© Jordy Meow
Jordy Meow, vit et travaille au Japon depuis cinq ans. Spécialiste des explorations urbaines ou urbex, le photographe prospecta dans des centaines de lieux entre le Japon et l’Europe avant de capturer 38 Haikyos japonais, ou lieux abandonnés, friches en français, tous « plus incroyables les uns que les autres ». Aujourd’hui, il publie un recueil de ces photographies-témoins intitulé Nippon no Haikyo - Vestiges d’un japon oublié. Parmi elles, des photos de l’île interdite de Gunkanjima, prénommée île d’Hashima.
Le livre se divise par type de lieux : Les écoles, les loisirs, les hôtels, l’île d’Hashima, les friches industrielles, les maisons et appartements et les hôpitaux. Au sein de ce foisonnement, la photo d’un couloir d’une école abandonnée, mur en bois et dessin à la craie, ouvre un catalogue pour réalisateurs à la recherche de lieux propices aux psychoses en tout genre. Jordy Meow photographie et récolte des éléments provoquant un certain malaise, un univers prosaïque, sans qualité intrinsèque pour la société actuelle, mais au sein duquel l’étrange s’avère insidieux au point de faire grincer le banal. En effet, tout bascule grâce à un ressenti quasiment mystique et à une fascination presque ancestrale.
© Jordy Meow
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En parallèle, il propose des textes injectés de réalisme et de pragmatisme, tentative de retour à la tangibilité. Par exemple, face à un autre cliché d’école troublant, il rappelle que « le Japon est victime depuis plus de 50 ans d’un exode rurale particulièrement soutenu. Les villages disparaissent et les petites villes se vident peu à peu ». Sa rédaction suit une chronologie simple et cartésienne : celle de sa prospection. Il expose avec simplicité les faits : « Entrant dans une salle de classe, je fais une étonnante découverte : au milieu de la pièce, baignant dans la lumière, trône un grand bocal de formol dans lequel est conservé un système nerveux complet de chat. Désormais, je ne verrai plus mes amis les félins de la même manière… ». Ce commentaire donne vie à une photo de type paysage, centrée sur un bocal posé sur une table contenant les entrailles de l'animal et introduisant d’autres gros plans de bocaux, un squelette d’étude, un tourne-disque posé à terre près d’un tableau noir, un ballon abandonné et une raquette de ping-pong esseulée.
© Jordy Meow
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De pérégrinations en pérégrinations, de bâtiments en bâtiments, il va jusqu'à pénétrer des hôtels. Or, il en existe « deux catégories. La première, des hôtels construits pendant l’essor économique et qui ont fermé au moment où la santé financière du Japon a commencé à décliner. (…) La deuxième catégorie d’hôtels n’a pas la même fonction, ce sont des hôtels appelés « love-hôtels ». (...) Ils permettent aux jeunes couples qui vivent encore chez leurs parents de pouvoir prendre une chambre pour quelques heures ». Le photographe rend compte d’un verre sur une table, de murs décrépits, de jacuzzis abandonnés, de lits par dizaine… Il propose une kyrielle de photographies permettant de mieux s’imaginer le lieu, les pièces et finalement l’atmosphère régnant dans ces haikyos.
Au fil des pages, le lecteur, chanceux de découvrir des endroits qui ne s’offriront probablement jamais à sa vue, rencontre la fameuse île d’Hashima, décors du Skyfall de Daniel Craig et Sam Mendes. Des dédales d’immeubles abandonnés, des morceaux de bétons à perte de vue, du verre, de l’acier, une ancienne télévision, l’atelier d’un dentiste, une nature qui reprend ses droits et surtout la fin d’un rêve, celui de la houille. En effet, dès 1810, les japonais exploitent une mine de houille sur l'île et celle-ci voit sa densité exploser : elle culmine à 84 100 habitant par km2 pour l'ensemble de l'île et 139 100 habitant par km2 pour le quartier des habitations en 1959. Soit la plus forte densité mondiale. Et si 800 prisonniers coréens y travaillent, 120 n'en reviendront pas. Néanmoins, aujourd'hui, l’île s’avère totalement abandonnée et interdite au public, ou presque…
© Jordy Meow
© Jordy Meow
Le photographe dresse le portrait de diverses friches japonaises, et, preuve de son amour véritable, il laisse, en fin de livre, la parole aux autres passionnés qui comme lui répertorient des haikyos sur leurs blogs. En fin de compte, les 256 pages du livre sont l’occasion de mélanger deux notions très chères à Nabokov : l’aliénation et l’étrangeté. Si la première correspond davantage à une forme d’ostracisation par rapport à la société, la seconde évoque une bizarrerie. Ces lieux, qu’il présente aux lecteurs, sont l’un et l’autre à la fois, des témoins de la dégénérescence de l’homme, des traces de celui-ci et une fenêtre ouverte sur le passé ou peut-être… L’avenir.
© Jordy Meow
Laura Kotelnikoff Béart
Jordy Meow Nippon no Haikyo - Vestiges d’un japon oublié
Editions Issekinicho
256 pages
28,8 x 23,2 x 2,6 cm
29,95€