©Capucine Michelet
« D'où vous vient cette fascination pour la femme ? Je crois tout simplement être homme »
Lorsque Hélène Lazareff, fondatrice du ELLE, le contacte en 1959 pour qu'il devienne le directeur artistique du magazine, c'est justement parce qu'il a ce regard particulier sur les femmes. « Elle avait l'envie d'un journal populaire pour les femmes ». C'est alors le début d'une collaboration, qui durera jusqu'en 1966, où Peter Knapp, pour chaque numéro hebdomadaire, redouble d'inventivité et d'ingéniosité : un subtil dosage entre légèreté et modernité. Si le photographe sait sublimer leur beauté, c'est aussi parce qu'il collabore avec des femmes qui savent être justes dans le sens de leur propre beauté. Pour le portrait « Nicole avant-après », la mannequin Nicole de Lamargé met en oeuvre tout son génie pour le maquillage. « Nicole est une des toutes premières à avoir compris qu'elle n'était pas mannequin parce qu'elle était jolie. Elle savait porter les vêtements et surtout, se magnifier ».
« Nicole avant-après » Peter Knapp © Elle
Peter Knapp, Nicole-Cardin © Musée Nicéphore Niépce
Peter Knapp se réinvente sans cesse dans la mise en scène des modèles, les faisant parfois même poser sur des selles de bicyclettes à 3 mètres du sol. En 1965, Courrèges révolutionne le monde de la mode. « Ce qu'il a fait est un changement énorme. Il n'y a plus de talons, plus de chapeaux...». Malgré cette vision « futuriste », c'est au plus près des femmes que les deux hommes veulent créer. Courrèges explique à Peter Knapp que les femmes, dans leur vie quotidienne, doivent monter dans des voitures basses, tenir leurs sacs de courses...ce qui laisse peu de place à la fantaisie vestimentaire. « C'est la fonction qui impose la forme ». Les deux hommes se mettent au service, non plus des mannequins de cabines, mais bien de la femme qui est aussi exceptionnelle qu'elle est ordinaire. « Pour la première fois, j'ai eu l'impression d'avoir compris la mode et son mouvement ». « Prends des photographes qui ont envie de dîner avec les filles », lui demande Hélène Lazareff. Pour Peter Knapp, « c'est cette séduction évidente qui était importante ». Il bannit les photos ultra-retouchées, veut rendre justice au véritable grain de la peau et balaye d'un revers de la main cette exigence de la mode à « devoir tout rendre toujours plus beau ».
Peter Knapp, Ulla-Ungaro grand angle 1970 © Peter Knapp
Peter Knapp, Ski Fusée, Vogue, 1967 © Vogue
« J'avais besoin d'une rupture quand on a commencé à me donner le titre de photographe de mode. Je ne suis pas un homme de mode. La mode exige une mobilité d'esprit. Moi, j'aime quelque chose chose et je continue de l'aimer. (Je suis d'ailleurs marié à la même femme depuis quarante ans). La mode impose une intériorité, elle est le contraire de ce qui est. Par exemple, on met des chapeaux et la mode nous dit "on ne met plus de chapeau" ».
Exigeant et perfectionniste, les travaux de Peter Knapp sont toujours précédés de ce qu'il appelle ses « croquis d'intention » (chemins de fer). Un travail d'orfèvre pour chaque mise en scène, toujours réalisée avec une minutie intransigeante. Pourtant, ce qui se dégage de chaque couverture à laquelle il a participé, c'est l'aspect ludique qui revient de manière récurrente. Des « jeux » artistiques jusque dans la typographie, les photomontages et collages. « Chaque graphiste était libre de faire ce qu'il voulait avec sa double-page. La typographie fait partie en tant que jeu de la mise en page ». Dans cette salle de l'exposition, organisée en bibliothèque, le visiteur pourra même encore feuilleter d'anciens numéros du magazine.
Peter Knapp, Chemin de fer à l’aquarelle, Marie Claire Bis, 1971 © D.R. / CNAP / Photo Yves Chenot
Peter Knapp Couverture Elle n°1000, 1965 © Elle / Photo Bruno Jarret
« Je crois que j'ai très vite compris que j'avais un don pour la composition. A table, les enfants s'ennuient et puis, j'ai remarqué que je me laissais glisser à gauche ou à droite pour aligner une tasse avec un pot. Pour faire disparaître l'ellipse du pot en me laissant glisser vers le bas. J'ai crée des lignes de connivence par ennui, mais j'ai compris que ça modifiait la composition d'une chose ».
