© Oscar Muñoz Cortinas de baño 1985-1986 Collection particulière, Bogotá Courtesy de l'artiste
Dans le cadre des 10 ans du Jeu de Paume, l'accès aux expositions sera libre et gratuit le samedi 7 et le dimanche 8 juin de 11h à 19h
Oscar Munoz et son exploration photographique
« Oscar Muñoz, né en 1951 à Popayan (Colombie), est considéré comme l'un des artistes contemporains les plus importants de son pays natal, tout en suscitant l'attention de la scène internationale. Diplômé de l'Institut des Beaux-Arts de Cali, il développe, depuis plus de quatre décennies, une œuvre autour de l'image en relation avec la mémoire, la perte et la précarité de la vie. Grâce à des interventions sur des médiums aussi différents que la photographie, la gravure, le dessin, l'installation, la vidéo et la sculpture, son œuvre défie toute catégorisation systématique. »
Ainsi s'ouvre Protographies, la grande exposition proposée par le Jeu de Paume, dans le cycle d'expositions des dix ans de l'institution. Dès l'entrée de celle-ci, le spectateur est envoûté par l'univers d'Oscar Muñoz. L'exposition s'ouvre sur une œuvre que le public est invité à piétiner, il s'agit d'un « verre cassé qui se casse à chaque fois plus quand le visiteur marche sur l'oeuvre. Nous avons pensé que c'était une bonne œuvre pour ouvrir l'exposition. » explique José Roca, commissaire de l'exposition aux côtés de María Wills Londoño.
Organisée en plusieurs salles, les travaux d'Oscar Muñoz sont présentés par ordre chronologique, suivant l'évolution de sa carrière d'artiste protéiforme. « Chronologiquement, il a fait en premier les dessins, après ses essais pour trouver d'autres supports pour l'image, comme de grands dessins sur toile et sur rideaux de douche. Puis il a fait la série Narcisos qui a été une œuvre qui a changé sa démarche. Ensuite, la vidéo, le changement des années 1990 aux années 2000. Il était assez connu dans les années 1980 comme dessinateur, il avait remporté un prix. Il serait resté un bon artiste mais pas un artiste essentiel comme aujourd'hui. » ajoute José Roca.
© Oscar Muñoz - Aliento (Souffle) 1995
Sérigraphie et graisse sur miroirs métalliques, 7 miroirs, diamètre : 20 cm chaque
Courstesy de l'artiste
Oscar Muñoz explore en effet plusieurs types d'usages de la photographie. Collectionneur d'images de journaux, ce ne sont pas uniquement ses œuvres qu'il examine, mais aussi celles des autres. Il s'approprie son propre univers photographique, idéalement mis en lumière dans Protophotographies. Le spectateur découvrira certainement amusé une œuvre réalisée par l'artiste, formée de petits miroirs sur lesquels il devra souffler pour faire apparaître une image. Mais celle-ci fait partie intégrante des nombreuses autres curiosités prévues dans l'exposition. Agencée en trois salles d'un côté, et deux de l'autre, elle initie de façon claire et ludique un public curieux à l'une des plus grandes figures de l'art contemporain colombien.
Claire Mayer
Première rétrospective de Kati Horna, photographe de l'exil
Le Jeu de Paume rend hommage à la photographe Kati Horna avec cette première rétrospective et première exposition en France. Celle-ci retrace l'ensemble de sa carrière en Hongrie, en France, en Espagne et au Mexique. Les photographies exposées sont exclusivement en noir et blanc, et pour la plupart, en petits formats. Des citations poignantes et intimes de l'artiste viennent se greffer à ses œuvres. Avec plus de 150 tirages d'époque, principalement pris avec un Rolleiflex, Kati Horna donne un témoignage très personnel et créatif du XXème siècle.
Née en Hongrie en 1912 dans une famille juive, elle côtoie très vite les mouvements avant-gardistes et la jeune génération de photographes hongrois tels que Robert Capa et André Kertész. Contrainte de fuir son pays natal dans les années 30 en raison des conflits et de l'instabilité sociale, elle s'installe à Berlin, puis à Paris, en Espagne et enfin, au Mexique, terre d'adoption.
