© Gre?goire Aleaxandre
Né en 1970, Mathieu Pernot a étudié à l'École Nationale de la photographie d'Arles, dont il sort diplômé en 1996. Son travail est rapidement exposé au Centre National de la Photographie de Paris et aux Rencontres d'Arles. Ses séries, telles que les Migrants, le Feu, les Témoins, ou Implosions, élaborées sur plusieurs années, font de lui l'un des meilleurs documentaristes français actuels. Il a été exposé de février à mai dernier au Jeu de Paume et à la Maison Rouge.
Lauréat du prix Nadar, il a récemment obtenu le prix Niépce 2014.
Entretien avec le photographe.
Pouvez-vous nous expliquer la série que vous avez présenté pour le prix Niépce ?
Le prix Niépce récompensant un parcours, ce n'était pas vraiment une série en particulier, mais un dossier contenant plusieurs éléments des séries exposées au Jeu de Paume. On y retrouve les photomatons des enfants gitans, les Hurleurs, les Implosions, les Migrants et la dernière série du Feu.
Qu'avez-vous ressenti lors de l'annonce du lauréat?
J'étais déçu... (rires). Non, j'étais content. J'avais déjà été concouru pour prix il y a une dizaine d'années et cette fois a été la bonne. Ce prix a conclu l'année, très riche : d'abord l'exposition à Marseille-Provence 2013, le prix Nadar, puis les expositions au Jeu de Paume et à la Maison Rouge.
Ce prix est-il une consécration pour vous ? Un aboutissement ?
C'est une reconnaissance. Je le prends comme un prix d'encouragement à continuer. Je ne suis pas vieux, j'espère que le plus beau est à venir. Ce qui m'intéresse, ce sont les projets à venir. Les projets passés sont « morts » pour moi. Je suis heureux de les montrer, les faire vivre dans des lieux d'exposition, mais ils ne m'intéressent plus.
Dans votre série les Hurleurs, on observe une proximité certaine avec les sujets photographiés, comment se déroulent les prises de vues ?
Je connaissais tous les Hurleurs pour différentes raisons. Je leur demandais de les accompagner quand ils se rendaient à la prison. Parfois, je leur demandais de changer de place. Mais l'important est que la situation est réelle : ils sont en train de parler à quelqu'un qui est en prison. Ce n'est pas une prise de vue facile, c'est pour cela que ma série ne comporte que 8 photos, étalées sur 4 ans.
Monica, Barcelona, 2004 © Mathieu Pernot
Quel est le projet que vous avez préféré réalisé ?
Je n'ai pas de projet préféré. Ils sont différents, j'ai eu des plaisirs et des difficultés différents. Ce n'est pas la façon dont les projets vont être reçus qui font que je vais les préférer ou pas. Il arrive que des projets posent des problèmes éthiques à certains, comme les Migrants par exemple.
Série des migrants, 2009 © Mathieu Pernot
Quelles sont ces critiques?
Il y a d'abord une critique d'ordre éthique qui dit que « ce n'est pas bien de photographier ces personnes » et de les mettre dans des « beaux endroits d'art contemporain » alors que ces photos représentent la misère sociale. Selon moi, le musée doit autant montrer la pauvreté et la marginalité que la société elle-même. La question c'est de savoir comment on le montre. Pour moi, il n'y a pas de mauvais sujet. L'autre critique concerne la beauté plastique des photos, on leur reproche d'être un peu trop belles, sculpturales, alors qu'il s'agit de misère et de pauvreté... Je peux comprendre cette remarque, et c'est précisément la question de la beauté qui m'intéresse et la fascination que l'on a pour ces clichés. On souhaite à la fois voir et ne pas regarder cette beauté, cette série pose la relation que l'on a avec ces corps, qui est assez trouble.
Ce qui m'intéresse, c'est de voir ce que l'on projette dans mes photographies.
Y avait-il un projet qui a été plus difficile à réaliser que les autres ?
