crois avoir suivi la flèche de droite"
Pékin, 1965. © Marc Riboud
"Ces fenêtres bien chinoise s'ouvrent sur Liu Li Chang, la rue des antiquaires. Dans ces boutiques, pendant la Révolution culturelle, les Chinois devaient apporter leurs bijoux à l'Etat, sans contrepartie"
Népal, 1956. © Marc Riboud
"A Katmandou, tous les moyens sont bons, même les feuilles de la jungle, pour se protéger de la mousson"
Lorsqu'il travaillait pour Life, National Geographic ou Magnum ou lors de ses vacances, Marc Riboud a traversé le XXème siècle accompagné de son appareil photo, couvrant les grands événements de son temps. On découvre dans ce recueil la plupart de ses grands clichés, dévoilant ainsi les principales caractéristiques qui font de lui une légende vivante de la photographie : sens du cadrage, poésie, qualités artistique et humaine, originalité... Autant de dons nécessaires pour sortir de cette "énorme embrouillamini" qu'est la vie selon Riboud, "qu'il faut élaguer pour y trouver un ordre et l'isoler du reste ".
Inde. 1956. © Marc Riboud
"Adossée aux montagnes de l'Himalaya, Darjeeling est souvent noyée dansla brune et le bruine, toutes deux excellentes pour la culture de son fameux thé"
Ghana, 1960. © Marc Riboud
"Un des nombreux camions peints que l'on peut croiser"
Province de Henan, Chine, 1965. © Marc Riboud
"Cette jeune paysanne sort de la cantine et lit La jeune Chine"
Jérémy Maillet
Marc Riboud - 60 ans de photographie
142 photos noirs et blancs
Les éditions Flammarion
Dimensions : 31 x 24 x 2 cm
Nombre de pages :200
Date de parution: 24/09/2014