En 2012, le duo musical sud-africain de Die Antwoord décide de se tourner vers l'un des plus grand artistes de leurs pays : Roger Ballen réalisera la vidéo de http://www.youtube.com/watch?v=8Uee_mcxvrw" clip dérangeant, fascinant, qui peut aujourd’hui se targuer d'avoir à son actif plus de 36 millions de vues.
Diplômé en géologie et fils d'un chef d'édition de chez Magnum, Roger Ballen n'est pas tombé dans la photographie par hasard.
Son nouveau projet, Asylum of Birds, est un documentaire doublé d'une matière pure et artistique, qui continue d'explorer les frontières de la réalité, de l'inconscient et de la fiction.
L'expérience de l'image en mouvement a sans nul doute inspiré le photographe de natures mortes, et si son nouveau projet se présente sous le format d'un livre, il est également accompagné d'une vidéo noir et blanc de six minutes. Une esthétique et un montage aussi mystique et mystérieux que le lieu de tournage lui-même.
Entre 2008 et 2013, Roger Ballen concentre son attention sur les oiseaux et la complexité du sens du mot « Asile ». Prison ou refuge, il semblerait que l'apparente et simple dualité relève plus ici de la notion d'ambivalence.
Dès août 2013, l'auteur de Platteland se rend à l'endroit qui sera lieu de tournage, une étrange bicoque dans les faubourgs de Johannesburg, dans laquelle hommes et oiseaux se partagent l'espace.
Ballen les photographie ensembles avec, comme à son habitude, un arrière plan décoré de dessins cubistes, enfantins.
Entretien avec l'artiste, qui s'explique.
The Asylum of the Birds © Roger Ballen tous droits réservés
Parlez-nous de vous début dans la photographie
J'ai commencé la photo au début des années 60. Comme ma mère travaillait chez Magnum, j'ai eu la chance de pouvoir rencontrer et côtoyer les plus grands photographes comme Cartier Bresson.
Elle est devenue ami avec tous ces gens, j'avais douze ans, donc j'étais vraiment intéressé à l'époque.
Il y aussi le fait que j'ai une formation de géologue, je ne sais pas si cela influence beaucoup mon travail...
Vous êtes connus pour vos images effrayantes et fascinantes. Pourquoi choisir le médium photographique pour exprimer cela ?
Ce que j'aime dans la photographie (dans laquelle j'évolue maintenant depuis plus de quinze ans), c'est un tout. A vrai dire, je ne me pose plus la question maintenant, la photo est juste une part de moi, elle n'est pas là pour prouver des choses, en démontrer d'autres. Je n'ai pas besoin d'autres moyens. Bien sûr, vous avez vu la vidéo, j'intègre également le dessin dans mes compositions, mais la photographie est pour moi le meilleur moyen de confronter le public aux images.
Pourquoi êtes-vous installé à Johannesburg, un lieu pour vivre et travailler ?
Je suis impliqué dans mon travail ici, donc ça a été une expérience d'être là toutes ces années, je pourrai prendre de meilleures ou de pires photos ailleurs. La dimension documentaire de mon travail importe et trouve toute sa place en Afrique du Sud.
Si j'avais quitté Johannesburg pour autre part, peut être que mes photos auraient été différentes.
The Asylum of the Birds © Roger Ballen tous droits réservés
Dans quelle mesure la vidéo est t-elle un atout, en règle générale et pour The Asylum of birds ? Avez-vous découvert ses possibilités grâce au clip Fink u Freeky ?
Je pense que la vidéo montre une part de réalité qui n'est pas la même que pour la photo. C'est un autre niveau de lecture en ce qui concerne mon travail, une façon plus documentaire, multi-dimensionnelle et bien efficace pour marquer les esprits.
Je photographie les natures mortes en noir et blanc, la vidéo offre un point de vue bien particulier.
Fink u freaky est la première vidéo que j'ai mise sur youtube, je sais que beaucoup de gens l'ont vu, j'ai alors réalisé le pouvoir de la vidéo à ce moment-là.
Enormément de gens ont pris conscience de ma photographie à travers ce clip. Je ne l'ai pas faite pour l'audience, c'est un vrai travail photographique avant tout.
Comment avez-vous fait le lien entre les oiseaux, et la notion d'asile à la fois en tant que prison et refuge ? Lequel des trois a émergé le premier ?
