© Gabriela Lupu / Editions Filigranes
Carnet de charbon, publié en 2013, regroupe des photographies de Gabriela Lupu prises en 2005 dans le bassin minier des Carpates. Née en 1982 à Totunda (nord du pays), l'artiste a étudié la sociologie, puis la photographie à l’Ecole Populaire d’Art de Brasov. En 2002 elle s'installe en France, d'abord à Montpellier puis à Paris.
Frédérique Chapuis, journaliste a Télérama, évoque en introduction de l'ouvrage l'histoire minière de la Roumanie. En 1977, ce peuple de l'ombre se soulève, réclame des droits sociaux (journée de 6h, du travail pour leur famille, etc) et devient le symbole de la protestation contre le communisme et le régime de Nicolae Ceaușescu. Appelés par Ion Iliescu à sévir lors des manifestations populaires de 1990 et 1991, ils passeront de « héros » à « bourreaux ». Aujourd'hui, ils ne sont plus que 6 000, alors qu'ils étaient jusqu'à 50 000 au temps de leur gloire et de celle du communisme. La fermeture des puits a été engagée en 1997, mais certains sont encore ouverts. En 2018, il ne devrait plus en rester aucune.
© Gabriela Lupu
Saisies à travers l'objectif de Gabriela Lupu, les villes de Vulcan et Petroȿani, séparées seulement par 9 kilomètres, servent de cadre à cette plongée dans l'obscurité. Des images sombres, mêlant l'acier, la tôle et le charbon, où la lueur d'un sourire n'efface pas la brutalité du décor. Ces hommes qui descendent chaque jour sous terre ont-ils des conditions de vie meilleures que celles décrites par Emile Zola dans Germinal (1885) ? Dans la description des mines de Montsou où travaille Lantier, l'écrivain naturaliste évoque le puits « toujours affamé », les « boyaux géants capables de digérer un peuple », les « ténèbres (…) mortes » ou encore le « silence vorace ».
© Gabriela Lupu
Un siècle et demi plus tard, en Roumanie, les photographies de cette jeune femme semble avoir ce même besoin de dire le quotidien, sans cacher la rouille et la misère. Mais sans pour autant occulter les moments plus joyeux, comme cette partie de cartes sur le chemin du retour, entre le puits et la mine. On peut lire dans ces images une volonté de coller au plus près de la réalité, de retranscrire ces lieux usés de manière quasi documentaire.
© Gabriela Lupu
© Gabriela Lupu
Outre les étagères rouges occupées par des plantes vertes à coté d'une table dressée, ce que nous voyons est très peu coloré. La rugosité du monde minier est dépeinte par ces machines d'un autre âge et ces vieux outils, ces bâtiments vétustes, le papier peint décrépit. Les pages cartonnées augmentent ce sentiment d'enfermement, d’âpreté de ces villes minières aux toits de tuiles rouges et aux immeubles plongées dans la brume. Certaines images occupent une double page, semblant noirceur tout l'espace disponible, ne laissant pas de place pour le soleil. D'autres n'occupent qu'une demi page, créant une alternance agréable pour le lecteur, des espaces blancs comme des respirations dans ce monde terne du charbon.
© Gabriela Lupu
La douche est collective, mais essentielle pour effacer le labeur de la journée. Elle rappelle le caractère rudimentaire des lieux. Et l'esquisse d'une communauté encore vivante, malgré la fin d'une ère. Les scènes extérieures sont rares : on voit les mineurs dehors à la fin de la journée, assis sur un coin d'herbe ou debout sur un terrain boueux. Des paysages urbains, en ouverture et en guise de conclusion, disent bien l'amertume de cette « vallée des larmes », de ce monde en train de disparaitre.
Ce livre est un témoignage intense, celui d'un monde dur, mais où les résistances et la solidarité persistent. Que se passera t-il après, que deviendront ces villes en 2018 quand elles auront finalement perdu leur pouls d'un ancien temps ? Le maire de Vulcan espère que les projets touristiques permettront une reconversion réussie, et suffiront à endiguer le chômage, qui s'élève jusqu'à 60% dans certaines villes de la région.
© Gabriela Lupu
Adèle Binaisse
Carnet de charbon, Gabriela Lupu
Texte : Frédérique Chapuis
Editions Filigranes, 2013
Format : 170 x 240
96 pages
27 €