Tous les projets sont compliqués… Je n'ai jamais les cartes en mains. Rentrer dans une prison est compliqué, il faut avoir l'autorisation du directeur de la prison, de la direction régionale de l'administration pénitentiaire, du ministère de la justice, et si l'un des trois bloque, on ne peut pas y accéder. Les photographies d'implosion n'ont pas été simples non plus. Il faut avoir l'information, pouvoir aller sur place, avoir du temps et ne pas rater sa photo, ce qui n'est pas toujours évident quand on travaille à la chambre. Retrouver soixante ans après des personnes âgées qui ont été dans un camp d'internement alors qu'ils n'ont pas d'existence administrative, qu'il n'y a pas d'annuaire pour les contacter est aussi compliqué. Photographier une caravane qui brûle (ndlr : série du Feu) c'est aussi très compliqué.
Photographier des migrants quand la police arrive qu'ils ne sont pas prévenus, qu'ils se réveillent et qu'ils me voient, il est 6h du matin à Paris, il n'y a pas beaucoup de lumière c'est compliqué...
La photographie c'est un peu l'art de se débrouiller avec le réel. Pas seulement lors de la prise de vue, mais en préparant sa photo et en étant dans le monde dans lequel on est. C'est pour cela que je n'ai jamais photographié mes proches, cela ne m'intéresse absolument pas, ce serait trop facile.
Et surtout, j'aime vivre avec eux, mais je pense que je ne ferai de photos intéressantes avec eux. Je ne suis pas du tout photographe de l'intimité.
Pas de votre intimité, mais de celles des autres ?
Je ne sais pas si je montre une intimité dans mes photos, je révèle des choses qui sont en rapport avec leur vie, mais ce n'est pas quelque chose d'intimiste. En revanche, mes projets montrent très souvent une vraie implication, et un rapport intime aux personnes.
Est-ce qu'il y a des projets que vous auriez aimé réaliser ?
Sans doute, mais je les oublie aussitôt. Un projet que l'on ne peut pas faire est un projet qui n'existe pas. Tout comme je pense que les bonnes idées, quand on est artiste, ce sont des idées réalisables.
Si l'idée est brillante mais que ce n'est pas réalisable pour différentes raisons, parce que c'est trop cher, que les gens ne voudront pas la financer, c'est une mauvaise idée.
Est ce qu'à l'inverse avez-vous un meilleur souvenir de tous ces projets?
À chaque fois, je retrouve ce plaisir assez jubilatoire lorsque mon projet se réalise. Je vois des choses, j'ai des idées, je travaille et l'image apparaît : il y a le hurleur, le migrant, l'implosion. L'image est là... Je me compare à un chercheur qui émet des hypothèses.
Cela m'est arrivé de ne rien faire pendant plusieurs années. J'avais d'autres projets à côté. Pour moi, cela est très important de rester libre et de fonctionner à l'envie, au désir. Pendant des années, j'ai perdu cette énergie photographique, j'ai fait d'autres choses. Je pensais que j'avais arrêté la photo, ce n'était pas grave car j'avais d'autres idées, d'autres envies à côté et puis j'y suis finalement retourné.
Comment êtes-vous retourné à la photographie ?
J'ai eu envie de retrouver les premiers vertiges que j'ai eu en tant que photographe. Quand j'ai commencé à travailler avec les tziganes, c'était très fort humainement. J'y allais la peur au ventre, je ne les connaissais pas, je me disais « Mais qu'est ce que tu viens faire là , qu'est ce qui va t'arriver ». A chaque fois que je revenais, je me disais : « c'est beau de pouvoir vivre ces moments là ». Il y avait quelque chose de très fort, et à la fois un peu inquiétant.
Et puis, il y a eu un moment où j'ai trouvé que j'étais en train de m’embourgeoiser dans mon travail de photographe, quand je travaillais sur le projet Les témoins. Je me disais que je devenais un artiste de bureau. J'étais devant mon ordinateur, j'achetais mes petites cartes postales sur internet, je les scannais... C'était très bien, intelligent, mais je ne trouvais plus ce vertige que j'avais auparavant. J'ai aussi eu des enfants, ma vie a changé, je ne pouvais plus travailler de la même façon.