En anglais le mot asylum veut dire deux choses, le refuge et la prison. D'une certaine façon, l'endroit que j'ai choisi était les deux à la fois. Ce lieu où des gens vivent, je l'ai découvert un peu par hasard, je veux dire que je ne l'ai pas cherché.
Il y avait tant d'animaux qui vivaient avec les habitants de la maison. En 2008, j'ai commencé à venir assez régulièrement, à parler avec le propriétaire, puis j'ai finalement démarré le projet.
The Asylum of the Birds © Roger Ballen tous droits réservés
En parlant de cet endroit, est-il le lieu de mille inventions où plutôt fidèle à ce que vous avez retranscrit à travers le livre et la vidéo ? Qui sont les gens que vous avez fait poser ?
Je ne peux pas réellement dire ce qui est vrai ou non, je ne sais pas ce que ce mot veut dire.
J'ai crée une réalité qui existe bien, en tant que livre et vidéo. Tout est réel sans vraiment l'être. C'est un endroit que je visité et que je transforme.
Je venais quatre ou cinq fois par semaine, mais tout était différent selon les jours, rien n'était jamais pareil. Parfois il y avait plus d'animaux que d'humains, plus de cochons ou d'oiseaux, d'autres fois c'était l'inverse.
Ce que je vois est documenté à ma façon. C'est une manière de transformer le monde autour de soi, personne ne fera les même photos que moi là-bas, il s'agit de mon regard et mon interprétation, ma fiction ou ma réalité.
Pourquoi le choix du masque ? Quels en sont les symboles ?
Je ne sais pas pourquoi les masques étaient là.
Mais les gens en avaient certainement à cause des restes de vacances ou d'anniversaires. Je ne suis pas sûr de leurs provenances.
Mais nous étions vraiment intéressés par ces symboles, le coté métaphorique.
Le coté visuel et le symbole derrière le masque a toujours était présent dans tellement d'histoires.
La façon dont vous assemblez corps et matière est très touchante. Comment expliquez-vous la nécessité d'une telle proximité ? Comment définir ce qui ressort d'une telle confrontation ?
D'abord les modes de vies sont différents entre les continents. En Afrique, il n'y a rien d'étrange à dormir et vivre tous ensembles. Ils ont de grandes familles, ils vivent dans la même pièce, cela fait donc beaucoup de corps humains rassemblés.
Pour ce qui est de la matière, tous ces éléments étaient de toute façon présent dans la pièce. Parfois tu les enlève, parfois tu les photographie. L'évier, les toilettes... J'aurais pu en amener d'autres ou en sortir, mais j'ai aimé ce mélange absurde et fait par intuition. Cela produit forcément un effet, oui.
The Asylum of the Birds © Roger Ballen tous droits réservés
Ne pensez-vous pas que la folie est une simple question de point de vue ? Pourquoi cette fascination pour les images trash ou spectaculaires ?
La première chose à dire, je pense, est que je fais vraiment les choses quand je les sens, l'intuition est importante, probablement parfois la frontière avec ce qui peut être considéré comme de la folie.
La question de savoir pourquoi les gens aiment être choqués, j'imagine que c'est parce qu'ils s'ennuient. lls ne sont pas assez en contact avec leur environnement, ni avec eux-mêmes d'ailleurs. C'est quelque chose qui les aide à penser.
Télévision, magazines.... Il est vraiment nécessaire que peu importe ce qu'ils voient, les gens s'en rappellent. Je veux que mes images transforment les gens, les choquent, qu'ils se regardent et voient d'autres aspects d'eux-mêmes qu'ils ignoraient.
Mon but est loin d'un monde commercial.
Comment pourriez-vous comparer votre travail à celui de Joel Peter Witkin ?
J'aime beaucoup son travail.
Son travail est bien plus sexuel et torturé, le mien est plus absurde. Mais ses photographies ont un lien très fort avec le subconscient des gens. Je ne pense pas qu'elles aient eu beaucoup d'influence sur les miennes.
Je pense que mes images sont très inspirées par l'absurde, il y a une énorme dimension de ce courant dans mon travail, une absurdité calculée.
The Asylum of the Birds, Roger Ballen
à paraître chez Thames and Hudson en Mars 2014
Propos receuillis par Charlotte Courtois