© Samuel Fosso, African Spirits, 2009
« C'est l'histoire d'un jeune homme qui, au fond d'un studio de Bangui en Centrafrique, allume les lampes des projecteurs pour se photographier », voilà comment tout commence pour Samuel Fosso.
Dans le studio fait de bric et de broc, il se met en scène avec des fleurs en plastique devant un rideau plus qu'apparent et des fonds un peu désuets. Sur la dernière photo de l'ouvrage, il est au comptoir, sourire aux lèvres, sous le slogan « Avec Studio Photo National vous serez beau, chic, délicat et facile à reconnaître ». Une manière pour lui de montrer qu'il n'oublie pas d'où il vient et où l'aventure avait démarré. Dans la première partie, avec la série « Autoportraits, les années 70's », il se met en scène pour une photographie comme reflet de soi-même. Si dans quelques clichés il fait une place à d'autres personnages, il est profondément seul sur tous les autres. Samuel Fosso explore le genre singulier de l'autoportrait, mais ses photos ne sont pas que le reflet de son physique et de sa propre histoire. Peu à peu, le spectateur se coupe de l'aspect réflexif du portrait qui tend à une certaine universalité. « Au départ, dans son studio de Bangui, le monde qu'il reproduit est un rêve. Une réalité personnelle grâce à laquelle il se confronte à ses contemporains. Il glisse doucement d'une forme d'affirmation de soi à l'énoncé d'un "nous" qui le prend presque par surprise ».
© Samuel Fosso, Autoportrait
Reflet de la fiction ou de la réalité ?
Style pop, tenues pattes d'eph et lunettes extra-larges, avec ces looks, il « recrée un monde ». Dans la préface, les auteurs redéfinissent le statut de l'artiste comme : « un individu qui bâtit un monde à sa mesure ». Samuel Fosso a eu une adolescence difficile qui le malmène du Cameroun à Bangui en passant par le Nigeria. Restée là-bas, il écrit à sa grand-mère et pour lui donner de ses nouvelles, lui envoie des photos. « Sa projection de lui-même qui l'inscrit dans le monde réel qu'il s'imagine ». L'adolescent devient un jeune homme, et surtout, est de plus en plus excentrique. En slip avec des gants blancs, en karatéka ou adoptant des postures plus mode et féminines, il joue littéralement.
© Samuel Fosso, Série Tati, La femme américaine libérée, 1997
« Ses autoportraits reflètent l'évolution de son âme et la complexité d'un photographe dont l'apparence réelle masque la multitude de personnalités qui l'habitent. Comme si, à travers la photographie, Samuel Fosso avait trouvé le moyen d'échapper à la schizophrénie ».
Une rupture s'opère avec la photo de lui en jeune premier au costume immaculé. Un basculement qui se prolonge avec les photos où il pose nu, l'absurdité le poussant même à se plier en deux dans un carton. Déjà, l'inquiétude pointe dans son regard. Beaucoup plus étranges, les premiers clichés en couleur soulèvent des questionnements. Un homme pointe une croix en bois sur le torse d'un petit garçon allongé au sol, est-ce la reproduction d'un rituel d'incantations ? Avec la série intitulée « le rêve de mon grand-père », le photographe est lui-même et un autre. A la fois dans son présent et dans le passé de celui qu'il incarne. C'est aussi l'occasion d'un retour aux traditions : un corps poudré de terre rouge et des costumes traditionnels.
Samuel Fosso prend la parole
Après ces travaux riches de significations et d'une implication profondément personnelle et émotionnelle, Samuel Fosso adopte un ton plus « kitsh ». Dans la série « Tati », il use de dérision et sous-titre même un cliché : le chef (qui a vendu l'Afrique aux colons). Couleurs criardes, une paire de talons et un chapeau de cow-boy, il est tantôt « La femme africaine libérée » ou « Le Rocker » au pantalon brocard doré. Le marin, le pirate, la bourgeoise en tenue de gala, il revêt tous ces costumes les uns après les autres. Avec sa dernière série « African Spirits » (2009), réalisée dans le cadre du concours de la fondation Sindika, de sociologue, il entre dans la grande histoire. Le garçonnet est maintenant un homme au regard franc et sobre qui dénonce le poids des institutions en habit d'académicien ou de militaire. Dans le rôle d'un leader qui prononce son discours le bras levé, c'est toute la portée de son travail qui prend sa mesure. Avec une plaque numérotée autour du cou, il soulève également des thèmes, profondément ancrés dans l'Histoire africaine, comme la ségrégation. L'artiste exprime aussi son sens de la composition dans cette photo où, en short de boxeur, il est transpercé de flèches, comme un écho aux blessures d'une figure christique. Dans les deux dernières photos, persiste tout de même une pointe de folie, ce petit quelque chose de particulier qu'il apporte pour assumer son propos.
© Samuel Fosso, African Spirits, 2009
© Samuel Fosso, African Spirits, 2009
En noir & blanc ou en couleurs, habillé d'un costume complet ou plus dévêtu, Samuel Fosso affirme un point de vue unique sur le monde dans lequel il vit. Véritables jeux de rôles, ses autoportraits se teintent du glamour des scènes internationales et des rêves panafricanistes de la période précédant les Indépendances. En participant activement à son œuvre comme acteur, il accompagne la vision du spectateur sans jamais imposer une opinion. Les travaux du photographe sont une prise de parole, l'affirmation d'un discours subjectif et visuel.
Capucine Michelet
Samuel Fosso : Dorian Gray à Banguy.
Revue Noire, Collection Soleil.
Texte de Simon Njami
En français et en anglais.
Livre broché / 13x18 cm / 108 pages
13€