© Denis Dailleux
D'abord récompensée cette année par le second prix du World Press Photo dans la catégorie «Staged portraits», la série Mère et fils constitue également la seconde monographie de l'auteur à être publiée aux éditions le Bec en l'air. Le photographe de l'Agence Vu' y trace, comme à son habitude, un face à face désarmant et déroutant pour son lecteur.
Depuis quinze ans maintenant, Denis Dailleux documente méticuleusement l'Egypte. Un pays dont l'impact des évènements récents résonnent toujours en écho. Rendre visible l'indicible, et raconter l'invisible, soulever le détail surtout, l'intimité dérangeante qui ne saurait mentir.
© Denis Dailleux/Mères et fils
© Denis Dailleux/Mères et fils
En janvier dernier, et avec Egypte, les martyrs de la révolution, Denis Dailleux proposait un ouvrage composé d'une série de triptyques. Chacun d'entre eux renouaient avec le pouvoir primitif de la photographie : l'image indice et témoin, l'image qui seule peut colmater l'absence en devenant présence, sacrée. Loin de l'actualité internationale et de la vision médiatisée des consciences collectives occidentales, c'est un hommage subtil, poignant, que le photographe avait alors rendu à ces vingt familles Cairotes ayant perdu un proche pendant les révolutions de 2011.
A nouveau, Mère et fils n'a de cesse de questionner les liens, de dresser un état des lieux d'une culture qui, plus que jamais, mérite d'être documentée. Pourtant, cette fois-ci, il ne s'agit pas directement des révoltes de la place Tarhir ni de l'absence. Les personnes représentées sont là, hautes en couleurs, fortes de leur contrastes, et de l'ambivalence que le thème du double provoque.
© Denis Dailleux/Mères et fils
© Denis Dailleux/Mères et fils
Les photographies de Mère et fils sont empruntes d'une forte lisibilité formelle et sémantique, cette simplicité est aussi bien visible dans le décor que dans le choix de composition de l'image. Format carré, tirages feutrés, presque granuleux. La lumière est efficace: léger halo blanc sur les visages qui sont comme caressés, en parfaite osmose avec les liens intenses qui caractérisent la relation entre les fils et leurs mères. Adoration, soumission, vanité, admiration... Les frontières sont minces, et les attitudes déconcertantes de naturel crèvent les yeux.
Ce qui frappe également, malgré l'image fixe, c'est le mouvement. L'abandon du geste qui continue d'être, d'exister dans le temps et l'espace . Ces éléments sont probablement l'essence même de ce sentiment pur et très pieux, flagrant de sérieux, de sobriété, qui frappe le lecteur à la vue des images de Denis Dailleux.
Il y a bien comme quelque chose d'intemporel ici, des lignes et des courbes dignes des peintres orientalistes, mais composées de situations palpables et directement réalistes. Les visages s'inclinent, les traits sont reconnaissables, probablement emprunts d'exotisme pour le lecteur occidental.
Bien sûr les cinquante Cairotes ont posés. Mais les légendes, aux premières pages du livre, narrent les rencontres dans un style court, télégraphique : Comment les hommes rencontrés ont choisi de figurer auprès de leurs mères, d'occuper l'espace auprès d'elles ? Pourquoi chacun des hommes présents sur les images vouent un tel culte à leur corps et à leurs muscles ? La religion musulmane est t-elle l'objet qui insuffle une telle densité à la relation mère fils ?
© Denis Dailleux/Mères et fils
© Denis Dailleux/Mères et fils
Sans trop en dire, Denis Dailleux pose, dans ces très brèves introductions, les premières pierres à l'édifice de Mère et fils. Les dernières pages sont elles aussi l'occasion d'un texte de l'écrivain Philipe Mezescaze. Celui-ci raconte et décrit, il rapproche le lecteur de l'auteur grâce à la narration d'une riche anecdote, à travers laquelle la dimension sensible et humaine prends le pas sur le reste : « Denis avait asséché sa réserve de pellicule mais il continuait, l'appareil vide, à photographier tout le monde...Il était trop tard pour aller jusqu'à la nécropole Juive de Bassatine, c'était le but de la journée, tant pis ou tant mieux, nous avions vécu une aventure, un autre conte photographique.»
Mère et fils est une invitation ouverte à la lecture d'une époque et d'une culture. Il est un ouvrage sensuel, qu'il faut pouvoir regarder sans trop de pudeur. Au milieu des torses d'homme nus et des corps de femme entièrement vêtues, la virilité est comme déplacée. C'est comme si l'enfance habitait à nouveau les corps adultes, comme si l’expérience et le passé devaient tout deux figurer, être résumés un jour par une seule et même prise de vue. La force des photographies de Danis Dailleux réside finalement dans son acceptation, dans sa confiance en ceux qu'il photographie. L'intensité même de ses images habite ses sujets et ses propres choix.
Charlotte Courtois
Mère & Fils, photographies de Denis Dailleux
Edition Le bec en l'air
64 pages / Format 24,4 x 21,8
25 euros