Mémoire de Verre. Mémoire de Guerre © La Martinière / Patrick Bard et Marie Berthe Ferrer
Le photojournaliste Patrick Bard et sa femme Marie Berthe Ferrer, journaliste, découvrent lors d'une promenade une chapelle du village de Préaux-du-Perche (Orne). A l'intérieur, des vitraux représentent des Poilus morts pendant la Grande Guerre. Curieux, le couple va chercher à reconstituer la vie de ces disparus, à travers des témoignages, des photographies, des lettres ou bien encore des cahiers d'écoliers.
Au début du volume, les visages de ces 18 hommes morts au combat sont dévoilés par des agrandissements des fameux vitraux. L'un d'eux, Alphonse Riguet, était Abbé, ce qui explique peut-être que tant de moyens aient été déployés pour cette commémoration. Le premier portrait lui est consacré. Puis vient le tour de Jules Ferré, mort le 12 novembre 1918, le lendemain de l'armistice. Sa petite-nièce, Thérèse Boulay, a conservé 198 pages de correspondance entre lui et sa sœur, Esther. Les auteurs se sont penché sur son enfance, sur les leçons apprises et les dictées qui, déjà, préparaient à la guerre avec les Germains. En dessous d'une carte de France est précisé « les départements enlevés à la France par l'Allemagne, à la suite de la guerre de 1870-1871, sont ceux du Haut-Rhin (sauf le territoire de Belfort), du Bas-Rhin, de la Moselle (sauf une petite partie réunie au département de Meurthe-et-Moselle) ». Jamais marié, pas même l'ombre d'une bonne amie, le jeune homme est décrit comme fidèle à sa famille, et surtout très inquiet de quitter ses parents, agriculteurs, en pleine période de moisson.
Cahier d'écolier de Jules Ferré conservé à Préaux par sa famille © Patrick Bard et Marie Berthe Ferrer
Détail de la verrière consacrée à l'abbé Alphonse Riguet, montrant en arrière-pla l'église de Saint-Jean-de-la-Ruelle (Loiret)
© Patrick Bard et Marie Berthe Ferrer
Albert Guillemain, mort à 26 ans, est lui aussi agriculteur, mais il ne possède pas de terre ; on dit qu'il est « journalier ». Une carte jaunie par les ans, adressée à ses parents, est insérée, tandis que les auteurs rappellent l'importance de la correspondance en temps de guerre, malgré les problèmes d'acheminement du courrier. L'histoire de chacun est mise en fiction, et ces oubliés de la guerre redeviennent des individus, avec chacun une histoire, un passé, une vie avant la guerre. Henry Dagneau, « diable bleu » c'est à dire chasseur à pied, faisait partie d'une armée d'élite. Il était marié à Clémentine depuis 2 ans quand il disparaît, en septembre 1914. Patrick Bard et Marie Berthe Ferrer reviennent à Fontenoy (Aisne), sur les lieux d'une bataille meurtrière : « Il est là, le fantôme de la guerre. Vous scrutez les champs de colza en fleur, les blés en herbe. Henry Dagneau est ici, quelque part. Un peu de ses 26 ans, de son amour pour Clémentine, flotte encore dans l'air. Ce paysage est le seul tombeau qu'il aura jamais. »
Parmi les 18 poilus réunis dans cet ouvrage, 5 d'entres eux n'ont pas de sépulture, car leur corps n'a pas été retrouvé. D'autres ne sont pas morts au front, mais des suites de maladies, comme Auguste Jamois, qui succombe à la typhoïde à l'hôpital de Saint-Omer.
Des photographies contemporaines se mêlent à des textes d'époque, écrits à la plume, dans une superposition savamment travaillée. La photo de mariage d'Anselme Richard, ami de Jules Ferré, est posée sur un champs d'herbe verte, qui représente Verdun aujourd'hui. Sur la même page, une carte postale de la Côte 304 (Verdun), un paysage en noir et blanc perforé de trou d'obus.
Un tourelle du fort de Douaumont © Patrick Bard et Marie Berthe Ferrer
L'ouvrage permet de mieux comprendre les batailles de la Première Guerre Mondiale. Les auteurs reviennent sur les grands évènements, contextualisent la mort des soldats. Avec empathie, ils cherchent à raviver le souvenir, grâce à des archives qui restent bien souvent enfouies dans la poussière des greniers. L'histoire de Jules Ferré sert de fil rouge, au travers de sa correspondance avec sa sœur. Le jeune homme, fait prisonnier fin mai 1918, ne rentre pas chez lui en novembre. Ses parents, inquiets, écrivent à ses compagnons d'armes. Le Chanoine de Préaux intervient, et la réponse vient enfin. Le docteur Kaisin officialise dans une lettre la mort de « cet humble héros » qui était « si près du but tant désiré, loin des siens », dans l'institut où il était soigné, à Floreffe.
Dans la maison du Docteur Kaisin (à Floreffe) qui soigna Jules Ferré dans ses derniers jours © Patrick Bard et Marie Berthe Ferrer
Jules Ferré au moment de son service militaire, en 1904
Des pages épaisses, une couverture cartonnée et dure forment un bel écrin pour ce livre à la qualité esthétique et historique. Il offre une vision émouvante de la guerre, et élargit les thèmes classiques ou purement factuels, grâce à une exploitation originale de moments singuliers, de bribes de vie entre les familles et les soldats.
Adèle Binaisse
Mémoire de Verre. Mémoire de Guerre, Patrick Bard et Marie Berthe Ferrer
Éditions La Martinière
195 x 260
224 pages
39 €