Pour Kati Horna, « la photographie avec ses diverses possibilités permet de montrer, libérer et développer sa propre sensibilité pour qu'elle se réalise en images graphiques ».
La montée du nazisme et la guerre civile espagnole marquent profondément son œuvre et la recherche inlassable de liberté transparaît dans ses clichés. Kati Horna apporte un regard plein d'humour au danger et à l'injustice de son siècle, notamment à travers la série Hitlerei présentée au Jeu de Paume, en collaboration avec Wolfgang Burger où elle met en scène des œufs personnifiés et dénonce la violence de la dictature.
Sans titre
série "Hitlerei", en collaboration avec Wolfgang Burger, Paris, 1937
© Kati Horna
Tirage gélatino-argentique, 16,8 x 12 cm.
Archivo Privado de Fotografía y Gráfica Kati y José Horna. © 2005 Ana María Norah Horna y Fernández
Ses photographies, à caractère social, sont principalement publiées dans des revues comme Travel, Mujeres : Expresion Femenina, S.nob, Revista de Revistas etc...
Angeles Alonso Espinosa, commissaire de l'exposition explique : « Kati Horna avait une vraie crainte des utopies sociales, de toutes ces idéologies totalitaires. C'est une artiste qui a toujours chercher à réaliser son utopie individuelle. Elle se considérait d'une part comme individualiste et était, dans une démarche anthropologique, à la recherche de soi-même à partir d'autrui. D'autre part, elle se considérait comme une ouvrière de la photographie plus que comme une artiste. Son travail se fonde sur son empathie avec les populations les plus démunies et les plus marginales de la société ».
Léa Pietton
L'artiste Kapwani Kiwanga sur les traces de la révolte Maji Maji
Née en 1978 à Hamilton (Canada), Kapwani Kiwanga a étudié l'anthropologie, les religions comparées et travaille surtout grâce à la vidéo, le son et la performance. Jouant le rôle d'une anthropologue du XXIe siècle, dans ses films et sa série de conférences-performances Afrogalactica, elle parle « de pouvoirs, d'êtres et d'univers transcendants» qu'elle a inventé sur un mode scientifique. Troisième exposition du cycle intitulé «Histoires d'empathie » (programmation Satellite 7), proposé par la commissaire Natasa Petresin-Bachelez, l'exposition Maji Maji se fait le récit historique de l'une des premières luttes anticoloniales en Tanzanie. Survenue entre 1905 et 1907 en Afrique orientale allemande, cette guerre fut l'un des plus grand soulèvement sur le continent africain du début du XXe siècle.
« Faire dialoguer un savoir surnaturel, magique et un autre, qui était de l'ordre de l'archive documentaire ».
Alliant des installations vidéos à ses archives personnelles, récoltées depuis 2009 notamment dans les réserves de diverses collections de musées à Berlin, Paris, Londres ou Dar es-Salaam, l'artiste interroge les notions de croyance surnaturelle et la relation au savoir. S'inscrivant dans une démarche d'exploitation de ressources documentaires, elle revient sur un moment particulier de l'Histoire Africaine. Presque à la manière d'un conte, elle narre le rôle du médium spirit Kinjeketile, également connu sous le nom de Bokero. Possédé par l'esprit Hongo, le guérisseur traditionnel distribuait de l'eau sacrée - le maji - supposée transformer les balles allemandes en eau. Si la magie joue un rôle indéniable dans l'imaginaire collectif de cette communauté, il faut surtout y voir son interprétation symbolique. L'artiste considère la magie comme un moyen de parler au peuple et de galvaniser les insurgés. Distribuer cette eau magique était aussi un moyen de faire circuler des valeurs politiques en parlant un langage connu, répondant ainsi au désir de la création d'un nouvel ordre social. Dans cette exposition, deux savoirs se côtoient, faire dialoguer des systèmes de croyances avec un savoir scientifique plutôt de l'ordre de la catégorisation et la classification. Chacun de ces savoirs ayant sa place dans un véritable continuum.
L'exposition sous la forme d'une installation tout en hauteur « remet en cause l'acte de compiler, d'organiser et de catégoriser ».
