© Vivia Maier/John Maloof/Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York/Les Douches La Galerie PAris
Sept ans plus tard, le documentaire A la recherche de Vivian Maier voit le jour. En salles en France le 2 juillet prochain, ce documentaire stupéfiant retrace les recherches effrenées engagées par John Maloof pour découvrir qui était Vivian Maier.
Entretien avec les deux réalisateurs du film, John Maloof et Charlie Siskel.
Charlie Siskel
John Maloof
Charlie Siskel, comment tout a commencé ?
Après que la découverte ait été faite, des articles ont été écrits dans des magazines et journaux aux Etats-Unis. La première exposition du travail de Vivian Maier, comme cela est montré dans le film, a eu lieu à Chicago.
Les gens ont vraiment été réceptifs à l'histoire, mais aussi au travail photographique. J'ai été en contact avec John grâce à Jeff Garlin, qui est producteur délégué sur le film, également acteur et comédien. Il est lui-même collectionneur de photographie, il nous a mis, John et moi en contact. John n'avait jamais réalisé de documentaire avant, ni travaillé sur un film, il est au départ agent immobilier. Quand il a fait la découverte, il a réalisé que cela pourrait être un film formidable, mais ne savait pas comment le réaliser.
Quand nous avons commencé à discuter, je lui ai demandé quels éléments il avait en sa possession. Il avait non seulement les images, mais Vivian avait tourné des heures et des heures de films en Super 8, et enregistré des heures sur des cassettes audio. Nous avions donc beaucoup de matière sur laquelle travailler, nous devions trouver comment raconter une histoire, celle de Vivian Maier.
Notre rôle a été de montrer le processus de découverte, qui elle était en tant qu'artiste.
Dans le film, je montre John décortiquant toutes les informations qu'il récolte, chaque photo, chaque carte de visite, tous les petits éléments que Vivian gardait méticuleusement. A la manière d’archéologues, nous avons dû créer de l'ordre dans le chaos, afin de montrer tout ce qui ressortait de cette quantité astronomique de matière.
Les images et sa vie, tout ce que vous montrez s'arrête à la fin des années 1980' : Pourquoi ce trou noir jusqu'à sa mort en 2009 ?
John Maloof : Dans les années 1980', elle a arrêté son métier de baby sitter, de travailler avec les enfants. Il n'y a pas eu d'évènements majeurs dans sa vie qu'il était important de notifier, après la fin des années 1970'.
Charlie Siskel : En terme de recherches, je n'ai pas l'impression qu'il y ait de trous, nous savons qu'il y a eu des périodes où Vivian était sans domicile, nous avons rencontré des gens avec qui elle a travaillé toute sa vie, qui ne sont pas forcément dans le film.
Ce n'est pas parce que nous savions tout sur les endroits où elle était, durant sa vie, que nous devions en parler dans le film. Tout ce que nous savions – et nous savons tout – n'était pas forcément intéressant pour le film, intéressant tout court.
Au début du documentaire, le public découvre une femme secrète, douce avec les enfants, mais rapidement, il découvre son côté obscur. Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez découvert cela ?
John Maloof : Je ne m'attendais pas à trouver quelque chose de noir chez elle, lorsque j'ai rencontré ces gens. Je suis revenu sur ma première impression, j'ai dit à Charlie que nous devions étudier comment inclure cela dans le film, de quelle façon il était important de l'inclure. Bien sûr, nous ne nous attendions pas à cela, mais nous devions raconter la véritable histoire, la vérité. L'idée n'était pas de donner aux gens ce qu'ils avaient envie d'entendre. Nous voulions raconter sa véritable histoire, voilà pourquoi nous avons tout raconté, même les côtés sombres de Vivian Maier.
© Vivia Maier/John Maloof/Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York/Les Douches La Galerie Paris
Avez-vous le sentiment que vos recherches sont désormais terminées ?
John Maloof : Je pense, oui. Il y aura toujours des gens qui voudront en apprendre davantage, de petits détails sur sa vie. Nous ne pensons pas que ce soit important. Nous voulions savoir qui elle était, nous voulions raconter son histoire, montrer ses photographies, sa vie, et mon histoire à sa recherche. Mais chaque personne dans le monde a un nombre inquantifiable de détails, qui n'ont pas forcément besoin d'être partagés, ce n'est pas l'important. Les gens se raccrochent à beaucoup de choses, mais certainement plus que cela devrait être.
