© Jacob Aue Sobol / Magnum
Le photographe danois Jacob Aue Sobol a étudié le cinéma documentaire puis la photographie, au Danemark, son pays natal. A 23 ans, il part au Groenland où il tombe amoureux de Sabine, qui lui inspire la série éponyme. Il vit dans sa famille pendant près de deux ans, à Tiniteqilaaq, où il s'initie à la chasse et à la pêche.
Quelques années plus tard, au Guatemala, il part à la rencontre des habitants de l'Amazonie, et de la famille Gomez Brito, avec qui il reste deux ans entre 2004 et 2005. Son projet « Indigeneous Family » a été récompensé par le premier prix World Press Photo dans la catégorie Daily Life Story. L'année suivante il s'en va à Tokyo, où il reste un an et demi. Membre de Magnum depuis 2007, il est exposé à la Magnum Galerie, à Paris, jusqu’au 7 mai.
Les photographies en noir et blanc présentées sont issues de quatre séries : Sabine, I, Tokyo, Bangkok Encounter et Home.
Rencontre avec ce photographe globe-trotter qui conjugue le lointain à l'intime.
© Jacob Aue Sobol / Magnum
Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans la photographie ?
J'ai commencé par étudier le film documentaire, mais il m'est apparu difficile de travailler avec beaucoup de gens. J'ai découvert qu'avec mon appareil, je pouvais être seul avec les personnes rencontrés, puis rentrer chez moi et voir le résultat directement. J'ai alors commencé à être fasciné par le processus de création d'une image. De plus, ma mère et mon grand-père étaient photographes, c'est inscrit dans mes gènes.
Quelles sont vos inspirations ?
« Je m'inspire de plusieurs choses : de la musique, de la peinture mais aussi d'autres photographes. Je suis issu de l'école scandinave de photographie, qui est composée de 3 générations.
Elle débute avec Christer Strömholm, puis Anders Peterson et enfin, moi. The Danish School of Photography, où je suis allé, a été inspiré par celle de Strömholm, à Stockholm. Elle est ma famille photographique et mon inspiration. »
Comment choisissez vous vos sujets ?
Ma manière de faire a beaucoup changé avec Tokyo. Avant Tokyo, je vivais au Groenland, je photographiais seulement ma petite amie, Sabine, et la vie quotidienne que nous partagions. A Tokyo, j'ai été forcé de rencontrer des étrangers.
« Mais je ne photographiais pas seulement des personnes, tel un miroir de ce que je ressentais, cela pouvait être des objets dans la rue, des arbres, des fenêtres, de l'eau... Tout ce que je voyais et expérimentais, je pouvais le photographier. »
© Jacob Aue Sobol / Magnum
Quel est le but pour vous d'aller aussi loin ? Est-ce la photographie qui vous amène à voyager, ou l'inverse ?
Je suis allé d'abord au Groenland, pour faire de la photo. Puis j'y suis retourné, parce que j'étais amoureux. Je voulais apprendre à chasser et à pêcher, en savoir davantage sur cette culture. Je vivais dans la famille de Sabine, et je n'ai pas pris de photos pendant 6 mois. Un jour où Sabine portait une robe pour une occasion particulière, j'ai recommencé à prendre des images, car je souhaitais garder ce souvenir. Je voulais à nouveau enregistrer cette vie à deux, comme un journal. J'ai gardé dans mon approche cet aspect intime, mais je suis aussi devenu plus professionnel. Certains de mes projets sont planifiés, comme lors de mon voyage en Transsibérien. Maintenant, c'est un mélange des deux.
Et votre voyage à Tokyo ?
Je suis tombé amoureux d'une Japonaise... En fait, je faisais un projet au Guatemala, mais en parallèle je mettais en place une exposition aux Etats-Unis, où j'ai rencontré cette Japonaise, environ 3 ans après mon retour du Groenland. Elle a trouvé du travail à Tokyo, et j'ai décidé de la suivre là-bas. Mais elle n'est pas très présente dans mon travail, finalement. Elle travaillait tous les jours, et je me sentais isolé dans cette grande ville. J'ai utilisé mon petit appareil pour prendre des photos des gens. C'était un moyen de mieux la connaître, et de mieux connaître son pays. Ensuite, nous sommes allés au Danemark, et ça s'est terminé.
Pourquoi utilisez-vous le noir et blanc ?
J'ai commencé beaucoup de mes projets par la couleur. Mais je n'arrivais pas à trouver ma voix, je ne ressentais rien devant les images. Avec le noir et blanc, j'ai pu à nouveau identifier mes images, elles devenaient plus existentielles.
© Jacob Aue Sobol / Magnum
Comment qualifiez-vous votre style ? Est-ce du documentaire ?
C'est un mélange, je ne cherche pas à me placer dans une catégorie. J'essaye de vivre, et d'enregistrer ce que je vois. Je ne m'impose aucune règle, j'utilise simplement la photo pour exprimer comment je me sens tel jour, ou bien avec telle personne.
Un conseil pour une bonne photo ?
C'est important d'avoir votre propre signature. C'est ce qui vous différencie des autres, et ce qui permet de reconnaître l'auteur d'une image.Pour devenir un photographe intéressant, vous devez donner beaucoup de vous-même.
« Si vous donnez beaucoup de votre personne, vous aurez beaucoup en retour, des gens et des lieux que vous photographiez. Vos images auront plus de personnalité, elles montreront qui vous êtes. »
Pouvez-vous expliquer le titre de l'exposition « Toujours avec toi » (« Still with you ») ?
C'est une sorte de voyage émotionnel des gens que j'ai rencontré et des gens avec qui j'ai partagé ma vie, et avec qui je me sens toujours connecté. Mais pas nécessairement les gens que vous voyez sur les photos.
Comment avez-vous organisé les images de l'exposition ?
J'ai voulu mélanger des images de différentes périodes de ma vie et de plusieurs projets que j'ai fait. Il était important d'introduire mon travail par Sabine, car d'une certaine manière, toutes mes photos viennent de là.
Pouvez-vous nous parler de trois photographies de l'exposition ?
Cette photo de Sabine a été prise alors que je n'avais prise aucune photographie depuis 6 mois. Ce jour là, elle était très excitée, parce que sa nièce allait être baptisée.
« Cette photo représente mon amour pour Sabine. Elle représente ce qu'elle était. A partir de ce jour, j'ai commencé à prendre des photos avec ce petit appareil. En ce sens, cette photo représente beaucoup pour moi. »
© Jacob Aue Sobol / Magnum
Ce bateau a été pris dans un parc d'attraction, à Tokyo. Chaque matin, j'avais peur en me levant, peur d'aller dehors dans la rue pour prendre des gens en photo. J'ai commencé à choisir des endroits où j'irais, où je retournerais. De ce parc, j'avais des images de gens nageant, s'amusant ; des bras et des jambes dans tous les sens. Mais celle-ci était la plus forte, la plus belle.
« Elle n'est pas sur le parc, mais sur ce couple qui semble flotter à la frontière du monde, en quelque sorte. »
© Jacob Aue Sobol / Magnum
Sur cette photographie, des jumeaux se battent. Ils s'aiment et se détestent à la fois. Cette image représente l'ambivalence d'avoir un frère jumeau. J'ai moi-même un frère jumeau, quand il n'est pas là, je sens que quelque chose me manque.
Pouvez-vous nous traduire « Toujours avec toi » en danois ?
Propos recueillis par Claire Mayer et Adèle Binaisse