© Thomas Ruff
Dans son livre Series, Thomas Ruff ne laisse aucune place à l’interprétation, et montre que la photographie ne peut suggérer que la surface des choses. L’artiste élimine tout élément relevant de l'affectivité, et place son lecteur devant des surfaces froides, planes, imperméables.
Ayant perdu la croyance en une capture objective de la réalité, Thomas Ruff donne à ses Series d’images « l'authenticité d'une réalité arrangée et manipulée ». Des lignes aux compositions symétriques, à la superposition des images, la réalité dans la photographie et sa perception sont interrogées.
Figure contemporaine, il reprend même des images de la NASA pour reconstruire, à sa manière, un univers futuriste.
3D_m.a.r.s.01, 2012. 255 x 185 cm Chromogenic-Print © Thomas Ruff
cassini 06, 2008. 108,5 x 108,5 cm. Chromogenic-Print © Thomas Ruff
Thomas Ruff compte parmi les artistes contemporains les plus importants au monde. Après avoir hésité entre des études d'astronomie et de photographie, il décide finalement de s'inscrire à l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf en 1977. Ses professeurs ne sont autres que le couple de photographes contemporains Bernd et Hilla Becher. Il développe alors sa propre méthode de photographie conceptuelle, et met en place une photographie objective. « L’image photographique est incapable de représenter la vie intérieure d’un sujet et la technique est toujours une manipulation ». Thomas Ruff ne cesse de s’interroger sur ce que peut véhiculer une image au-delà de la perception rétinienne.
Recourant souvent à l’image numérique collectée sur Internet, l’artiste transforme alors les images. Thomas Ruff recoupe, recadre, et change même les couleurs. En agrandissant l’image, il modifie la perspective et la photographie devient presque abstraite.
cassini 12, 2009. 108,5 x 108,5 cm. Chromogenic-Print © Thomas Ruff
Nacht 3 III, 1992. 20 x 21 cm. Chromogenic-Print © Thomas Ruff
Thomas Ruff réalise sa première photo de la série Porträt à la Galerie Rüdiger Schöttle à Munich en 1981, et sa réputation devient internationale. Il expose en Europe, au Tate Liverpool en 2003 et au Busan Metropolitan Art Museum, en Corée du Sud la même année. Son travail est également présenté à la Fundación Proa à Buenos Aires. Dans Porträt, il photographie ses amis, relations et connaissances, montrés sans aucune expression, sans la moindre émotion. En haute résolution, dans le style des photos d’identité, l’accumulation de portraits provoque la disparition de l’individu propre. L’emploi d’un grand format, d’un éclairage chaque fois similaire et cette volonté de neutraliser l’émotion place chacun de ces portraits sur un même niveau de lecture. Avec la même logique que pour ses portraits, il photographie des habitations d'allure morne.
Après avoir vu à la télévision les images vertes réalisées pendant la guerre du Golfe par l’armée américaine, il débute sa série Nächte, où il reprend ce procédé infrarouge. Grâce à un dispositif de vision s’apparentant à celui des espions, Thomas Ruff présente donc des images de paysages et de bâtiments vus de nuit. L’artiste allemand déclare Düsseldorf territoire de guerre : « De cette manière, tout devient suspect et le spectateur est placé en position de voyeur. »
Aujourd’hui, Thomas Ruff ne se sert plus que rarement de son appareil photo. Il trouve ses images sur Internet, ou dans les archives de la NASA pour sa série ma.r.s. L’artiste allemand s’occupe de transformer les photographies pour créer des paysages inédits. L’univers et ses mystères sont la marque de fabrique de Thomas Ruff. Depuis les vues panoramiques de la voie lactée jusqu’au cratère de Mars, les paysages stellaires du photographe allemand apparaissent tel un voyage virtuel vers le futur. Le lecteur peut apercevoir des images de caméra robot d’un satellite que Thomas Ruff va transformer. « Le plus amusant dans tout cela est qu’il s’agit de mes premières photos de paysages, et que je ne les ai pas réalisées sur Terre mais beaucoup plus loin sur la planète Mars ». Accompagné de lunettes 3D, le spectateur peut « atterrir » sur Mars.
0325, 2004. 130 x 164 cm. Chromogenic-Print © Thomas Ruff
phg.01, 2012. 240 x 185 cm. Chromogenic-Print © Thomas Ruff
Dans sa série JPegs, les photos composées de pixels agrandis prennent une dimension nouvelle. L’artiste allemand ébranle ainsi l'authenticité associée à la photographie. Il se pose la question : où est le réel dès lors que l'écran participe à la configuration de l'image ? Les JPegs de Thomas Ruff sont ainsi ce qu'on pourrait nommer des images-écrans. Médiatisés par des écrans de télévision et d'ordinateur, chaque cliché, divisible en carré, se décompose et se distingue par leur couleur. JPegs est le nom générique d'images sans nom et une extension de nom de fichier. Les images n’ont pas de titres, ce qui rend difficile l’authentification. Paysages de montagnes anonymes, toutes les photographies sont réduites à un petit nombre de carrés. Le spectateur peut apercevoir New York après les attentats du 11 septembre, sous une autre forme.
jpeg as01, 2007. 188 x 318 cm. Chromogenic-Print © Thomas Ruff
Zycles 6024, 2009. 256 x 256 cm. Pigment Print © Thomas Ruff
Thomas Ruff retravaille aussi les négatifs de photos datant de 1930. Dans son livre grand format 24 x 31 cm, le photographe présente sa série sur les machines. Il agrandit et retouche les photos originales d’usine : un mélange d’argentique et de numérique.
Le photographe allemand délivre ainsi une question sur la part de réel, d’authenticité et de représentation de l’image. Il consacre toute son œuvre à dénoncer l’ambivalence du médium entre réalisme et fiction. L’artiste démontre que la photographie ne fait que reproduire « l’authenticité d’une réalité pré-arrangée et manipulée ».
Nathalie Keosouvanh
Thomas Ruff, Series
Editions La Fabrica
24 X 31 cm
130 pages
34 euros