©Muriel Bordier - Espaces Museaux (L'ombre)
« L'idée était de rentrer dans le restaurant au travers de l'image. La Galerie des Nouvelles Images est un lieu alternatif. Ni une galerie commerciale et encore moins un musée, c'est une galerie dans un hôtel » (Françoise Gaudin, Directrice Communication & RP Hôtel Scribe Paris). Un écrin des plus prestigieux pour la Galerie des Nouvelles Images, qui a véritablement pris sa vocation il y a deux ans, à l'occasion de l'installation d'écrans permettant la projection vidéo. La galerie est dédiée à l'image en général, à l'image technologique dans toutes ses acceptions.
« Muriel Bordier incarne exactement notre projet. La Galerie des Nouvelles Images, elle en fait la synthèse parce qu'elle allie à la fois la photographie, la vidéo et l'art numérique ».
Lauréate du Prix Arcimboldo de la Société des Gens d'Images en 2010 pour la création numérique, Muriel Bordier présente sa série « White Cube ». L'essai de Brian O'Doherty Inside The White Cube (1976-81), s'intéressait également à l'espace de la galerie et son idéologie. « J’ai lu et beaucoup apprécié cet ouvrage. Il a d’ailleurs motivé la photographie : Les chevalets. Je me suis inspirée de quelques ouvrages ainsi que de mes expériences vécues dans ces lieux » (Muriel Bordier). Mais le cube blanc est-il réellement le lieu de projection par excellence de tous les possibles ? « Peut-être que non justement. Le cube blanc est tellement marqué par un type d’art, une époque, des conventions, qu’il est difficile d’en sortir ». Un questionnement sur l'espace muséal où l'artiste ne manque pas d'user d'humour et de dérision. « Quelle que soit la thématique de mon travail, il doit avoir la tonalité d’un humour décalé. L’humour est la politesse du désespoir...».
©Muriel Bordier - Espaces Muséaux (Les chevalets)
« Depuis ses origines, la photographie a valeur de preuve. On sait que c’est faux, mais l’idée persiste malgré tout. Je suis plus proche du travail de peintre, qui assemble les éléments et remplit la surface, plutôt que du photographe, qui prélève et tranche dans le réel. Je m’intéresse plus à l’esprit qu’à la forme ».
Projetées sur les murs de la Galerie, deux vidéos s'intègrent également au projet. L'oeuvre de Muriel Bordier, en photographie et en vidéo, modèle le rapport entre l'image fixe et le mouvement. « C’est la narration qui prévaut. Le choix du support (photographie ou vidéo) se fait en fonction de ses caractéristiques. L’ « effet tragi-comique » de la photographie est immédiat et figé à jamais : on lit, on sourit ! La vidéo permet un autre rapport au temps. La diversité et la pluralité des plans, le rythme, la musique... sont autant d’outils qui préparent psychologiquement le spectateur à rire ». La première vidéo, intitulée Les pionniers est une oeuvre contemporaine en référence au cinéma burlesque, dans la lignée des films de Buster Keaton, qui présente une caricature des touristes. Un choix, une fois de plus, qui se prêtait judicieusement au lieu de l'exposition. « Cela avait du sens d'intégrer une vidéo sur des touristes en plein cœur d'un hôtel comme le Scribe ».
http://www.dailymotion.com/video/x21ynm1_les-pionniers-juin-2014-par-muriel-bordier_creation" par http://www.dailymotion.com/video/x21ynm1_les-pionniers-juin-2014-par-muriel-bordier_creation"
La seconde vidéo, dans laquelle Muriel Bordier se met elle-même en scène, revient sur le statut de l'artiste et ses angoisses. Un travail drôle et auto-réflexif qui ne manque pas pour autant d'une intelligence profonde et aiguë. « Je ne pense pas avoir peur du manque d’inspiration. Je puise mes sujets dans les travers de notre société et je fais confiance à mes contemporains (je m’inclus dedans) pour m’en fournir de nouveaux chaque jour. L’ « artiste en résidence » est la somme de toutes les étapes de création pour aboutir, au final, à une réduction du volume, « tout ça pour ça ». Le créateur n’a rien retenu de la folie de ses images mentales ».
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Muriel Bordier reprend les codes de l'art contemporain pour mieux les détourner. « La série White Cube porte un regard amusé et espiègle sur les musées d’art contemporain, ses codes, son public, ses coulisses, ses obsessions... dans le but d’amuser avec des références connues de tous ceux qui fréquentent ces lieux. Il peut aussi toucher un public plus large par sa proposition plastique et esthétique, et parce que les éléments de l’image sont placés avec un souci presque académique, à la manière d’un tableau ». L'aspect parodique est indissociable de l'oeuvre de Muriel Bordier. « Mon travail aborde plusieurs thématiques qui ont souvent en commun les codes de notre société et les comportements qu’elle génère ». Dans cette veine humoristique, sur l'une des photographies, le visiteur remarquera l'inscription « I can do better but I charge more for it ». Un moyen de critiquer « une fâcheuse tendance à se prendre trop au sérieux. Et pas seulement dans le monde de l'art ».
« Le visiteur d’un musée d’art contemporain n’a pas nécessairement toutes les clefs ou les connaissances pour pénétrer l’univers des artistes (du moins le croit-il...). Et il peut craindre par ailleurs de poser des questions le faisant passer pour un « ignorant ». Tout ce conformisme lié au monde de l’art peut accroitre ce sentiment de solitude du spectateur face à l’oeuvre, l’architecture des lieux d’exposition étant rarement conçue pour le rassurer ».
Si elle fait elle même preuve d'auto-dérision, Muriel Bordier met en lumière au travers de ses oeuvres une véritable puissance existentielle. Ce qui est à priori un gag fait aussi référence aux angoisses de l'existence. Des personnages qui font penser à l'univers de Beckett et dont il se dégage une extrême solitude. « Les personnages de mes images sont des amis qui ont accepté de poser pour moi. Il s’agit comme on peut le voir d’un public assez représentatif d’une population susceptible de fréquenter les musées. J’entends par là qu’il n’y a pas de signe extérieur marquant. Ils sont blancs, d’âge moyen, habillés sans extravagance et ont un comportement adapté au lieu ».
©Muriel Bordier - Espaces Muséaux (I can do better but I charge more for it)
Avec ce projet, Muriel Bordier réussi à exposer ses œuvres dans un espace qui ressemble à ce qu'il représente. Contrairement à la plupart des galeries, la Galerie des Nouvelles Images est entièrement noire, créant ainsi un paradoxe avec son oeuvre « Généralement, ce travail est présenté dans des lieux où les murs sont blancs et les sols sont gris, créant ainsi une mise en abîme. Au Scribe, cette référence ne joue plus. En revanche l’exposition s’inscrit dans un lieu qui se démarque par sa couleur noire et l’effet laqué de ses murs. White Cube, Black Cube... ou peut-être un prochain travail ? ».
Capucine Michelet