© Sandro Giordano
C'est après une longue carrière d'acteur que Sandro Giordano, 41 ans, a décidé de devenir le maître de son art en basculant vers la photographie. Une façon pour lui de s'exprimer, de s'amuser, mais aussi de faire passer un message. La photographie, bien au delà de l'art, est un moyen d'expression quasi-illimité et permet aux artistes de libérer leurs idées, leurs craintes et de porter un regard sur l'Homme. Un œil parfois critique. Le photographe italien a choisi l'humour : le meilleur remède contre la morosité des tracas quotidiens.
Entretien avec l'homme qui n'a pas peur de se retrouver face contre terre.
© Sandro Giordano
Vous avez été acteur durant 20 ans. Pourquoi avoir changé de direction ?
Un acteur est en permanence dans l'attente d'un appel de son agent pour un casting d'un directeur, d'un producteur...C'est beaucoup de stress ! Je ne pouvais plus le faire. Ce travail m'a énormément apporté, mais il m'a aussi fait beaucoup souffrir.
Dans ce projet, je peux prendre toutes les décisions. Je trouve l'endroit, j'achète tout ce qu'il me faut pour chaque scène, je m'occupe du décor, j'arrange les objets et l'espace pour les nouveaux shooting. En deux mois, j'ai tout fait seul. Désormais, j'ai trois assistants et tout un entourage de personnes qui travaillent avec moi.
Avez-vous toujours été passionné par la photo ?
Oui, mais seulement en tant que spectateur. Je n'aurais jamais imaginé que ce projet pouvait devenir un « vrai » travail pour moi.
Je suis admiratif de beaucoup de photographes. Peter Lindbergh pour ses gros plans de femmes sans maquillage, vraies et belles, une parfaite projection de l'imperfection. C'est d'ailleurs là où se trouve toute la beauté de la laideur pour moi, dans l'imperfection. Il y en a d'autres comme Anton Corbijn, Jan Saudek pour les aspects passionnants du monde de Fellini dans ses portraits. Je peux dire que c'est mon favori. Puis, en regardant de plus près mes photos, avec leur côté très pop, David LaChapelle est un artiste qui a beaucoup influencé mon travail, ainsi que John Waters, le roi trash du cinéma américain.
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C'est, en quelque sorte « l'expression artistique » que j'ai trouvé pour transférer le bagage théâtral acquis ces 20 dernières années. Comme je l'ai déjà dit, je m'occupe de l'ensemble de la réalisation. Grâce à mon projet « In Extremis », je parle de moi : la vie, la mort, l'amour, la douleur, le rire... Tout ce que je suis se trouve dans mes photos. Je peux dire que c'est ma biographie.
Comment vous est venu l'idée de la chute ?
Mon projet photo vient d'un accident en vélo que j'ai eu l'été dernier. Lorsque je suis tombé, j'ai gardé l'objet que j'avais dans la main, au lieu de le laisser tomber. Si je l'avais lâché, je me serais certainement fait moins mal ! Et quelques semaines plus tard, un de mes amis s'est cassé la jambe sur les rochers en voulant éviter que son smartphone ne tombe dans l'eau. Là, j'ai commencé à m’inquiéter. Nous vivons dans une époque où les choses matérielles, chères ou non, deviennent plus importantes que nos propres vies.
Après quelques mois, j'ai ressenti le besoin de capturer ce moment. Le moment de l'impact. J'ai voulu être ironique et minimiser la gravité de la situation. Cela peut avoir un côté comique et pas seulement tragique. J'aime les gens qui rient d'eux-mêmes, et qui se reconnaissent dans ces incidents du quotidien dont tout le monde, sans exception, peut être victime.
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Nous pouvons remarquer que toutes vos photos sont très esthétiques et très maîtrisées, jusqu'au dernier pot de fleurs, pourquoi tant de minutie alors qu'il s'agit d'une situation normalement incontrôlable ?
J'utilise les objets pour raconter l'histoire du personnage, mettre en avant sa personnalité. Je fais très attention à ce qu'il y ait un ordre précis pour que le spectateur puisse comprendre et interpréter l'image comme je l'ai conçu. Dans « In Extremis », la chute est prévisible. Le désastre des « multi-tâches » est montré sous toutes ses formes dans mes photos. Comment puis-je être en désaccord avec cette expression ?
