Jukka Onnela – Memory Lane
« Les photographies importent peu. Elles sont juste des fragments de ce qui s'est vraiment passé. Elles peuvent montrer les cicatrices, des gouttes de sueur sur le front, une flaque de sang sur le sol, mais elles ne disent rien des moments entre : les mots hurlés de rage dans un désespoir total ».
Jukka Onnela traverse le monde, appareil en main, suivant ses obsessions. Dans un genre de journal photographique, il invite le lecteur à chasser avec lui la lumière et la nuit d'un monde incertain. Aux formats quadrillés, plusieurs mosaïques de visages défaits dépeignent cette atmosphère inquiétante. Le sang et la perversion s'invitent dans ses travaux où les modèles se délectent dans la perdition. Une double-page au sein de la série, présentant des silhouettes à demi-effacées, illustre cette thématique du flou. Methamphetamine, opium, LSD, poppers, cocaïne... Tout l'arsenal de drogues est là. La violence à l'état brut, l'auto-destruction, autant d'échappatoires pour des individus qui semblent désespérément en quête de leur identité. Le cliché d'une femme allongée dans l'herbe, visage offert à l'objectif dans un sourire léger, constitue l'unique touche d'espoir de cette série noire.
©Jukka Onnela
©Jukka Onnela
Pierre Masseau – europa
« Je ne me rappelle plus la blessure originelle. Réminiscence ». « Sous la cendre du Vésuve on a retrouvé cette inscription : "EUROPA" ; c'est un graffiti antique retrouvé dans une villa à Pompei, c'est le nom d'un bateau. Ça a quelque chose d'étrangement funeste. »
Avec les photographies de Pierre Masseau, on ne peut qu'apercevoir ou imaginer. Les clichés sont comme griffés, leur donnant un certain relief. Sa technique est sombre, et les couleurs créent un effet marbré. Quelques enseignes de magasins, 2-3 piétons, constituent les uniques éléments d'un décor épuré. Comme du verre pillé, l'image semble craquelée, et se morceler. La matière du photographe est plutôt la substance, et la manière dont il peut la modeler. « Une photo n'est qu'un souvenir optique. Les images mentales, elles, se bousculent et se confondent avec d'autres ».
©Pierre Masseau
Maki – Japan somewhere
Bien que Maki soit né en France, son âme reste égarée dans les rues de Tokyo. Avec des noirs et blancs très tranchés, il retranscrit l'électricité de la ville, le tumulte du trafic et de la vie nocturne. Membre du collectif de photographes européens Smoke, il dit de lui-même qu'« il ne fait pas de la photographie 'classique' ou 'contemporaine'. Il a besoin de révéler ses émotions au travers du langage et des outils photographiques. Il souhaite que ses photographies viennent des tripes en dépit des règles imposées par le système ». En prenant des instantanés au cours de ses déambulations urbaines, c'est l'essence même de la capitale qu'il saisit sans artifice. Une réalité qui n'est pas lisse et qui laisse une place aux marginaux, laissés de côté. Il recourt aussi à la solarisation, ce qui donne aux portraits une lumière moins lisse et conventionnelle.
©Makki
©Makki
Sebastian Szyd – america
Originaire d'Argentine, le terrain de jeu de Sebastien Szyd est l'Amérique du Sud toute entière. Avec cette série, il propose « une immersion dans l'éternité ». Des silhouettes dans la pénombre, un regard pénétrant : une vision acerbe qu'il a construite au fil de ses voyages aux abords de Quito, Guamote (Equateur), Cuzco (Pérou).
©Sebastian Szyd
©Sebastian Szyd
Colette Saint-Yves – A Summer Tale
« J'ai pris cette série de photographies durant l'été 2013. J'avais eu une année terrible, mon père était mort précipitamment. J'étais complètement perdue, et tout autour de moi me paraissait nonchalant. J'étais brisée (…). Nous avions alors décidé avec deux amis de partir prendre une bouffée d'air frais. J'ai emmené avec moi mon appareil, et j'ai fait presque toutes mes photos là-bas. La lumière était incroyable, et la mer, les dunes étaient une réelle inspiration pour moi et un soulagement à ma peine ».
Sur la première photographie, les regards d'un chat et d'une fillette se superposent. Un portrait qui joue sur les effets de la transparence, dans une atmosphère pleine de rêverie. Un univers enfantin, presque féerique, dans lequel la nature apparaît comme une protection. Avec des noirs et blancs très estompés, la photographe laisse s'installer dans la composition, la chaleur et l'éclat des rayons du soleil. Allongée à même l'herbe, une femme sur le dos tend sur son corps deux grands feuillages, formant ainsi une sorte de corset recouvrant son corps dénudé. Une autre, étendue sur le sable laisse ses bras creuser un cocon autour d'elle. Avec cette série, Colette Saint-Yves ravive des souvenirs de l'enfance, s'abandonne dans les paysages à cette nostalgie pour mieux la laisser derrière elle.
©Colette Saint-Yves
©Colette Saint-Yves
Anya Schiller – POBEG
La série d'Anya Schiller, « Pobeg », ou « runaway » en anglais, est très éclectique. La première photo, d'un soleil au crépuscule, entre lumière artificielle et naturelle, donne un souffle mystérieux. Mais ses travaux se ponctuent également de touches d'espérance, comme cette main tendue vers le ciel à la manière d'une prière. Les portraits aux effets floutés rendent les sujets insaisissables. Les paysages, eux-aussi aux contours incertains, font penser à des séquences de films. Ils sont comme la retranscription du regard trouble d'un personnage qui, poursuivi et empli de terreur, les traverserait en courant. La photographe donne également une teinte ludique à son travail : une jupe relevée, le roulis des vagues ; des éléments qui apportent une touche de légèreté.
©Anya Schiller
©Anya Schiller
Thomas Van Den Driessche – Banger Rules
« L'insoutenable bruit des vieux moteurs qui rugissent, l'odeur d'huile, d'essence et des pneus, dans une chaleur brûlante. Les oreilles qui sonnent, la tête qui tourne...Et puis, soudainement, tout s'arrête dans une collision de métal ».
Le travail de Thomas Van Den Driessche se concentre sur un microcosme, celui de la communauté des garagistes qui réparent les « banger » ou littéralement, les « tacots». Dans une étude presque sociologique de cet univers, le vrombissement des voitures se fait entendre au loin. Les photos, présentées en diptyque, coupées en 4, ou séquencées à la manière d'une bobine, adoptent des couleurs charbonneuses. Le photographe a, semble-t-il, lui aussi mis ses mains dans le cambouis.
©Thomas Van Den Driessche
©Thomas Van Den Driessche
Dans cette édition de Timeshow Magazine, chaque photographe a une entière liberté tant dans la production artistique que graphique. Jukka Onnela, Pierre Masseau, Maki, Sebastian Szyd, Colette Saint-Yves, Anya Schiller et Thomas Van Den Driessche partagent cette même envie de raconter une histoire. Des séries éclectiques qui forment un ensemble cohérent fait de récits photographiques.
Capucine Michelet
TIMESHOW 5
Disponible à la vente sur le site web de http://www.timeshow-press.com/" ainsi que dans des librairies photographiques indépendantes tels que l'Ascenseur végétal, le Plac'art, Dirk Bakker books, Café Lehmitz...
280 pages – noir & blanc
format : 22,00 x 14,60 cm
21 euros