Peter Knapp, Elle, 1964 © Elle
Le jeu se perdure avec les lignes de construction où Peter Knapp jongle avec le mouvement et les courbes pour créer des illusions d'optiques. Des photos graphiques qui faussent la perspective, comme avec ce cliché où le mannequin, vêtue d'une robe à rayures, crée une rupture d'un simple geste de la main. Lorsqu'il réalise, de nuit, une série de photos en couleur pour le magazine Stern (série Montana, 1979), Peter Knapp continue de faire de la sculpture géométrique. Il crée des symboles avec un rond, un cercle et magnifie les épaules carrées et montantes des vestes, soulignées par l'horizon.
« L'image fixe est puissante parce qu'elle nous laisse le temps de la regarder. Le film, au contraire, nous impose la vitesse de la réception et la compréhension de ce qui doit être ». Avec le programme télévisé Dim Dam Dom auquel il collabore, Peter Knapp continue d'user de dérision. Le vêtement devient alors un prétexte formel. « L'avantage du film par rapport à la photo, c'est qu'il ne se réduit plus à l'image fixe qui ne porte que l'information de la forme. On se rend aussi compte du rendu en mouvement ».
Peter Knapp, Photogrammes d’une séquence de film pour l’émission Dim Dam Dom, 1969 © Peter Knapp
« Si il faut une photo, on fait une photo et si il faut un dessin, on en fait un » - Picasso
« J'aime les commandes parce qu'elles m'amènent vers des lieux où je ne serai pas allé. Dans cette exposition, beaucoup des travaux exposés datent des années 60-70 d'où une sorte de commande : la proposition d'une série récente sur Genève ». Peter Knapp pense alors à un premier projet où il photographie les chanteurs d’une chorale calviniste, mais se tourne finalement vers une autre idée : L'avenir de Genève. « Et qu'est-ce que c'est l'avenir de Genève ? Ce sont 8 femmes nues, enceintes du 8e mois. Les photos ont été prises en janvier et je me suis dit qu'à l'ouverture de l'exposition, on saurait alors ce qu'est l'avenir de Genève ». Huit femmes originaires d'Afrique du Sud, de la Pologne... L'illustration de ce qu'est Genève. Nues, avec pour seul accessoire leurs propres chaussures, elles posent sur un fond blanc au milieu de colonnes les unes à côté des autres. De ces ventres arrondis, sont nés 8 bébés (7 filles et un garçon) dont chacun s'est vu attribué une place particulière dans l'exposition sous la forme d'un petit cadre noir où figure leur nom et date de naissance. Peter Knapp défend la question du genre et est aussi un photographe engagé (contre le racisme). Avec la série « La couleur de ma peau », il banalise la couleur de peau en l'associant à un code couleur international : celui du pantone. A l'occasion du vernissage de cette exposition, il avait également analysé statistiquement, à l'aide des visiteurs, la part de jaune, bleu ou rouge dans les différentes teintes de leur peau.
De la couleur à la forme, il n'y a qu'un pas. « Je suis toujours en quête de formalités nouvelles. J'aime la phrase de Picasso "quand je n'ai plus de rouge, je prends du bleu". J'ai envie d'avoir cette liberté. Mais je ne l'ai pas encore totalement ».
Maculage, 1967 © Courtesy Peter Knapp
Pour l'un des collages exposé dans la dernière salle, Peter Knapp a voulu retranscrire le mal-être d'un homme quitté par la femme qu'il aime. Les inscriptions « Je ne l'aime plus, je la déteste, je l'efface » griffent les clichés. L'artiste explore les différentes manières d'expression de ses idées. Une forme plus puissante pour lui que la photographie, dans le cadre de ces travaux pour lesquels il travaille directement sur la pellicule. Lacérés, les visages se désagrègent et les femmes vont même jusqu'à être effacées dans le diptyque « Femme sans identité ». « Vous devenez plus rageur ? Je ne crois pas non. Je suis un schizophrène assumé ! ».
Peter Knapp, Kasia aux lunettes © Fondation Auer
« Pour moi, Peter Knapp est une montage à deux versants. Photographe de mode, mais qui s'en éloigne parce que c'est du passé. Doux mais aussi beaucoup plus cruel avec les femmes griffées » - Valentine Mayer.
Peter Knapp fait de chaque forme un moyen d'expression pour ses idées aussi novatrices que d'une élégance traditionnelle. Si il se revendique homme avant photographe, il reste artiste avant tout.
Capucine Michelet
Exposition présentée du 10 juillet au 9 novembre
Musée des Suisses dans le monde
Domaine du château de Penthes
18 Chemin de l'Impératrice
1292 Pregny-Chambésy
Catalogue de l'exposition, Editions de Penthes