Nous vivons dans une époque boulimique, où nous dévorons des choses superflues, et sans importance, juste pour le plaisir de posséder. Plus nous possédons, plus nous nous sentons vivre... C'est la politique de la surconsommation.
© Sandro Giordano
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Toutes vos photos ont une forte personnalité. Les rôles sont toujours différents et les clichés poussés à l'extrême. Vouliez-vous démontrer à tout prix que cette situation est très commune ? Par ailleurs, est-ce que cette « mise en scène » peut avoir un lien avec votre passé d'acteur ?
Oui, bien sûr ! Comme je disais, j'utilise mes 20 ans de métier, acquis au théâtre notamment, quand j'étais technicien dans un premier temps. Mon sens de l’esthétique découle sûrement de mon travail précédent dans les coulisses.
Je n'ai jamais été présomptueux, me considérant comme un bon acteur, j'ai fait ce que tous les acteurs ou artistes en général devraient faire, j'ai fait attention au monde qui m'entoure. J'ai vécu la vie avec toutes ces nuances, me permettant d'appréhender le bien, mais aussi le mal. Vous ne pouvez pas parler de « chemin » si vous n'avez pas vécu des choses vous-même.
Pourquoi avoir choisi de ne jamais montrer les visages de vos modèles ? Est-ce lié au ridicule de la situation auquel sont confrontés vos personnages ?
Je ne montre pas leurs visages pour deux raisons :
La première est que les personnages de mes photos tombent à cause d'un fardeau qu'ils ne peuvent plus supporter. Le contact entre l'esprit et le corps est soudainement interrompu. L'esprit s'arrête et le corps tombe sans même essayer de se sauver, il n'y a plus de réflexions et le cerveau ne fonctionne plus.
La seconde raison est qu'en cachant leur visage, je permets aux spectateurs de s'identifier sans à priori d'âge, de race ou de beauté. Cette absence de références signifie que n'importe qui peut se retrouver chez l'autre.
Tous les journalistes définissent mes photos comme hilarantes, drôles, et c'est vrai... Mais après un court moment, vous réalisez que ces couleurs vont plus loin, les objets dispersés et les positions grotesques des personnages montrent un drame social énorme !
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Nous entendons beaucoup parler de vous à travers le monde ces derniers temps, vous attendiez-vous à un tel engouement pour votre travail ?
Je pense que les gens exorcisent leurs propres chutes à travers les miennes. Se refléter dans mes chutes rappelle souvent ce qui arrive réellement ; les mauvais souvenirs que l'on avait tenté de refouler.
Peut-être qu'inconsciemment, vous serez plus attentif à ce qu'il y a sous vos pieds, la prochaine fois que vous prendrez les escaliers.
Pourquoi avoir choisi Instagram pour publier l'ensemble de vos travaux et non un support plus traditionnel pour un photographe ? Pensez-vous par la suite exposer quelque part ?
Instagram était au début un jeu. J'ai commencé à publier des photos pour voir ce qu'en pensaient mes amis, et, en quelques mois, j'avais déjà 3.000 followers qui attendaient de nouvelles publications. Maintenant, c'est devenu comme un rendez-vous hebdomadaire pour mes followers. Il y a un mois, « Mr Intagram » m'a contacté pour une entrevue, afin de passer en revue mon travail. Depuis que le projet a explosé sur le web, ma vie a changé. Si je n'étais pas passé par Instagram, peut-être que l'on n'aurait jamais entendu parler de moi.
Concernant l'exposition, je viens de signer un contrat avec une belle galerie en Hollande, et je suis en pourparler avec Berlin, Denver et Stockholm. Je suis vraiment satisfait, car je n'ai pas d'agent et tout vient spontanément, comme cette interview. Je suis très heureux. Voir que mon travail est apprécié dans le monde entier est un cadeau inestimable.
© Sandro Giordano
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Tout le monde me pose des questions sur mes prochains projets, et je ne sais vraiment pas quoi dire, car « In Extremis » n'est pas encore abouti, j'ai seulement commencé il y a 8 mois, j'ai encore beaucoup de choses à accomplir. Peut-être que vous pourriez être ma dernière victime et après avoir pris une photo de vous, je penserais à quelque chose de nouveau, qui sait ! (Rires)
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Propos recueillis par Noëmie Beillon