J'ai retrouvé cette énergie avec les migrants, quand je suis allé les photographier le matin. Quand je me suis retrouvé devant ces corps, j'ai retrouvé cette chose très forte, la peur, et à la fois la rencontre de gens incroyables. À ce moment là, j'ai eu envie de retrouver les gitans que j'avais photographié à mes débuts.
Comment vous êtes-vous intéressé au nomadisme ?
Je m'y suis intéressé parce que j'ai croisé les tziganes sur mon chemin : j'étais étudiant à Arles. Mais si l'école de photo avait été dans le nord de la France, j'aurais peut être fait un travail sur les anciens mineurs. Mon histoire n'est pas liée à ces gens là.
Le fil conducteur du nomadisme est un constat que j'ai fait après. J'ai mis du temps à me rendre compte que les seules personnes que je photographiais étaient celles qui traversaient les espaces, qui vivaient à la marge et qui nous posaient beaucoup de questions, à nous, qui vivons au centre dans des espaces sédentaires et très inscrits dans l'histoire.
Ces personnes, à un moment, prennent en main leur destin, et décident de partir. Elles ne subissent pas l'histoire. Pour moi, ce ne sont pas des marginaux que je photographie mais des figures héroïques.
Elles se réinventent dans le quotidien, dans la misère, dans la difficulté. C'est dur, violent mais ce sont des gens qui restent malgré tout acteurs de leur histoire et qui proposent un contre modèle. Ils ont une autre façon de vivre, pour nous sédentaires elle n'est pas viable, pas acceptable et critiquable à tous les niveaux.
Ces populations ne sont pas des victimes. Il y a une vraie différence pour moi entre les migrants que je photographie et les sdfs, pourtant ils ont en commun le fait d'être dans la rue et de dormir par terre. Je ne les vois pas du tout de la même façon, et ça ne me viendrait pas à l'esprit de photographier des sdfs.
Qu'est ce qui vous a mené à la photographie quand vous étiez à Arles?
Que vous apporte-elle ?
Elle m'apporte tout ce que j'ai vu parce que j'ai été photographe.
Rentrer dans une prison c'est passionnant, vivre avec les roms c'est passionnant. En photographie, on peut pas se passer du sujet qu'on représente. On va rencontrer les gens, vivre et parler avec eux. C'est humainement très fort. Je ne serai jamais un artiste d'atelier, à rester dans mon studio. Pour moi l'atelier c'est le monde, c'est la rue, c'est ce qui s'y passe, c'est l'histoire.
Est ce que vous avez été influé par certains photographes ?
Très jeune, j'ai vu le travail de Koudelka, qui est très différent de ce que je fais, mais qui est un monument pour moi (par exemple son travail sur les gitans ou sur le printemps de Prague). J'ai admiré son travail, mais je pensais pas qu'un jour je serai photographe, même si j'ai quand même assez vite voulu faire des images.
Il y a donc eu des œuvres qui m'ont marquées, je me situe dans une filiation documentaire. Mais j'ai la dent dure avec la photographie et les photographes en général. Peu de choses me touchent ou m'émeuvent.
Avez-vous l'impression que la nouvelle génération de photographes est prometteuse ?
Oui, il ne faut pas « être un vieux con », penser qu'on est le dernier à faire des choses intéressantes.
Il y a par contre de bonnes et de mauvaises périodes. Je trouve que ce qui s'est passé en France ces quarante dernières années n'est pas quelque chose qui restera. Pour moi, la photographie humaniste française ne sera pas un marqueur dans l'histoire de la photographie. À l'inverse, il s'est passé beaucoup de choses en Allemagne et aux Etats Unis. L'histoire de la photographie en France s'est jouée au 19ème, beaucoup moins à l'après guerre.
Quels sont vos projets à venir ?
Ils sont encore indécis, mais j'ai d'abord un projet de film et des projets d'installations.
Propos recueillis par Juliette Chartier