Lion empaillé. Collection du National Musuem of House and Culture, Dar es-Salaam, Tanzanie.
Photo: Kapwani Kiwanga.
Kapwani Kiwanga explicite son exposition ainsi : « Chaque objet constitue des «clés qui ouvrent les portes vers les différentes thématiques que j'ai pu soulever pendant mes recherches. On y trouve une plante de ricin, un des supposés ingrédients de cette potion magique et une carte routière de la Tanzanie où j'ai écris à la main des petits mots au fil de mes recherches. Sur une autre étagère, on a des images d'amulettes de la collection du Musée du Quai Branly ainsi que du Musée Ethnographique de Berlin, imprimées sur des transparents. Je travaille beaucoup sur cette notion de transparence, de projection. Les images de termitières (certaines allant jusqu'à 4m de hauteur) rappellent la croyance en une magie protectrice de ces dernières pour camoufler les villages des potentiels envahisseurs. La magie est celle qui agresse mais aussi celle qui protège. Le transfert de super 8, projeté dans l'étagère même, reprend une affiche encadrée du premier président de la Tanzanie Julius Nyere. Une pièce de théâtre Kinjiki Téré parle du doute de ce guérisseur qui, après avoir distribué l'eau sacrée, symbole d'espoir pour combattre les allemands, se demande s'il ne sera pas meurtrier de beaucoup de gens si il a eu tort. Cela remet en cause cette idée de croyance. Quand il y a croyance, il y a toujours aussi l'idée de doute. Enfin, les tissus kangas, spécifiques à l'Afrique de l'est symbolisent le deuil. Le motif d'oeil sur ces tissus est appelé l'oeil de Bokero. Porter ces tissus était une manière de montrer que l'on était solidaire de ce combat.
Plusieurs vidéos sont aussi projetées, deux fonctionnants ensemble : l'une présente des objets issus du Musée Ethnographique de Berlin mais aussi une où je manipule des objets disparus qui auraient pu être témoins de la guerre mais qui sont restés perdus ou absents. Le fait qu'il y ait une forte tradition orale fait de cette absence un espace pour d'autres archives immatérielles. La collection de diapositives réutilise des dessins d'os de dinosaures issus d'une expédition (réalisée en 1906-1908) dans le sud de la Tanzanie, financée par le musée d'histoire naturelle de Berlin et dont furent exhumées 225 tonnes d'os de dinosaures (Brontosaure). Enfin, la vidéo en mezzanine (extraite du film de 1952, Buono Davo) revient sur la construction d'un chemin de fer ralentie par des agressions de lions sur les ouvriers. La figure du lion qui attaque était très présente dans mes recherches. Dans les témoignages et écrits scientifiques sur la guerre, j'ai appris qu'il y avait eu de nombreux morts par balles mais encore plus de morts suite à la famine. Les allemands avaient menés une politique de terre brûlée, perturbant ainsi tout l'éco-système. Les lions, n'ayant plus d'animaux à manger, entraient dans les villages pour s'attaquer aux êtres humains. En Tanzanie, on voit aussi dans le lion un animal mythique en lequel l'homme pourrait se transformer, une sorte de loup-garou. S'instaure ainsi un dialogue parallèle avec un langage symbolique, plus métaphorique qu'un langage scientifique des faits ».
Si l'installation de Kapwani Kiwanga se construit en une sorte de méli-mélo aux supports polymorphes, elle laisse aussi sa place au vide. « Le système de rayonnages présent dans l'espace d'exposition ménage donc des cases vides réservées à la présence de l'immatériel et aux fantômes de pièces absentes, tout en présentant des objets trouvés et des vidéos comme traces de recherches de l'artiste »(Nataša Petrešin-Bachelez, Commissaire de l'exposition).
Performance de Kapwani Kiwanga «Histoire d'une conservatrice», le mardi 16 septembre à 19h.
Capucine Michelet
Expositions présentées jusqu'au 21 septembre 2014
Jeu de Paume
1 place de la Concorde - Paris 8e
Dans le cadre des 10 ans du Jeu de Paume, l'accès aux expositions sera libre et gratuit le samedi 7 et le dimanche 8 juin de 11h à 19h