J'ai passé 4 années à faire des recherches, c'est assez ! (rires) Il n'y a pas plus que je puisse faire, nous avons trouvé sa famille en France, d'où elle venait, ses possibles intentions photographiques, nous avons les histoires des gens qui l'ont côtoyé. Nous pensons que les questions que nous nous sommes posées ont été résolues.
Charlie Siskel : La décision a été difficile de décider que le travail était terminé. Il est toujours difficile de terminer un film, souvent l'on dit qu' « un film n'est pas terminé mais abandonné ». Dans ce documentaire, cela est particulièrement vrai, car il y a toujours une personne qui s'ajoute, un numéro de téléphone retrouvé, une information que l'on découvre.
Mais je n'ai pas l'impression qu'il y avait des éléments que nous n'avons pas reporté, raconté, manqués. Je pense que vous n'avez pas besoin de tout savoir sur quelqu'un pour raconter son histoire. Cela est particulièrement vrai dans cette histoire car ce n'est pas une biographie de Vivian Maier, le but n'a jamais été de raconter l'histoire de la vie de Vivian Maier. Ce n'est pas ce qui nous intéressait, mais plutôt de raconter une histoire incroyable, celle d'une artiste méconnue. Avant cette découverte, le monde ne se souciait pas de Vivian Maier. Pour moi, la plupart des grandes œuvres des artistes sont perdues, n'ont jamais été découvertes. Les grands artistes ne sont jamais découverts, le sujet de documentaires. Les grands artistes travaillent ardemment dans l'obscurité, en secret, tout comme Vivian.
Vivian Maier a travaillé jour après jour, années après années, toute sa vie, pour créer le travail qu'elle a laissé derrière elle. Le fait qu'elle soit baby sitter l'a aidé à réaliser tout ce travail photographique.
Lorsque nous avons terminé, cela a été très libérateur pour nous. Le but n'était pas de raconter tous les petits détails personnels sur la vie de Vivian Maier, je n'ai jamais été intéressé d'exposer tous les détails de la vie de Vivian Maier. Tout ce qui nous intéressait était de comprendre quelle artiste elle était.
Quel est votre meilleur souvenir de cette aventure ?
John Maloof : Lorsque nous sommes allés en France, c'est incontestablement mon meilleur souvenir. Les gens du village d'où elle venait, à Saint-Julien, tous ceux que l'on voit dans le film. Ils sont devenus notre famille. Il y a eu beaucoup de travail là-bas, mais il y a eu aussi beaucoup d'émotions, d'aller là-bas, les rencontrer, découvrir cette nouvelle connexion dans sa vie.
Charlie Siskel : C'est très personnel, j'ai grandi dans la ville où Vivian Maier était baby sitter. La forêt dans laquelle elle tourne son film en super 8, avec les enfants, fait partie de mon enfance, où mes parents vivent toujours. Les parents pour qui Vivian travaillait habitent le même quartier que mes parents. Cela est une incroyable coïncidence, mais cela m'a encore plus intéressé d'en apprendre sur la vie de Vivian, en particulier car j'avais envie d'en apprendre plus sur les divisions sociales, les distinctions entre Vivian et ses employeurs. Le film montre cela je pense.
Vivian vivait auprès de gens favorisés, et montrait un autre côté, une autre façon de vivre. Elle prenait en photo les pauvres de Chicago, ce que les gens ne voulait pas voir. C'est un cadeau qu'elle a fait à ces enfants, de les emmener dans des lieux différents de ceux qu'ils côtoyaient.
Voir toutes ces différences sociales à travers les yeux de Vivian était très intéressant, en particulier pour une baby sitter, qui est très proche d'une famille.
Voir l'endroit où j'ai grandi à travers le regard de Vivian a été une expérience incroyable, et m'a aidé à comprendre cet endroit un peu mieux.
A qui ira l'argent de tout cela ?
John Maloof : Il n'y a pas eu beaucoup d'argent jusqu'à cette année. Peut-être que les gens ont l'impression qu'il y a eu beaucoup d'argent, mais ce n'est pas vrai. Il y a eu beaucoup de dépenses. Nous venons de lancer une fondation pour les femmes qui cherchent à réaliser des études d'art au Chicago Art Institute. Nous avons donc lancé un prix pour les femmes qui veulent étudier là-bas. Une grande partie de l'argent sera destinée à cette fondation. Les six dernières années, c'est uniquement moi qui ait payé pour tout cela, les recherches etc, aucun bénéfice n'a été fait. La plupart de l'argent qui sera fait ira à des entités caritatives.
Propos recueillis par Claire Mayer