Depuis le début des années 1970, Carole Naggar est auteure et historienne de l'Art, spécialisée dans le monde de la photographie.
Outre de précédents ouvrages sur les photographes George Rodger, Werner Bischoff et William Klein, celle qui est également reconnue comme artiste semble porter une attention particulière à David Seymour, puisque, en 2011 déjà, elle avait rédigé la préface du photopoche consacré au photographe pour les éditions Actes Sud.
© David Seymour
Un roman d'apprentissage
A la façon de beaucoup de romans, Vies de Chim débute avec l'enfance de Dawid Szymin, fils d'intellectuels Juifs Polonais. Dès la première page du livre, c'est une description précise du quartier, une énumération pointilleuse de ce que les yeux du petit David attrapent, de ses sensations et de son expérience visuelle que dresse Carole Naggar.
C'est donc tout un parcours géographique et spirituel que le lecteur est amené à suivre. Une sorte de roman d'apprentissage, dont le héros fut bien réel, et dont les traces largement palpables sont de nos jours fréquemment admirées, relatées.
En dehors de l'initiative de la création de l'agence Magnum avec Robert Capa et Henri Cartier Bresson, ce sont mille autres choses à travers lesquelles le lecteur doit plonger à nouveau.
Une des composantes historique essentielle est évidemment la Guerre. Première et deuxième guerre mondiales sont à la fois l'essence et l'existence, la forme et la matière qui donnent vie aux images de Chim, et à bon nombre de celles de ses compatriotes, que cela soit de façon directe ou à retardement.
Si Chim se forge un regard à travers son histoire, de son enfance polonaise jusqu'à sa mort en Israël, il est également le témoin d'un siècle redoutable et merveilleux, celui des deux-guerres, du fascisme. Celui où la vie culturelle déborde, et où le besoin, le désir de création est tout à fait inédit. En même temps que les débuts de la presse illustrés et le photo-journalisme, c'est le développement de la photographie sociale et humaniste qui nait de l'impérieuse nécessité de montrer la misère sociale et l'horreur, pour mieux prôner l'égalité et la paix.
© David Seymour
© David Seymour
Différents regards
Il est frappant de constater les différents points de vues passés en revue à travers le récit de Carole Naggar : parfois l'auteure intervient à la première personne, mais, le plus souvent, c'est la troisième personne suivie de l'imparfait qui fait le récit d'une vie. D'autres fois encore, les guillemets sont ouverts pour citer, à travers des correspondances ou des témoignages, les proches du protagoniste principal. Qu'il s'agisse de membres de la famille, d'amantes, ou même d'amis et de photographes (qui seront certainement connus du lecteur), l'auteure, de façon très pertinente, donne la parole aux disparus, à ceux qui sont encore en vie. Enfin et surtout à tous ceux qui sont à même de compléter le portrait de David Seymour, par des anecdotes ou des témoignages.
Vies de Chim laisse donc une place essentielle au texte, à la narration. Pour ce qui est des photographies, celles-ci sont visibles à la fin du livre, sur une centaine de pages.
© David Seymour
© David Seymour
Ce sont d'abord les images humanistes, un Noir et Blanc caressant à la composition efficace, toujours ce soucis d'approcher les gens avec respect, de figer à jamais une expression forte de sens, une intention profondément humaine. Même les photographies de conflits sont douces dans leur violence. Il semblerait que le temps les aient polies, que la composition et la rondeur douceâtre des images, typiques de cette période, les avaient relayées au rang d'archives. Comme cette photo prise en Espagne qui montre un Picasso malin sous son tableau Guernica (qui fut d'ailleurs ouvertement très critiqué, même par le parti de gauche lors de sa parution). Il y a également cette image d'un groupe de travailleurs grévistes niché en haut de leur grue, d'autres images venant de Hongrie, d'Italie, de Grèce, d'Egypte ou d'Israel...
Quelques pages plus loin, les portraits en couleurs révèlent un aspect nouveau de l'oeuvre de David Seymour. Plus dures, moins évidentes, parce que la couleur impose de jongler directement avec le réel, non comme le Noir et blanc, qui souligne lui à merveille les prises de vues parfois quasi cinématographiques de Seymour.
© David Seymour
Ce livre est la première monographie et biographie consacrée à ce photojournaliste hors du commun que l'auteur met en lumière en dévoilant certains aspects de sa vie privée qui n'étaient pas connus, jusqu'à la découverte récente de plus de six cents documents dans l'appartement de son neveu Ben Shneiderman.
Entre témoignage historique et étude de la photographie au sein de la société de 1900 à 1960, l'ouvrage de Carole Naggar raconte une vie qui est le reflet de centaines d'autres, David Seymour, Vies de Chim, dont la marque du pluriel dans le titre éponyme en dit long sur la polysémie et l'ambivalence que signifie le livre.
Charlotte Courtois
David Seymour, vies de Chim de Carole Naggar
Editions Contrejour
224 pages / Format 16,5 x 24 cm
25 euros