« Photographier, c'est avant tout raconter une histoire » explique l'auteur. Cette histoire est celle des rencontres qui ont marqué sa vie de photographe. En vingt-deux chapitres, accompagnés d'une trentaine de photographies, l'auteur dévoile son cheminement autour du globe, les rencontres qu'il a faites au cours de ses reportages, et surtout, le combat qu'il mène depuis vingt-sept ans : le respect et la juste représentation des peuples autochtones.
Né en 1962 à Bayonne, Pierre de Vallombreuse est aujourd'hui un photographe reconnu. Fort d'un fond photographique 140 000 clichés sur 43 peuples, il collabore avec des magazines tels que Géo, Le Monde, Newsweek... Ce dernier n'en n'est pas à son premier écrit : Y a-t-il la lune chez toi ? est son septième ouvrage, peut -être le plus personnel.
C'est donc le parcours d'un homme engagé qui se dessine sous les yeux du lecteur. Ce dernier apprend dès le deuxième chapitre que Pierre de Vallombreuse ne se destinait pas au départ à la photographie. Alors étudiant aux Arts Décoratifs de Paris dans la section graphisme, il entreprend à la fin des années 80 un voyage à Bornéo chez les Punans, chasseurs-cueilleurs nomades. Une fois sur place, il va préférer au dessin son appareil photo, « plus simple et plus adapté à la saisie de l'instant ». C'est décidé, Pierre sera photographe : « l'évidence m'étreint, ma vie sera constituée de moments comme ceux-là ». Il se souvient du conseil de son père qui lui dit un jour : « Peu importe ce que tu fais, mais trouve un métier qui tient dans les mains, tu seras libre d'aller partout ». À son retour, il choisit de s'inscrire dans la section photo des Arts Décoratifs. Sa voie est tracée, son premier reportage est publié dans Terre Sauvage, puis il participe aux festivals d'Arles et de Visa Pour l'Image.
Y a-t-il la lune chez toi ? est l'occasion, pour Pierre de Vallombreuse, de partager avec le lecteur sa conception de la photographie : « l'acte photographique est une rencontre, une plongée directe dans la réalité ». Le reporter cite aussi ses nombreuses influences. Cartier-Bresson d'abord : « le tireur, le chasseur d'élite, la perfection faite photo », mais aussi Lee Friedlander, Raymond Depardon, Josef Koudelka, Sergio Larrain...
7 Philippines, 2013. Pierre de Vallombreuse sur une île de la mer de Sulu. © Pierre de Vallombreuse
Pierre de Vallombreuse rappelle ensuite au lecteur la situation des peuples autochtones à l'heure actuelle. Ces peuples représentent 370 millions de personnes, soit 5% de la population mondiale, dont la majeure partie est victime de discriminations, dépossédée de ses territoires, broyée par « l'acculturation forcée »... Le but du photographe est alors de rendre compte de la « destruction organisée des peuples autochtones ». Il rappelle au lecteur le « primitif business » qui s'est organisé au 19ème siècle, ou l'exhibition de ces peuples donnés en pâture au public dans les foires, les zoo humains et les expositions universelles... « Business » qui se perpétue d'une manière détournée aujourd'hui par l'exploitation de ces cultures « au profit d'un tourisme de masse ».
Indonésie, Irian Jaya, 1997. Un primitif show est organisé par les autorités pour des occidentaux. © Pierre de Vallombreuse
Cet ouvrage décrit, sans concessions, la triste réalité à laquelle sont confrontés ces peuples.
C'est par exemple le cas pour l'ethnie des Palawans, dans laquelle Pierre de Vallombreuse s'est rendu chaque été pendant dix ans. L'auteur explique qu'après « le rachat des Philippines par les États-Unis en 1898, les Palawans ont peu à peu été envahis par les colons et les entreprises commerciales venus exploiter les grandes ressources de leurs terres ancestrales. (…) En 1970, les territoires palawans ont été choisis pour la construction de grands projets d'infrastructures financés par la Banque mondiale ». Certains Palawans se sont alors réfugiés à l'intérieur des terres, comme le montrent les photographies prises par Pierre de Vallombreuse que le lecteur pourra retrouver au milieu de l'ouvrage.
Philippines, 1994. Anoe, un Palawan, rentre dans la caverne familiale. © Pierre de Vallombreuse
L'auteur raconte aussi les humiliations subies par les papous de Papouasie-Occidentale, territoire annexé par l'Indonésie en 1969 . Un jour, le photographe et son ami, issu de la tribu des Danis, commandent des thés glacés dans un restaurant tenu par des colons indonésiens : « victime du racisme, mon ami se voit servir un thé bouillant. La corne de sa main l'empêchant de sentir la chaleur, il se brûle la gorge ».
Indonésie, 1997. Un Dani a commandé un thé glacé dans un restaurant tenu par des colons javanais. © Pierre de Vallombreuse
Pierre de Vallombreuse dénonce également le traitement fait aux Hadzabés en Tanzanie, une des dernières tribus de chasseurs-cueilleurs du continent africain, rongée par l'alcoolisme et le sida : le « produit Hadzabé est rapidement devenu un incontournable des séjours safaris en Tanzanie ». Suite à son reportage publié dans Géo, certaines agence de tourisme enlèveront cette « visite » aux Hadzabés de leurs programmes.
Acerbe et railleuse quand il s'agit de dénoncer les injustices auxquelles sont confrontés ces peuples, la plume de l'auteur sait également se faire humble, respectueuse et touchante, quelques fois drôle, quand Pierre de Vallombreuse conte aux lecteurs ses anecdotes de voyage. Il explique par exemple l'origine du titre du livre : « une nuit, alors que nous nous réfugions dans une caverne à l'abri des trombes d'eau qui s'abattent sur la jungle, la lune transparaît entre les nuages. Ukir me demande soudain : « Pedro, y a-t-il la lune chez toi ? ». Je souris, c'est la plus belle question qu'on m'ait jamais posée. ». « Pedro » est le surnom donné à l'auteur par un de ses amis palawans, Ukir.
Indonésie, 1990. Partie d'échec chez les Mentawais, Les échecs chronophages. © Pierre de Vallombreuse
L'ouvrage offre également un regard rétrospectif sur l'oeuvre du photographe. L'auteur questionne ses choix, ses doutes, ses peurs... à la manière d'un journal de bord rétrospectif. Face à la représentation des peuples autochtones, le spectre du colonialisme est toujours présent, et Pierre de Vallombreuse refuse de tomber dans ses « affres ». Le lecteur pourra trouver ainsi une vraie réflexion sur la place des peuples autochtones et leur traitement dans l'actualité.
Y a-t-il la lune chez toi ? est ainsi une très bonne introduction au travail de Pierre de Vallombreuse, à la manière d'un carnet de bord sans concession, esquissant la « géographie intérieure » de ce révolté, malgré tout amoureux de l'humanité.
Juliette Chartier
Y a-t-il la lune chez toi ?
Pierre de Vallombreuse
Éditions Le Passeur Éditeur
218 pages
Format 20,2 x 13,8