© Guillaume Chauvin
Guillaume Chauvin a vécu une année en Sibérie, à Irkoutsk, ville de plus de 600 000 habitants, à une centaine de kilomètres du lac Baïkal. Une année de voyage et de découvertes qu'il partage dans un ouvrage rose, à la couverture souple et aux pages fines. Les images ne sont jamais au même format, et remplissent l'espace de manière aléatoire, à la manière de collages. Ce sont des bouts de vie, des scènes de rue ou de campagne. Dans le texte qui fait suite aux photos, des notes racontent sa surprise, ses émotions, les paysages vus, les sons entendus. La mise en page est originale, avec de longs traits noirs disséminés entre les phrases, comme s'il s'agissait de messages télégraphiques. Le lecteur peut les saisir au vol, les prendre au hasard, sans que le sens soit diminué. Ces messages poétiques adressés à sa famille pour garder le lien lors de son périple, font écho aux images, leur donnent une autre dimension.
Son regard est enjoué, amusé. Il écrit : « Sibérie : les Lorrains se la représentent certainement mieux que les Parisiens. » D'un écriture enlevée, il embarque le lecteur dans un univers méconnu, où la violence, le racisme et la misère se mêlent à des paysages d'une blancheur immaculée, à une immensité envoûtante, un silence envahissant.
« En haut de la colline, je tiens à bout de bras mon harmonica, le vent souffle dedans, il y joue mieux qu'un enfant et souffle aussi dans les canons des fusils à nos épaules, dans nos bouteilles vides : l'orchestre surnaturel pour une valse étirée à l'infini. »
© Guillaume Chauvin
© Guillaume Chauvin
La partition de Guillaume Chauvin est un mélange de rires d'enfants, de sourires édentés, de pique-nique dans la neige. Aucune indication chronologique n'oriente le lecteur dans la découverte de ces images. La Sibérie l'hiver, ce sont des châteaux de glace, des forêts blanches illimitées, des poêles qui réchauffent les mains glacées. L'été, le blanc laisse la place au vert, aux parties de base-ball, aux galas. Les personnages de ce livret sont ceux des amitiés tissées, des liens créés, aussi éclectiques que ce grand pays russe.
L'armée semble avoir un rôle prépondérant dans ce pays. En attestent des photographies d'enfants habillés comme des petits soldats, de jeunes en service militaire et de policiers coiffés de chapeaux à la mode de l'armée rouge. Plusieurs univers se croisent, dans une ambiance toujours un peu décalée, comme cette salle d'attente remplie de plantes au milieu de laquelle trône un cerf empaillé. Quelques pages plus loin, un vrai cerf broute dans la neige, en face d'une page remplie de feuillages.
© Guillaume Chauvin
© Guillaume Chauvin
Comme l'écrit dans la postface Jean-Yves Casadepax, un proche de l'auteur, ce livre est une « cumulation » de plusieurs approches, qui voyagent entre poésie, documentaire et journalisme. L'auteur décrit des petits moments, la simplicité de cette vie qui devient riche de toutes ces observations, de cet humour. Il souligne et surligne la majesté du quotidien par ses mots qui ont le « goût vif du froid ».
Par des exemples caustiques, il donne à voir un peu de ces particularités russes, de ce qui étonne le voyageur. « Il faut être russe pour décorer un mur vert avec une plante verte. Il faut être russe pour manger des œufs de poissons sur œufs d'oiseaux. Il faut être russe pour se fumer une clope dans la fumée des grillades. Il faut être russe pour piloter une voiture téléguidée depuis sa voiture qui roule. Il faut être russe pour vivre en Russie... Russifiction ! »
Il ne se contente pas de photographier, mais prend aussi part au quotidien sibérien, s'initiant à la boxe et à la langue russe. Il retourne dans ce pays l'année suivante, à Moscou, où il étudie le journalisme.
© Guillaume Chauvin
© Guillaume Chauvin
La force de l'ouvrage réside dans la qualité du style et dans l'originalité de l'agencement iconographique. Sans laisser le lecteur sur le bas côté, l'auteur lui donne l'occasion de vivre un temps « à la russe », à travers un joli dialogue entre textes et images.
Adèle Binaisse
Le Vie russe, Guillaume Chauvin
Postface : Jean-Yves Casadepax
Editions Allia
17,5 x 30 cm
272 pages
19 €