Dans L'un l'autre, la photographe germano-russe Alisa Resnik propose un voyage nocturne d'âmes solitaires entre St Pétersbourg et Berlin. Halls vides, vieilles chambres d'hôtels, moments de désespoir et de deuil, les images montrent une certaine fragilité de l'homme. Dans ce livre sans texte, l'obscurité et la solitude prédominent. La « situation se fixe dans l'instant défini par la rencontre entre le photographe et son sujet. Sitôt cette rencontre dépassée, seule demeure une trace : une image. C'est en quoi la photographie d'Alisa Resnik désarçonne par les sentiments mêlés qu'elle éveille en nous. Tout à la fois admirables et poignants, ses portraits dégagent une beauté humaine saisissante et subtile, mais à laquelle s'adjoint une sorte de regret que ces instants soient dissipés depuis longtemps et que rien ne les puisse faire renaître. » Jérémy Mercer
Alisa Resnik est née à St Pétersbourg de parents acteurs et déménage à Berlin à la dissolution de l’Union soviétique. Elle entreprend des études en Histoire de l’Art et philosophie entre Berlin et Bologne. En 2008, elle se lance dans la photographie et sillonne l’Europe, retourne en Russie et prend des clichés au parfum douloureux et violent des rues, observe la profondeur de la réalité. Exposée à Milan, Rome, Madrid et Arles, elle est sélectionnée pour le prix PhotoEspana 2009. Avec « L’un l’autre », elle remporte le prix de l’édition européenne du livre en 2013.
Alisa Resnik capture des paysages sombres saupoudrés d'une lueur en métaphore à l’espoir dans cet univers envoûtant. Un endroit où philosophie rime avec photographie, ses photos représentent un mélange de violence et de beauté. L’intensité des clichés plonge le spectateur dans l’univers troublant d’Alisa Resnik. Sans même le laisser reprendre son souffle, il assiste à des scènes tantôt douloureuses, tantôt délicates. Toujours enfouis dans la solitude, ces corps fragiles cherchent à ne pas y penser, et veulent éviter ce sentiment d’isolement. Une femme nue serrant un animal dans ses bras, tel un nourrisson, l’image d’un être espérant ne plus rester seule.
© Alisa Resnik
© Alisa Resnik
Cet ouvrage questionne sur la conscience de soi, à travers l'activité de représentation de l'autre : « autrui nous attire. Nous recherchons la proximité avec lui » écrit Lévinas. La photographe fixe son regard attentif sur un visage visible et expressif. Le visage est en l'homme ce qu'il y a de plus vulnérable. « Nous sommes entourés d'êtres et de choses avec lesquels nous entretenons des relations. Par la vue, par le toucher, par la sympathie, par le travail en commun, nous sommes avec les autres. Toutes des relations sont transitives : je touche un objet, je vois l'autre, mais je ne suis pas l'Autre. Je suis tout seul ». L'altérité fait sa puissance et le mystère le constitue. Les clichés dissimulent une certaine connexion entre le photographe et ses modèles, des instants où l'existence est remise en question. Ses photos heurtent et rendent cette subsistance complexe.
Ainsi, les images d'Alisa Resnik n'illustrent pas seulement des âmes solitaires, mais transcrivent des faits et moments difficiles à vivre, toujours dans un esthétisme séduisant. Laissé porté par l'ambiance insaisissable des séquences de vies, le regard témoin du spectateur peut s'identifier aux personnages parfois tristes et seuls.
© Alisa Resnik
Tout au long de ses 120 pages, L'un l'autre réunit des photographies de l'artiste germano-russe et livre une émotion propre à chaque lecteur. Son format 30,5 x 27,4 cm est agréable et permet de s'introduire facilement dans l'univers du photographe. Les pages s'enchaînent d'images mates et sombres, parfois floues. La couverture montre un corps frêle, allongé seul au milieu de brins d'herbe qui invite immédiatement le spectateur dans un monde mystérieux.
A la fin de l'ouvrage, le poème de Will Carruthers décrit parfaitement ces instants figés et mentionne la volonté d'arrêter le temps, exactement comme Alisa Resnik avec ses photos.
© Alisa Resnik
© Alisa Resnik
© Alisa Resnik
Alisa Resnik, L'un l'autre
Editions Actes Sud
120 pages
270 x 204 cm
36,00€
Nathalie Keosouvanh